La classe dirigeante québécoise se range derrière l'hystérie guerrière anti-russe

Toutes les sections de la classe dirigeante québécoise – qu’elles soient fédéralistes ou indépendantistes, supposément «de gauche» ou ouvertement de droite – se sont rangées derrière la campagne guerrière, hautement dangereuse, que mène Ottawa aux côtés de Washington et de l'OTAN contre la Russie.

Le jour même de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, le premier ministre québécois de la Coalition Avenir Québec (CAQ), François Legault, a dit: «On va appuyer Justin Trudeau et le gouvernement fédéral pour mettre en place toutes les mesures de répression, entre autres économiques, pour cesser de faire des affaires avec la Russie».

Le premier ministre québécois François Legault (Wikimedia Commons)

Dans les près de trois semaines qui se sont écoulées depuis le début de la guerre, l’establishment québécois a accueilli avec enthousiasme la décision d’Ottawa de se joindre au premier ministre conservateur britannique Boris Johnson et au président américain Joe Biden pour pousser l’OTAN à lancer une guerre économique totale contre la Russie. Celle-ci comprend le gel de tous les avoirs de la banque centrale russe, la quasi-exclusion de la Russie du système SWIFT d’échanges bancaires internationaux, la préparation de tarifs douaniers massifs sur les exportations russes et la mise en place d’une interdiction des exportations pétrolières et gazières de la Russie.

En plus d'envenimer les tensions avec la Russie, les dures sanctions économiques imposées par les puissances occidentales ont déjà accentué les difficultés économiques de dizaines millions de gens ordinaires en Russie. Dans un geste visant à attiser les sentiments anti-russes, le premier ministre québécois a banni tous les alcools d'importation russe vendus par l'État.

Devant les appels frénétiques de la bourgeoisie canadienne à utiliser le pétrole et le gaz naturel canadiens pour alimenter l'Europe, qui importe une partie substantielle de son énergie à la Russie, Legault, faisant ses propres calculs géopolitiques pour le compte de la bourgeoisie québécoise, a promis que les «énergies renouvelables» du Québec serviraient à «aider» l'Europe.

Dans une opération qui rappelle les campagnes médiatiques mensongères qui ont précédé l'invasion militaire de petits pays sans défense par les États-Unis et leurs alliés, dont le Canada, et l'assassinat de leurs chefs d'État, comme Saddam Hussein en Irak ou Mouammar Kadhafi en Libye, les médias de la grande entreprise ont fait leur part pour diaboliser Vladimir Poutine.

Josée Legault du Journal de Montréal, a donné le ton: «Que cela se passe dans un pays européen, indépendant, démocratique et pacifique, attaqué brutalement par une autocratie voisine, c’est injustifiable. (…) Si l’Ukraine tombe, quel autre pays, quel autre peuple, sera la prochaine victime sacrificielle de Poutine?»

Le Bloc québécois (BQ), un parti indépendantiste qui représente les intérêts de la classe dirigeante québécoise au Parlement fédéral, a adopté le même ton va-t-en guerre que le NPD, un parti social-démocrate proche des syndicats, et des conservateurs, le parti plus ouvertement de droite au parlement fédéral. Yves-François Blanchet, le chef du BQ, a réclamé des «sanctions immédiates plus sévères» en ajoutant qu'elles sont «la seule façon de faire reculer le dictateur russe».

Faisant écho à Trudeau, il a ajouté qu'il «faut éviter à tout prix de s'aventurer sur le terrain directement militaire parce qu'à ce moment-là on s'inscrit dans une escalade dont on ne peut garantir qu'on va garder le contrôle».

En réalité, l’escalade de l’OTAN bat son plein régime. Ses opérations militaires en Europe de l'Est, les sanctions économiques occidentales et la propagande impitoyable à l'endroit de Poutine et de la Russie sont le point culminant des efforts de longue date des États-Unis, du Canada et de leurs alliés européens pour menacer et provoquer la Russie, visant sciemment à l'entraîner dans une guerre ruineuse.

Les pays de l'OTAN, malgré les assurances qu'ils ont données à l'URSS suite à sa dissolution en 1991, ont étendu l'OTAN jusqu'aux portes de la Russie et ont positionné ces dernières années des groupes de combat dans les trois états baltiques et la Pologne, ainsi qu’un système de missiles à capacité nucléaire en Roumanie. En 2014, un coup d'État orchestré par les États-Unis en s’appuyant sur des groupes fascistes a renversé le président pro-russe démocratiquement élu de l’Ukraine.

Durant les sept dernières années, les puissances de l’OTAN ont fourni une aide militaire considérable à l’Ukraine. Celle-ci comprend une mission d’entraînement menée par les Forces armées canadiennes (FAC) que le gouvernement libéral fédéral de Justin Trudeau a prolongée en janvier pour deux autres années.

Une grosse partie de cette aide militaire directe a afflué vers de nombreux groupes ukrainiens d'extrême droite, qui ont mené la guerre contre les provinces séparatistes prorusses du Donbass et qui servent maintenant de bélier dans la guerre par procuration que l'OTAN mène contre la Russie. Depuis des années, l’OTAN mène également des exercices militaires massifs et provocateurs dans la Mer Noire et des pays d’Europe de l’Est membres de l’OTAN qui bordent la Russie.

Mais sans le dire ouvertement, Blanchet est forcé de reconnaître que les manœuvres militaires antirusses de l'OTAN pourraient vite dégénérer en conflit mondial, où les deux côtés possèdent l'arme nucléaire. Cela met en évidence l'extrême imprudence du Canada et de ses alliés, qui, au lieu de chercher à désamorcer le conflit, sont en train de jeter des explosifs au cœur d'un volcan actif.

L'appui de la classe dirigeante québécoise – fédéralistes et indépendantistes confondus – à l'OTAN et à ses actes guerriers ne doit surprendre personne. Que ce soit en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye ou ailleurs, Ottawa a pu compter au Québec sur les deux partis qui ont gouverné en alternance jusqu’à tout récemment, le Parti québécois et le Parti libéral, ainsi que sur le Bloc québécois et les grands médias québécois, pour relayer la propagande mensongère et hypocrite sur les «droits de l'homme» ou la «responsabilité de protéger». L’élite dirigeante québécoise a ainsi donné une couverture aux guerres de conquête menées sous l’égide de Washington qui ont fait des millions de victimes et causé des dizaines de millions de réfugiés.

Lorsqu’Ottawa et les médias de la grande entreprise dans tout le Canada s’agitent pour dénoncer les «crimes de guerre» imputés à la Russie, il est crucial de rappeler au moins quelques-uns des nombreux crimes contre l’humanité commis par le Canada: l’implication de premier plan des FAC dans la guerre néo-coloniale en Afghanistan menée par Washington, qui a fait au moins 250.000 morts; la complicité d’Ottawa dans l’emprisonnement et la torture d’un enfant soldat, Omar Khadr, à Guantanamo Bay; la collaboration des FAC avec des groupes islamistes dans la guerre de changement de régime en Libye en 2011; ou encore la collaboration du Canada avec le régime despotique d’Arabie saoudite, qui mène une guerre dévastatrice au Yémen et qui vient d’exécuter 81 personnes.

Jean Charest, premier ministre du Québec pour le Parti libéral de 2003 à 2012 et actuellement candidat à la chefferie du Parti conservateur, a rédigé un commentaire pour le très à droite National Post, dans lequel il appelle le Canada à se préparer davantage pour défendre ses intérêts géopolitiques en affirmant que «notre monde a changé pour toujours, le Canada doit changer». Charest réclame le renforcement de la capacité militaire et des services de renseignements en écrivant que c’«est comme ça qu'on peut jouer dans la cour des grands».

Un rôle particulièrement pernicieux est joué par le parti de la pseudo-gauche, Québec solidaire. Représentant les intérêts des couches aisées de la classe moyenne qui ont fait leur paix avec l'impérialisme, QS, depuis sa fondation en 2006, a appuyé toutes les guerres de conquête menées par Washington avec la pleine participation de son allié canadien. Il n’a jamais soulevé la moindre critique de l’énorme augmentation des dépenses militaires du Canada, particulièrement sous le gouvernement Trudeau.

Une vraie opposition à la guerre nécessiterait de s’attaquer à ses causes profondes – le capitalisme mondial et le système d’États-nations rivaux dans lequel il est enraciné – et de se tourner vers la seule force sociale qui n’a aucun intérêt à la guerre, c’est-à-dire la classe ouvrière internationale. Québec Solidaire utilise plutôt son crédit «de gauche» pour régurgiter le discours hypocrite sur les «droits de l'homme» comme prétexte aux interventions militaires du Canada.

La veille de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, QS a déposé une motion entièrement pro-impérialiste à l'Assemblée nationale du Québec. Même si elle appelle à une «résolution pacifique basée sur la négociation et le respect du droit international», la motion accepte entièrement le discours mensonger des puissances occidentales et de leurs médias serviles, selon lequel la responsabilité du conflit retombe entièrement sur la Russie.

La motion passe sous silence les efforts de plusieurs décennies des États-Unis et des autres pays de l’OTAN, y compris le Canada, pour faire de l’Ukraine un État satellite, et plus récemment, la rampe de lancement d’une guerre désastreuse contre la Russie. Le but visé est de démembrer le vaste territoire de la Russie, de s’emparer de ses riches ressources naturelles et de préparer le terrain géopolitique et militaire pour attaquer la Chine, que les États-Unis considèrent comme leur principal rival.

C’est pour ces raisons que la CAQ, le Parti québécois indépendantiste et le Parti libéral, tous des partis qui défendent le capitalisme québécois et les intérêts impérialistes du Canada, n'ont eu aucune difficulté à voter unanimement en faveur de la motion de QS.

La motion justifie les opérations guerrières potentiellement catastrophiques de l'OTAN en semant le mensonge que la crise actuelle tourne autour du «droit du peuple ukrainien de vivre dans un pays en paix, prospère et souverain». En présentant la motion, le député de QS Andres Fontecilla a écarté tout besoin de placer la guerre dans son contexte historique et d’aller au-delà des appels moraux frauduleux utilisés par les puissances impérialistes pour justifier leur politique agressive. «Mais, l'heure est trop grave pour parler d'histoire», a déclaré Fontecilla.

QS voit la guerre en Ukraine comme une autre occasion de prouver à la classe dirigeante qu'elle peut compter sur lui pour défendre ses intérêts de classe de façon impitoyable. Les couches sociales aisées qu'il représente ne laisseront pas l'histoire – notamment les trois dernières décennies qui ont vu les États-Unis et leurs alliés canadiens et européens violer sans relâche la «souveraineté» de petits pays appauvris en semant la mort et la destruction – se mettre en travers de leurs efforts de longue date pour gagner leur place au sein de l'establishment dirigeant québécois.

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