Samedi, des dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes ont envahi les rues de Madrid pour dénoncer le génocide en cours à Gaza et exiger la fin immédiate du commerce d'armes et des relations diplomatiques de l'Espagne avec l'État sioniste d’Israël. La manifestation, organisée par le Réseau de solidarité avec la Palestine (RESCOP), coïncidait avec le 77e anniversaire de la ‘Nakba’ de 1948, le nettoyage ethnique de 750 000 Palestiniens qui a accompagné la fondation de l'État d'Israël.
Cette manifestation intervient dans un contexte d'intensification des atrocités à Gaza, où le gouvernement israélien a lancé ce qu'il appelle les « dernières étapes » de sa campagne militaire. Celles-ci comprennent l'occupation totale de la bande de Gaza, l'internement massif dans des camps de concentration gérés par des entreprises privées américaines, ainsi que des marches forcées ou des déportations. Ce plan, approuvé par le président américain Donald Trump, vise à nettoyer ethniquement Gaza et fait sienne la « solution finale » du régime nazi. La famine est imposée par un blocus total de la nourriture, de l'eau et de l'électricité, avec le soutien des États-Unis et des puissances européennes.
Sous le slogan «Bougeons pour la Palestine», les manifestants ont marché d'Atocha à Puerta del Sol en scandant: «Ce n'est pas la guerre, c'est un génocide!», «Boycottez Israël!» et «Vous, les sionistes, êtes les vrais terroristes.» Ces slogans exprimaient l'indignation croissante des travailleurs contre le régime israélien et les puissances impérialistes qui l'arment.
Saida Ghodaieh Curiel, présidente de l’Association hispano-palestinienne Jérusalem, a dénoncé : «tout ce que nous avons vécu, ce sont des déplacements, des meurtres, un nettoyage ethnique, de l’apartheid et des crimes contre l’humanité contre le peuple palestinien – maintenant plus que jamais, avec un génocide télévisé et perpétré en toute impunité, avec la complicité des pays occidentaux.»
La manifestation de Madrid s'inscrit dans la centaine de manifestations organisées en Espagne, notamment à Barcelone, Valence et Bilbao. Elle fait partie d’un mouvement mondial contre la guerre où des millions de personnes se mobilisent depuis un an et demi contre la campagne génocidaire israélienne à Gaza, qui a tué plus de 50 000 Palestiniens, pour la plupart des femmes et des enfants.
Malgré le caractère massif de la manifestation, les partis populistes de gauche et staliniens comme Podemos et Izquierda Unida (IU) ont cyniquement cherché à récupérer la mobilisation. Ces tendances, intégrées à l'appareil d'État capitaliste espagnol, ont tenté de détourner la colère des masses en enjoignant à réagir les institutions mêmes qui sont complices du génocide.
Antonio Maíllo, coordinateur général de l'IU, s'est joint à la manifestation avec d'autres staliniens comme Enrique Santiago, secrétaire général du Parti communiste espagnol, malgré que son parti fasse partie de Sumar, le partenaire de la coalition gouvernementale à laquelle s’opposait la manifestation pour avoir continué à commercer avec Israël.
«Des milliers de militants font la fierté de notre organisation et œuvrent depuis des décennies en faveur du peuple palestinien. C'est cette légitimité qui nous permet d'adopter cette position, une position que personne au sein de notre organisation ne remet en question», a-t-il déclaré.
Quelques jours plus tôt, le Centre Delàs d'Estudis per la Pau a révélé qu'entre octobre 2023 et mars 2025, l'Espagne avait exporté 88 cargaisons d'armes vers Israël, pour une valeur de 5,3 millions d'euros. Ces cargaisons comprenaient des munitions, des explosifs et des pièces de drones, malgré la prétendue suspension des ventes d'armes par le gouvernement espagnol. De plus, l'Espagne a attribué 46 contrats d'une valeur de plus d'un milliard d'euros à des entreprises d'armement israéliennes depuis le début de l'offensive contre Gaza.
Ces révélations mettent plus encore à nu le cynisme du gouvernement PSOE-Sumar, depuis sa reconnaissance creuse d’un État palestinien inexistant jusqu’à son soutien en paroles des enquêtes internationales sur le génocide, en passant par ses appels répétés à un cessez-le-feu, que Tel-Aviv ignore ouvertement.
La dirigeante de Podemos, Ione Belarra, a qualifié le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, de «Hitler de notre temps», tout en déplorant la «terrible leçon d'histoire» donnée par le sionisme, «faisant au peuple palestinien ce que les nazis ont fait aux Juifs». Elle a également accusé le Premier ministre Pedro Sánchez d'avoir menti au Parlement lorsqu'il a affirmé que l'Espagne ne vendait pas d'armes à Israël.
Mais ces critiques sont une imposture. Podemos est un parti clé soutenant le gouvernement minoritaire PSOE-Sumar et pourrait même le faire chuter au Parlement. De plus, Podemos s'est déjà rendu complice du génocide par ses ventes d'armes à Israël, qui ont duré des mois. Durant les 45 jours qui suivirent le soulèvement palestinien du 7 octobre, jusqu'à son départ du gouvernement en 2023, il était au gouvernement pendant que Madrid vendait ou achetait des armes à Israël à hauteur de millions d’euros.
En réalité, malgré que Belarra ait qualifié Netanyahou de «Hitler de notre temps», lorsque Podemos faisait partie de la coalition gouvernementale avec le PSOE de 2020 à 2023, les liens politiques, économiques et militaires de l'Espagne avec le régime d'extrême droite de Netanyahou se sont intensifiés pour atteindre des niveaux records . Durant cette période, le gouvernement espagnol a non seulement maintenu, mais intensifié ses exportations d'armes vers Israël, livrant notamment des munitions, des explosifs et des composants pour avions et drones militaires, malgré l'escalade des crimes de guerre commis par Israël à Gaza et en Cisjordanie. Ces transactions, dont beaucoup ont eu lieu alors que Podemos occupait des postes ministériels, révèlent la complicité totale de ce parti.
Des groupes pseudo-de gauche dans l’orbite de Podemos ont également rejoint la manifestation. Parmi eux se trouvait le Corriente Revolucionaria de Trabajadores y Trabajadoras (CRT), affiliée au parti moréniste argentin PTS et à Révolution Permanente en France.
Lucía Nistal, porte-parole du CRT, a déclaré: «Il est temps d’amplifier toutes les mobilisations pour la Palestine, ainsi que de multiplier les exemples où la classe ouvrière refuse de fabriquer les armes qui sont ensuite vendues à l'État génocidaire, et refuse de les charger ou de les transporter.» Elle a ajouté: «Nous devons exiger avec force que les syndicats prennent position et appellent à de grandes grèves générales en solidarité avec le peuple palestinien. Il est temps d'agir, pas de parler.»
Mais l'appel de Nistal aux principales bureaucraties syndicales espagnoles, CCOO et UGT, induit les travailleurs en erreur et les pousse à s'appuyer sur des institutions complices du génocide. Comme l'a révélé le WSWS, ces bureaucraties ont activement soutenu le gouvernement PSOE-Sumar et sont restées silencieuses sur les exportations d'armes espagnoles. Elles ont systématiquement réprimé l'opposition de la classe ouvrière à la guerre et au militarisme.
En effet, ces mêmes syndicats ont apporté leur soutien sans réserve au programme de réarmement massif de l'Union européenne, s'alignant sur les préparatifs de guerre de la classe dirigeante. L'UE a dévoilé un plan visant à mobiliser 800 milliards d'euros pour l'armement, marquant ainsi la plus grande campagne de réarmement sur le continent depuis la Seconde Guerre mondiale.
En Espagne, le gouvernement a accéléré ses dépenses militaires, avançant son objectif d'allouer 2 pour cent du PIB à la défense, un total de 33,123 milliards d'euros étent déjà engagés. Des dirigeants syndicaux comme le secrétaire général de l'UGT Pepe Álvarez ont justifié cette militarisation sous couvert d'«autonomie stratégique», prônant une augmentation de la production d'armes et suggérant même une taxe de défense pour les citoyens.
En appelant ces milieux à agir, le CRT détourne l'opposition grandissante vers une impasse. Ce qu’il faut ce n’est pas de faire appel à des dirigeants syndicaux corrompus mais de construire des organisations de la base indépendantes qui luttent pour un programme socialiste et internationaliste contre la guerre et le génocide.
Mettre fin au génocide nécessite la construction d'un nouveau mouvement socialiste internationaliste dans la classe ouvrière. Cela implique une rupture décisive d’avec le PSOE, Sumar, Podemos et d’avec les bureaucraties syndicales qui collaborent avec eux. Cela implique de mobiliser les travailleurs de toute l'Europe et du monde dans des grèves de masse, non seulement pour stopper l'afflux d'armes vers Israël, mais aussi pour lutter contre le système impérialiste qui engendre le génocide.
Les revendications exprimées à la manifestation de Madrid, en faveur d'un embargo sur les armes, de sanctions et de justice, ne peuvent être satisfaites que par l'organisation politique indépendante de la classe ouvrière. Cela nécessite la création de sections du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) en Espagne et dans toute l'Europe, dédiées au renversement révolutionnaire du capitalisme et à l'instauration du socialisme à l'échelle mondiale.
(Article paru en anglais le 12 mai 2025)