En réponse à la décision du géant du commerce en ligne Amazon de fermer ses installations au Québec d’ici fin mars, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) a organisé une manifestation bidon le weekend dernier à Montréal sur le thème «Boycottons Amazon».
Loin de servir à déclencher un vaste mouvement de la classe ouvrière nord-américaine contre la multinationale, la campagne nationaliste de boycottage vise plutôt à renforcer l’élite québécoise et canadienne dans sa guerre commerciale réactionnaire contre Washington et à défendre les intérêts matériels de la bureaucratie syndicale.
La fermeture des sept sites d’Amazon au Québec entraînant la destruction de quelque 4.700 emplois est une réponse à la tentative de syndicalisation des employés. La compagnie a pris cette décision en pleine négociation d’une première convention collective avec ses 300 employés de l’entrepôt DTX4 de Laval, alors que des travailleurs dans d’autres entrepôts préparaient eux aussi leur accréditation.
Par ce licenciement de masse, la mégaentreprise de 1,5 million d’employés dirigée par le centimilliardaire et oligarque, Jeff Bezos, veut faire des travailleurs québécois un exemple afin d’intimider tout groupe de travailleurs qui chercheraient à utiliser leur force collective pour se protéger de ses méthodes d’exploitation brutales. En cela, les Bezos, Elon Musk et autres multimilliardaires à la tête de la société ont le plein appui des gouvernements capitalistes, qui agissent comme leurs serviteurs politiques.
Il existe un immense potentiel pour défier Amazon et toute l’oligarchie financière et patronale. Il y a une résurgence de la lutte des classes aux quatre coins du globe, y compris au Canada et au Québec, où un demi-million de travailleurs du secteur public ont mené un puissant mouvement de grève à la fin de 2023 et où les postiers ont lancé une grève de plusieurs semaines contre les tentatives de la société d’État d’«amazonifier» les services postaux.
Mais chaque fois les appareils syndicaux sont intervenus pour torpiller l’opposition. Ces derniers n’ont aucune intention de mener la lutte nécessaire pour contrer les attaques d’Amazon et de la grande entreprise dans son ensemble.
Cette lutte exige la mobilisation des employés d’Amazon à l’échelle mondiale, mais aussi d’autres sections de la classe ouvrière pour défendre les emplois et les conditions de tous. Des actions de masses doivent être organisées, y compris des manifestations et des grèves.
Ce n’est pas du tout la perspective des syndicats et de leur campagne bidon de «boycott du consommateur». Celle-ci encourage une action individuelle futile, combinée à des appels tout autant futiles pour que les gouvernements provincial et fédéral – de fidèles serviteurs de la grande entreprise – interviennent en faveur des travailleurs.
Le cul-de-sac de cette orientation s’est reflété à la manifestation de samedi, où à peine 2.000 personnes ont participé, dont un nombre limité d’employés d’Amazon. La marche était dominée par des chefs syndicaux, des syndicalistes proches de la bureaucratie et des groupes nationalistes de la pseudo-gauche.
Un gouffre sépare la volonté de lutte des travailleurs et les objectifs réels des bureaucrates syndicaux. Ayant imposé un contrat de travail pourri après l’autre et trahi chaque lutte ouvrière au cours des quarante dernières années, les syndicats sont indifférents à la super-exploitation des travailleurs d’Amazon. Ce qui les frustre est la décision d’Amazon de se passer de leurs services pour contrôler les travailleurs, étouffer leur colère et négocier des conventions collectives remplies de reculs.
Rappelons que la compagnie a annoncé les fermetures le jour même où la CSN annonçait sa volonté d’aller en arbitrage alors que la direction d’Amazon refusait de négocier. La présidente de la CSN, Caroline Senneville a alors tonné que la décision «antisyndicale» d’Amazon «vise d’abord et avant tout à empêcher la conclusion d’une première convention collective». Éric Gingras, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), a expliqué que sa présence à la manifestation est un «soutien aux façons de faire au Québec, aux relations de travail et à la reconnaissance du syndicalisme».
En réalité, le processus de «négociation collective» encadré par le Code du travail est le mécanisme par lequel les syndicats se sont intégrés à l’État capitaliste et que les dirigeants syndicaux sont devenus des «partenaires» juniors du patronat jouissant de nombreux privilèges.
Ce corporatisme, résultat de l’enracinement des syndicats à l’État-nation, va de pair avec la promotion d’un nationalisme de plus en plus virulent qui divise les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs de classe au Canada et à l’international. C’est aussi ce qui sous-tend l’appui plus ou moins explicite qu’ils accordent aux partis de l’establishment, y compris le Nouveau Parti démocratique (NDP) ou le Parti libéral de Trudeau, et dans le cas du Québec, le Parti québécois et le mouvement séparatiste.
En ce qui concerne les intérêts financiers directs de la CSN, il est évident que le syndicat voit la décision d’Amazon de revenir à son modèle d’affaires d’avant 2020 – qui consiste à sous-traiter la livraison à des travailleurs indépendants non syndiqués et sans attache à la compagnie – comme une occasion perdue. En effet, la syndicalisation de nouvelles sections de travailleurs est une source additionnelle de cotisations et d’enrichissement pour les bureaucrates.
Les syndicats exhortent maintenant le gouvernement à couper ses relations d’affaires avec Amazon, y compris les lucratifs contrats infonuagiques, puis encouragent de manière absurde les citoyens à mettre fin à leur abonnement «Prime». En réponse, le Premier ministre du Québec, François Legault, qui avait qualifié la suppression de 4.500 emplois de simple «décision d’affaires d’une compagnie privée», a aussi déclaré qu’«il n’y a rien que je rêverais de plus que de remplacer Amazon, qui, souvent, sans s’en rendre compte, nous vend des produits américains».
Mais comme Senneville l’a elle-même reconnu, un boycott individuel n’a aucun impact réel sur la compagnie: «Quelques millions de moins de chiffre d’affaires pour Amazon, ce ne sont peut-être pas des tonnes». Puis elle a ajouté: «Mais quelques millions de plus dans le chiffre d’affaires des entreprises québécoises, ça peut faire la différence entre une entreprise québécoise qui survit, puis une entreprise québécoise qui progresse».
Autrement dit, les entreprises capitalistes ont totalement le droit d’exploiter les travailleurs, mais celles-ci doivent donner une part du gâteau aux chefs syndicaux pour leur rôle de police du patronat sur les lieux de travail, et préférablement avoir leur siège social au Québec.
La campagne de boycott fait partie des efforts de longue date des syndicats pour attacher la classe ouvrière à la classe dirigeante québécoise et canadienne, mais dans le contexte explosif d’une guerre de tarifs entre Washington et Ottawa depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.
La CSN affirme maintenant qu’elle va se tourner vers le Tribunal administratif du travail (TAT) afin de faire «annuler le licenciement collectif, d’ordonner la couverture, la réouverture des entrepôts et la réintégration des employés». Mais les travailleurs ne doivent pas se laisser berner: les tribunaux sont des institutions bourgeoises qui ont fois après fois penché du côté patronal.
Comme tout le processus de négociation collective et d’arbitrage truqué en faveur de l’employeur, le TAT est encadré par les lois du travail qui servent à enchaîner les travailleurs au système de profits. Même si le TAT juge que la compagnie a violé les lois du travail, elle pourra, au mieux, imposer une amende qui ne serait qu’une goutte d’eau dans l’océan de profit d’Amazon. Et en tout cas, le TAT ne peut pas empêcher les fermetures.
Des supporteurs du Parti de l’égalité socialiste (Canada) sont intervenus à la manifestation de samedi afin d’avoir des échanges avec les travailleurs présents et de leur amener une toute nouvelle perspective, basée sur la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière. Dans une déclaration distribuée, le PES écrivait entre autres:
Les travailleurs ont impérativement besoin d’organisations de lutte pour se protéger des attaques patronales, mais en se tournant vers la bureaucratie syndicale ils ne trouveront que déception et trahison…
Un tournant vers la classe ouvrière n’est possible que si les travailleurs créent de nouvelles formes d’organisation: des comités de base, par et pour les travailleurs, indépendamment des appareils syndicaux pro-capitalistes. À moins qu’ils n’empruntent cette voie, leur lutte sera torpillée par la CSN.
Un comité de base des travailleurs d’Amazon aurait pour tâche première de prendre contact avec les travailleurs d’Amazon à travers le monde, ainsi que les travailleurs du secteur de la logistique comme ceux des postes ou de Purolator, afin de mener une véritable lutte pour préserver les emplois et les conditions de travail de tous.
Ce comité jouirait du plein appui de L'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), soutenue par le World Socialist Web Site, qui lutte pour une contre-offensive ouvrière à l’austérité et la guerre...
En dernière analyse, une telle mobilisation est indissociable d’une lutte politique contre le système capitaliste, afin de briser l’emprise de géants comme Amazon sur la société et exproprier les fortunes mal acquises des Bezos, Elon Musk et cie, dans le cadre d’une profonde transformation de l’économie mondiale pour satisfaire les besoins sociaux de tous.
Des travailleurs ont répondu positivement à cet appel à l’unité de classe. C’est le cas de Réda, employé en lock-out de l’hôtel Fairmont Reine Élizabeth venu en soutien aux travailleurs licenciés.
«Ça fait trois mois que nous sommes en lock-out, depuis le mois de novembre. Nous venons appuyer nos collègues d’Amazon; on se bat pour la même cause, pour les mêmes principes. On fait face à un géant, que ce soit Amazon, ou bien nous, le Fairmont Reine Élizabeth, où le propriétaire est la Caisse de dépôt qui appartient au gouvernement».
Au cours de la discussion, nombreux thèmes ont été abordés, y compris le second gouvernement Trump, l’attaque contre les immigrants et la nécessité d’unir la classe ouvrière. Réda a déclaré :
«Il faut que nous soyons unis, malgré nos différences culturelles, nos différences sociales, nos différences de croyances religieuses. Il faut que l’on se réveille; il faut que l’on enlève les frontières [...] Si toute la population mondiale intervient dans les quatre coins du monde, que ce soit en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord, l’Amérique latine, l’Asie, tout le monde, eh bien il n’y aura personne qui pourra nous arrêter. Peut-être qu’on va commencer une nouvelle ère; peut-être qu’on va sortir du capitalisme; qu’on va sortir de la politique de répression.»