Les efforts de la bureaucratie du syndicat United Auto Workers pour collaborer avec la nouvelle administration Trump, sur la base de leur nationalisme économique « America First» commun, prennent rapidement forme depuis l’investiture.
Mercredi, Fain a annoncé que Stellantis avait accepté de rouvrir son usine d'assemblage de Belvidere, dans l'Illinois, d'ici 2027, d'annuler son projet de transfert de la production du SUV Dodge Durango de Détroit à Windsor, au Canada, et de réaliser un «investissement important» à Kokomo, dans l'Indiana, «annulant ainsi son projet de délocaliser le travail hors de ce pays».
Fain a attribué la décision de l'entreprise à la campagne «Keep the Promise» (Tenir la promesse) de l'UAW. Cette «victoire» était «un témoignage de la force des travailleurs qui se serrent les coudes et demandent des comptes à une entreprise pesant des milliards de dollars. Merci aux milliers de membres et de dirigeants qui se sont mobilisés, ont défilé, ont déposé des plaintes et ont parlé à leurs collègues. Votre solidarité a forcé Carlos Tavares à quitter le poste de PDG de cette entreprise, et cela a changé la donne ».
En fait, l’UAW a lancé ce coup de publicité sans effet pour contrer un mouvement croissant de travailleurs de la base contre les suppressions d’emplois massives que Stellantis et les autres constructeurs automobiles ont commencé à effectuer après que la bureaucratie de l’UAW eut trahi en 2023 la bataille contractuelle de 150 000 travailleurs de Stellantis, GM et Ford. Fain avait affirmé que le syndicat appellerait à une grève nationale pour défendre les emplois, sans aucune intention de le faire.
Les assurances données par la bureaucratie de l'UAW quant à la sécurité des emplois ne valent pas le papier sur lequel elles sont écrites. Fain n'a pas non plus indiqué quelles réductions des coûts de main-d'œuvre l'UAW a proposées pour obtenir l'accord.
Comme un travailleur de Stellantis à l'usine d'assemblage de Sterling Heights (SHAP) dans la métropole de Détroit a indiqué au World Socialist Web Site: «La déclaration de l'UAW ne dit vraiment rien, elle ne fait que revendiquer la victoire de Fain. Mais le PDG fait pression pour que l'entreprise redevienne compétitive, ce qui va se traduire par une pression accrue sur nos emplois et nos conditions de travail».
Fain l’admet: «Nous avons encore des milliers de nos collègues syndiqués qui sont au chômage.» En effet, l’accord de 2023, salué comme «historique et créateur d’emplois» par Fain et le président Biden, a ouvert la porte à des milliers de suppressions d’emplois. Il y avait dans l’accord de 900 pages entre l’UAW et Stellantis une clause cachée (article en anglais) qui acceptait le licenciement permanent de plus de la moitié des 5 200 travailleurs temporaires à temps partiel de l’entreprise après leur avoir promis des emplois à temps plein.
En conclusion de sa lettre cynique, Fain écrit: «Tout au long de ce processus, nous avons tous appris une leçon importante: il faut se battre pour conserver les emplois ici dans ce pays. Nous avons montré à l'entreprise et à la nation que nous sommes prêts à nous battre.»
Fain ne l’ait pas reconnu ouvertement mais la décision de Stellantis a été prise suite à des réunions entre les dirigeants de l’entreprise et Trump dans les jours précédant l’investiture. Reuters écrit dans un article : «Le président de Stellantis, John Elkann, a passé quatre jours à Washington pour rencontrer le nouveau président américain Donald Trump et plusieurs hauts responsables de l’administration, ont déclaré mardi à Reuters deux personnes proches du dossier.» L’article de poursuivre: «Ces discussions soulignent les efforts des chefs d’entreprise, comme Elkann, pour nouer des liens avec la nouvelle administration américaine alors que Trump menace de perturber le statu quo par des changements majeurs de politique économique et commerciale.»
Elkann, un descendant de la famille Agnelli, aurait rencontré Trump à deux reprises lors de son séjour à Washington avant de retourner en Italie. Le constructeur automobile, qui importe depuis le Canada et le Mexique 40 pour cent des voitures qu'il vend aux États-Unis, serait durement touché par les menaces de Trump d'imposer à ces deux pays des tarifs douaniers de 25 pour cent.
Après la visite, Stellantis a publié un communiqué où déclare: «L’accent mis par Trump sur les politiques qui soutiennent une base industrielle solide et compétitive aux États-Unis est extrêmement positif. Nous sommes impatients de travailler avec lui sur les objectifs cruciaux de renforcement de notre industrie et de l’économie nationale.»
CNBC a également rapporté mercredi que «les dirigeants de chacun des trois grands constructeurs automobiles de Détroit ont parlé àTrump ou l’ont rencontré séparément. Ils font également partie des entreprises qui ont fait don chacune d'un million de dollars à l'investiture de Trump.»
On ne sait pas encore si Fain ou d’autres bureaucrates de l’UAW ont été du pèlerinage pour baiser la main de Trump. Mais la veille de l’investiture, le Washington Post a publié un éditorial de Fain intitulé: «Je suis le président de l’UAW. Nous sommes prêts à travailler avec Trump.»
Dans cet article, Fain a salué ainsi la politique commerciale de Trump: «Nous sommes d’accord sur le fait que nous avons besoin d’un système de tarifs douaniers solide qui serve les intérêts nationaux et ceux de la classe ouvrière. Les tarifs douaniers devraient ramener des emplois en Amérique, introduire des produits dans des communautés comme Belvidere, dans l’Illinois, et inciter les entreprises à investir dans de bons emplois, et non à exploiter les travailleurs à l’étranger.»
Les travailleurs n’ont pas d’«intérêts nationaux», seulement des intérêts de classe.
La campagne « Tenir la promesse » était basée sur deux mensonges fondamentaux, qui ont uni la bureaucratie de l’UAW à Trump: 1. que les suppressions d’emplois n’étaient pas causées par la quête impitoyable du profit capitaliste, mais par les «propriétaires étrangers», qui n’avaient aucun respect pour les travailleurs américains et l’Amérique; et 2. que les travailleurs américains ne peuvent défendre leurs emplois qu’aux dépens des travailleurs canadiens et mexicains, au lieu de s’unir contre les constructeurs automobiles mondiaux dans une lutte commune pour défendre le droit à un emploi sûr et bien rémunéré pour tous les travailleurs.
Fain et ses partisans au sein des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) ont utilisé cette campagne pour promouvoir l’élection de Kamala Harris. Lors de son apparition à la Convention nationale démocrate en août 2024, Fain a critiqué Stellantis pour avoir renié son accord, a félicité Harris et Biden pour «s’être tenus aux côtés des travailleurs» et a dénoncé Trump en le traitant de briseur de grève.
Mais depuis la défaite électorale des démocrates, dont le bellicisme et l’indifférence à l’égard de la catastrophe sociale et économique ont permis à Trump de se poser en défenseur des travailleurs et de gagner, Fain a abandonné ce genre de discours. Le président de l’UAW se plie maintenant en quatre pour gagner les faveurs des oligarques et des fascistes du régime de Trump. Comme la classe dirigeante, les bureaucrates syndicaux ne craignent rien plus qu’un mouvement massif venant d’en bas qui menacerait leur richesse et leurs privilèges.
Si certains travailleurs se sont laissés séduire par la rhétorique nationaliste de Trump, l’histoire montre qu’une telle perspective réactionnaire ne peut que conduire la classe ouvrière au désastre.
Pendant des décennies, la bureaucratie de l’UAW, les patrons de l’automobile et les deux partis contrôlés par le patronat ont promu le nationalisme du «Buy American» pour exiger des travailleurs qu’ils sacrifient leurs salaires et conditions de travail en vue d’améliorer la compétitivité et la rentabilité de leurs «propres» entreprises capitalistes. Cela n’a jamais sauvé un seul emploi. Au contraire, quelque 850 000 emplois de l’UAW ont été supprimés chez les trois grands constructeurs depuis 1979. Cela n’est pas dû à des «accords commerciaux injustes», mais à la crise du capitalisme américain et mondial et à la volonté impitoyable de réduire les coûts de la main-d’œuvre et d’augmenter les profits.
Le racisme anti-asiatique promu par la bureaucratie de l'UAW dans les années 1980, qui entraîna des horreurs telles que le tabassage à mort de l'ingénieur sino-américain Vincent Chin en 1982, a été utilisé pour diviser les travailleurs et dissimuler la complicité des dirigeants de l'UAW dans la suppression des emplois et salaires de centaines de milliers de travailleurs.
Trump a l'intention d'utiliser les services de la bureaucratie syndicale pour soumettre complètement la classe ouvrière et mener une guerre contre les rivaux de l'impérialisme américain à l'étranger. Il commence par désigner les immigrés comme boucs émissaires et lance des rafles, mais il fera ensuite appel à l'armée afin d’écraser toute opposition intérieure au pouvoir des oligarques et à leurs guerres pour s'emparer de ressources et de territoires comme le canal de Panama, le Groenland et même le Canada.
Will Lehman, un travailleur de Mack Trucks en Pennsylvanie qui s'est présenté comme candidat socialiste à la présidence de l'UAW en 2022, a publié une déclaration en réponse à la soumission de Fain devant Trump. Lehman y déclare:
La classe ouvrière est une classe internationale qui est aujourd’hui plus soudée par un processus unique de production mondiale qu’à toute autre période de l’histoire. Les travailleurs d’Amérique ne peuvent pas se défendre aux dépens des travailleurs de tous les autres pays.
La solution pour les travailleurs n’est pas l’« Amérique d’abord », mais l’unité de la classe ouvrière du monde entier, qui comprend les travailleurs de VW luttant contre les suppressions d’emplois massives en Allemagne et ceux de Stellantis en Italie, au Royaume-Uni et dans d’autres pays.
Lehman conclut ainsi:
A mesure que les intérêts de classe que Trump représente deviennent évidents pour des millions de gens, y compris ceux qui ont voté pour lui, l’opposition de la classe ouvrière va grandir. Mais cette rébellion ne peut se développer que si les travailleurs rejettent consciemment le poison nationaliste et pro-capitaliste longtemps promu par la bureaucratie de l’UAW et les deux partis contrôlés par la grande entreprise.
Cela signifie étendre l’Alliance ouvrière internationale des comités de base à chaque usine et lieu de travail. La lutte contre les suppressions d’emplois et l’exploitation capitaliste doit être associée à la défense de nos collègues immigrés et à l’opposition aux guerres pour le profit. L’immense richesse et la concentration du pouvoir économique entre les mains de Musk et d’autres oligarques doivent être brisées et leurs vastes fortunes privées expropriées afin qu’elles puissent être utilisées pour les besoins de la société. C’est la seule façon de garantir des emplois et un niveau de vie élevé pour tous et de faire triompher la démocratie sur le fascisme et la dictature.
(Article paru en anglais le 23 janvier 2025)