Des centaines de milliers de Gazaouis retournent dans les villes en ruines du nord de l’enclave, après plus d'un an d’un siège génocidaire et d'attaques sans répit de la part d’Israël. Les images ne peuvent être comparées qu'aux scènes de dévastation visibles au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Selon les Nations Unies, 92 pour cent des habitations sont détruites (160 000) ou gravement ou partiellement endommagées (276 000). Soixante pour cent des bâtiments sont endommagés ou détruits (ce chiffre atteint 70 pour cent dans le nord de Gaza et 74 pour cent dans la ville de Gaza), de même que 70 pour cent du réseau routier.
Les familles qui reviennent du Sud, désespérément surpeuplé, voyagent le plus souvent juste avec ce qu'elles peuvent porter à pied et ne retrouvent là où se trouvaient leurs maisons que des décombres ou des trous dans le sol.
Lubnar Nassar, qui est retournée auprès de son mari, a déclaré à la BBC: «La chaleur des retrouvailles a été éclipsée par l'amère réalité: nous n'avons plus de maison, alors nous avons déménagé d'une tente dans le sud vers une tente dans le nord.»
Mohammed Badr, père de 10 enfants, a déclaré à Reuters: «Cela fait trois jours que nous sommes rentrés et nous ne trouvons pas d’eau à boire. Nous ne trouvons pas de couvertures pour garder nos enfants au chaud. Nous dépendons de feux de camp toute la nuit. Nous aimerions avoir du bois pour le feu, nous utilisons du plastique, qui provoque des maladies.»
Sa femme explique: «Il ne reste plus rien, on ne peut plus marcher dans les rues. Les maisons se sont effondrées les unes sur les autres. On se perd, on ne sait pas si c’est chez soi ou non. L’odeur des cadavres et les martyrs sont dans les rues.»
Tentant de résumer l'ampleur et la rapidité des dégâts, Achim Steiner, directeur général du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), a déclaré à l'AFP: «Nous estimons qu'environ 60 années de développement ont été perdues dans ce conflit en 15 mois.
«Deux millions de personnes vivant dans la bande de Gaza ont perdu non seulement leur logement, mais aussi les infrastructures publiques, les systèmes de traitement des eaux usées, les systèmes d’approvisionnement en eau potable et la gestion des déchets publics. Toutes ces infrastructures et services fondamentaux n’existent tout simplement pas…
«Pratiquement toutes les écoles et tous les hôpitaux ont été gravement endommagés ou détruits. C'est une destruction physique extraordinaire qui s’est produite.»
Comme l’a souligné Steiner, «le désespoir humain n’est pas seulement quelque chose que l’on peut saisir dans les statistiques.» Mais les chiffres sont frappants.

Moins de la moitié des hôpitaux de Gaza sont partiellement fonctionnels; moins de 40 pour cent des centres de soins de santé primaires (six sur 138 sont pleinement fonctionnels et 46 partiellement fonctionnels); et moins d’un quart des dispensaires de l’UNRWA .
L'approvisionnement en eau est quatre fois moins important qu'avant octobre 2023 et le taux de perte d'eau est de 70 pour cent en raison des dommages causés aux réseaux d'approvisionnement. Près de la moitié des puits et des serres agricoles de Gaza sont endommagés, ainsi que plus des deux tiers des terres cultivées, la moitié des moutons et 95 pour cent des bovins.
Il faudra du temps avant qu’une grande partie de la population puisse commencer à s’inquiéter des 88 pour cent de bâtiments scolaires nécessitant une rénovation complète ou majeure, ou des 51 bâtiments universitaires détruits et des 57 bâtiments universitaires endommagés.
Ce qui reste n’est pas en mesure de soutenir une société, comme le montreront bientôt les taux de maladie et de mortalité précoce. On estime déjà que 12 000 patients ont besoin d’être transférés hors de Gaza – moins de 500 ont été autorisés à traverser les murs du siège israélien dans les 15 derniers mois. Des dizaines de milliers d’enfants ont besoin d’un traitement contre la malnutrition aiguë.
Toujours selon l’ONU, un million de personnes (46 pour cent de la population de Gaza) sont exposées à des menaces sanitaires telles que les rongeurs et les nuisibles, les déchets solides (54 pour cent) et les déchets humains (34 pour cent).
Arwa Damon, fondatrice du Réseau international d'aide, de secours et d'assistance, a décrit à Al Jazeera la situation sur le terrain.
«Seules quelques centaines de tentes ont été déplacées vers le nord, où toutes ces familles arrivent […] Elles arrivent donc dans le nord sans abri et avec très peu d’accès à l’eau potable.
«Il y a une grande pénurie de carburant et il y a aussi le problème de l’accès aux points de distribution de nourriture car il n’y a pas de transport.
«Ce que nous entendons souvent de la part des familles, c’est que c’est très difficile parce qu’il faut marcher des heures pour avoir accès à la nourriture et à l’eau potable, sans parler des installations médicales et autres».

Gaza n’est pas seulement une zone sinistrée, c’est aussi une scène de crime de grande ampleur. Dès le début, le gouvernement israélien a clairement exprimé son intention de procéder au nettoyage ethnique des Palestiniens. En avril dernier – selon les dernières estimations disponibles –, il avait bombardé Gaza, un territoire de 360 kilomètres carrés seulement, avec l’équivalent d’environ 75 000 tonnes de TNT pour atteindre cet objectif.
Cela équivaut à larguer cinq bombes nucléaires du type de celles utilisées à Hiroshima sur une zone dont la taille est inférieure à la moitié de celle de la ville japonaise.
La deuxième étape du plan apparaît désormais clairement, ouvertement annoncée par le président fasciste des États-Unis Donald Trump et acclamée par l’extrême droite israélienne.
Samedi, Trump a déclaré aux journalistes que les Etats-Unis et leurs alliés devraient «tout nettoyer», suggérant que les Palestiniens soient transférés en Jordanie et en Egypte. Les gouvernements des deux pays ont rapidement protesté contre cette suggestion, bien conscients qu'une telle politique provoquerait une explosion sociale menaçant leur survie même.
Mais le président américain a répété cette semaine: «J’aimerais que [le président égyptien, Abdel-Fattah al-Sissi] en prenne. Nous les avons beaucoup aidés, et je suis sûr qu’il nous aiderait. C’est un de mes amis. Il vit… dans un voisinage difficile. Mais je pense qu’il le ferait, et je pense que le roi de Jordanie le ferait aussi.»
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, s'est enthousiasmé: «Le président américain reconnaît enfin la réalité […] Il ne fait aucun doute qu'à long terme, encourager l'émigration est la seule solution […] Je travaille avec le Premier ministre et le cabinet pour préparer un plan opérationnel et assurer la réalisation de la vision du président Trump.»
Et d’ajouter: «Il n’y a pas à s’en faire pour la faible opposition au plan de la part de l’Égypte et de la Jordanie. Nous avons vu hier comment Trump a imposé sa volonté à la Colombie d’expulser des immigrants malgré son opposition. Quand il le veut, cela se fait.»
On estime que 100 000 Gazaouis ont déjà fui la bande de Gaza – au début de la guerre, quand c’était encore possible –, vendant souvent tout ce qu’ils possédaient pour payer le passage de la frontière avec l’Égypte. Hala Consulting and Tourism Services, propriété d’Ibrahim Alarjani, allié d’al-Sissi, détient le monopole du passage et gagnait environ 2 millions de dollars par jour jusqu’à l’invasion israélienne de Rafah en mai dernier.
Les 100 000 réfugiés palestiniens en Egypte vivent dans des conditions de vie très précaires. Ils sont tous privés d'emploi et exclus des systèmes éducatif, bancaire et de santé. Les réfugiés palestiniens sont aidés par l'UNRWA plutôt que par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, mais l'UNRWA n'a aucun mandat officiel en Egypte, ce qui laisse les Gazaouis sans aucun soutien.
Les projets visant à achever ce processus avec le retrait total des quelque 2 millions de personnes vivant encore à Gaza prennent forme sous la menace d’une reprise de l’offensive militaire.
Le rédacteur en chef du magazine israélien +972, Ben Reiff, a averti mardi dans le Guardian:
Avant même que le gouvernement israélien n'ait officiellement approuvé l'accord de cessez-le-feu le 18 janvier, des informations ont fait surface qui jettent le doute sur l'engagement de Netanyahou à le mettre en œuvre pleinement. Le Premier ministre aurait en effet accepté la demande du ministre des Finances d'extrême droite israélien, Bezalel Smotrich, de reprendre les combats après l'expiration de la première des trois phases du cessez-le-feu. Bien que Netanyahou se soit abstenu de l'admettre publiquement, des sources présentes à ces discussions et des journalistes proches de Netanyahou ont souligné que les chances de voir l'accord atteindre sa deuxième phase étaient proches de zéro.
L’armée israélienne a déjà violé les termes du cessez-le-feu au Liban. Le ministère de la Santé de Gaza a rapporté mardi que 11 Palestiniens avaient été tués au cours des dernières 48 heures par des soldats israéliens, notamment par des tirs de chars et de tireurs embusqués. Le Croissant-Rouge palestinien a fait état de tirs contre l'une de ses ambulances.
(Article paru en anglais le 29 janvier 2025)