Les opérations militaires des pays nordiques mettent en évidence les préparatifs de l’OTAN en vue d'attaquer la Russie par le nord

Ces derniers mois, les régions arctiques de la Norvège, de la Suède et de la Finlande ont été le théâtre d’une activité militaire sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. Les grands exercices de l’OTAN se sont succédé, avec la participation de dizaines de milliers de soldats, tandis que les États-Unis ont élargi leurs accords de défense bilatéraux avec ces trois pays pour créer ce qui ressemble à un gigantesque terrain d’entraînement américain en vue d’une invasion de la Russie par le nord.

Le destroyer à lance-missiles guidés USS Paul Ignatius arrive à Narvik, en Norvège, après sa participation à Steadfast Defender, le plus grand exercice de l’OTAN depuis la Seconde Guerre mondiale, le 15 mars 2024. [Photo: US Navy]

Au cours des deux premières semaines de mars, quelque 20.000 soldats de l’OTAN provenant de 13 pays ont participé à l’exercice «Nordic Response 2024». Cet exercice a succédé à la manœuvre biennale norvégienne «Cold Response», qui a été étendue à la Suède et à la Finlande à la suite de leur adhésion à l’alliance militaire agressive dirigée par les États-Unis. Le déploiement comprenait d’importants contingents de forces terrestres, aériennes et navales déployés dans une bataille simulée déclenchée par l’invasion d’un «adversaire fictif». L’exercice comprenait le premier essai d’un commandement conjoint des opérations aériennes nordiques, les forces aériennes du Danemark, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède étant contrôlées à partir d’une base située à Bodo, dans le nord de la Norvège.

La réponse nordique s’inscrivait dans le cadre plus large de la mobilisation «Steadfast Defender», une série de manœuvres militaires continues impliquant 90.000 membres du personnel de l’OTAN, qui a débuté en janvier et se poursuit jusqu’en juin. La zone d’opérations s’étend de l’Arctique à l’Europe centrale, en passant par les régions nordiques et baltiques. Dans un premier temps, l’exercice a consisté à transporter du personnel militaire américain à travers l’Atlantique pour soutenir les membres européens de l’OTAN dans un scénario de guerre. L’étape suivante, qui est maintenant bien avancée, prévoit le transit du personnel américain depuis les sites de débarquement le long de la côte nordique vers l’est, en direction de la frontière russe.

Des troupes polonaises et d’autres troupes de l’OTAN participent aux manœuvres militaires «Steadfast Defender» 24 à Korzeniewo, en Pologne, le lundi, 4 mars 2024. [AP Photo/Czarek Sokolowski]

L’opération Immediate Response a débuté fin avril, lorsqu’un cargo transportant de grandes quantités de matériel militaire américain a accosté dans le port de Narvik, dans le nord de la Norvège. L’exercice consistait à transporter l’équipement, qui appartient à la 10e division de montagne de l’armée américaine, par rail et par route à travers la Suède jusqu’en Finlande, où il sera utilisé dans le cadre de la manœuvre «Northern Forest». Environ 1.600 soldats américains et 200 véhicules militaires sont arrivés en Finlande la semaine dernière, après avoir parcouru 550 kilomètres. L’exercice s’est également déroulé plus au sud, à Kalundborg, au Danemark, où du matériel militaire a également été débarqué. « Cette opération est importante dans le cadre de l’OTAN. Elle montre la capacité et la volonté des Américains de se déployer rapidement et notre capacité à recevoir et à être un pays de transit », a commenté le colonel May Brith Valen-Odlo des forces armées norvégiennes. « Conformément aux nouveaux plans de l’OTAN, nous pourrions rapidement devenir un pays de transit pour recevoir des forces, les préparer et les envoyer via la Suède et la Finlande ».

La dernière fois que la Norvège et la Suède ont servi de « pays de transit », c’était pour l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Après l’invasion du pays par les nazis et la mise en place d’un «régime fantoche» sous la direction de «Vidkun Quisling» en avril 1940, l’Armée de Norvège voir l’Armée de la Wehrmacht (armée allemande) en Norvège» a été créée. Dans le cadre du déclenchement de la guerre d’extermination contre l’Union soviétique en juin 1941, la 163e division d’infanterie a été transférée de Norvège via la Suède neutre pour servir aux côtés de l’armée finlandaise lors de l’invasion de l’Union soviétique. L’avancée nazie sur ce front a conduit les troupes à moins de 30 kilomètres de Leningrad, que les soldats finlandais ont contribué à bloquer avec leurs alliés nazis. Les commandants de l’Armée norvégienne ont mené des opérations contre les troupes soviétiques en Laponie.

Dans les mois qui ont précédé les dernières grandes manœuvres de l’OTAN, les États-Unis ont conclu une série d’accords bilatéraux avec les pays nordiques afin d’obtenir un accès illimité à des dizaines d’installations militaires situées à distance de frappe de la frontière russe. Trois accords de coopération en matière de défense (DCA) conclus avec la Finlande, la Suède et le Danemark en décembre 2023, et un DCA à jour finalisé avec la Norvège en février 2024, couvrent un total de 47 «zones agréées» d’opérations dans les quatre pays. Dans une «zone agréée», qui est généralement associée à une base militaire ou à un terrain d’entraînement, les soldats américains peuvent opérer librement et stocker du matériel qui sera utilisé lors de déploiements futurs. Au total, 15 de ces «zones convenues» se trouvent dans les régions arctiques de la Finlande, de la Norvège et de la Suède, à proximité de la frontière russe avec la Norvège et la Finlande. Le personnel militaire américain a également le pouvoir d’exercer son autorité sur les civils à l’intérieur ou dans le «voisinage immédiat» des «zones convenues». Dans des «cas extrêmes», ce pouvoir peut être étendu au-delà du «voisinage immédiat» d’une «zone convenue». Les accords précisent que les États-Unis sont les premiers à pouvoir poursuivre leurs soldats en vertu des lois américaines pour tout crime commis pendant ou en dehors de leur service.

Une plateforme amphibie M3 entre dans l’eau lors de l’exercice Dragon 24 en Pologne, le 3 mars 2024. [Photo: Jackie Faye Burton, U.S. European Command ]

L’initiative de ces accords, qui rappellent les diktats d’une puissance néocoloniale sur ses territoires occupés, a été prise par les États-Unis. Le gouvernement américain a insisté sur le fait que l premier DCA conclu avec la Norvège en 2021 était une «condition préalable indispensable» à la poursuite des investissements américains dans les infrastructures militaires du pays. L’impérialisme américain considère l’accès à l’Arctique comme essentiel dans un contexte où le changement climatique ouvre la région à l’exploitation des ressources et au commerce intercontinental. Washington est déterminé à assurer sa position dominante dans le Grand Nord aux dépens de la Russie, de la Chine et d’autres rivaux potentiels. Cela comprend ses anciens alliés européens qui, sous l’impulsion de l’impérialisme allemand, prennent leurs propres mesures pour renforcer leur présence dans la région.

La coopération militaire se développe également de manière spectaculaire entre les nations nordiques elles-mêmes. Le premier commandement de la défense nordique a été crée (NORDEFCO) en 2009 par le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède. Au départ, cette collaboration servait principalement de mécanisme pour permettre aux forces finlandaises et suédoises de participer aux exercices de l’OTAN et d’acquérir de l’expérience en matière d’entraînement et d’utilisation des équipements de l’OTAN selon les normes de l’alliance. Aujourd’hui, avec tous les pays membres de l’OTAN, la structure de commandement se consolide afin d’intégrer les capacités opérationnelles des pays nordiques.

La NORDEFCO a récemment dévoilé une nouvelle stratégie «Vision 2030» qui prévoit une «action conjointe vigoureuse» dans huit domaines de la défense et de la sécurité. Dans le quotidien suédois, Dagens Nyheter, les ministres de la Défense du Danemark, de la Finlande, de la Norvège et de la Suède, ainsi que le ministre islandais des Affaires étrangères ont déclaré: «Ensemble, nous avons une connaissance unique de l’Atlantique Nord, de l’Arctique et de la mer Baltique, ainsi qu’une frontière terrestre de près de 1.500 kilomètres avec la Russie. Au total, nous disposons de plus de 250 avions de chasse et de 350.000 soldats. Ensemble, nous serons en mesure de fournir les conditions nécessaires à l’accueil, au déploiement et à la poursuite des mouvements des troupes alliées vers et à travers nos pays».

L’un des principaux domaines d’action est le renforcement de la « dissuasion et de la défense» des régions nordique et euro atlantique par l’amélioration de la coopération opérationnelle. Une réunion de la « NORDEFCO » s’est récemment tenue aux îles Féroé pour discuter des options militaires de l’OTAN, qui s’étendent du Groenland à l’ouest, où les États-Unis maintiennent une présence militaire depuis la Seconde Guerre mondiale, aux pays nordiques de l’Arctique et de la Baltique, en passant par l’Islande, qui dépend de ses alliés de l’OTAN pour sa protection aérienne puisqu’elle ne dispose pas de ses propres forces armées. L’alliance vise également à renforcer « le soutien du pays hôte et le soutien logistique » pour les troupes d’autres alliés de l’OTAN opérant dans la région, la coopération en matière d’achat de matériel de défense et la « base industrielle de défense nordique » afin d’améliorer la fiabilité des lignes d’approvisionnement.

Le document stratégique souligne que l’ambition est de subordonner tous les domaines de la société à l’objectif de faire la guerre. La NORDEFCO s’efforcera de parvenir à une « défense totale afin de garantir un soutien adéquat de tous les secteurs de la société au secteur de la défense dans tous les scénarios et toutes les situations de menace », indique le document.

De tous les pays nordiques, c’est la Finlande qui est allée le plus loin dans la mise en œuvre d’une stratégie de « défense totale ». Avec une population d’un peu moins de 5,5 millions d’habitants, elle peut mobiliser rapidement plus de deux cent cinquante mille soldats et compte quelque 900.000 membres dans la réserve militaire. La Finlande a récemment dépensé près de 10 milliards de dollars pour acheter 64 avions de combat F-35 à «Lockheed Martin», ce qui équivaut à l’achat d’un millier de ces appareils par un pays de la taille de l’Allemagne.

Lors d’une visite à Berlin la semaine dernière, le président finlandais Alexander Stubb a reçu une réponse chaleureuse à son appel aux autres pays à « faire comme la Finlande ». Selon le chancelier allemand Olaf Scholz, dont le gouvernement a massivement augmenté les dépenses militaires et ravivé les ambitions impérialistes mondiales de l’Allemagne, l’Allemagne a beaucoup à apprendre de l’approche finlandaise. « Nous aimerions tirer des enseignements de l’expérience finlandaise avec la Russie en tant que voisins » a déclaré Scholz à propos de la visite de Stubb. « Nous sommes également intéressés par l’approche finlandaise en matière de défense civile ».

(Article paru en anglais le 13 mai 2024)