Le président sri-lankais Gotabhaya Rajapakse a fui le pays aux premières heures mercredi matin à bord d’un avion militaire qui a atterri aux Maldives voisines.
Cette opération secrète faisait suite à un soulèvement populaire massif samedi. Des travailleurs et des jeunes ont pris d’assaut le palais présidentiel à Colombo et ont exigé la fin immédiate du régime largement détesté.
Ce soulèvement, qui a impliqué des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes, a fait suite à trois mois de manifestations continues. La colère est massive face à la montée en flèche du coût de la vie, aux pénuries de produits de première nécessité et au programme d’austérité du gouvernement qui vise à faire payer aux travailleurs la crise économique qui s’aggrave.
Après le soulèvement de samedi, Rajapakse et son premier ministre Ranil Wickremesinghe ont annoncé qu’ils démissionneraient, une demande qu’ils avaient rejetée pendant des mois.
De plus en plus isolé, Rajapakse s’est envolé pour Malé, la capitale des Maldives, où il est arrivé vers 3h du matin, heure locale. Son frère Basil Rajapakse, l’ancien ministre des Finances, a également fui. Tous deux auraient tenté de quitter le pays mardi, mais ils ont été empêchés par les agents de l’immigration.
Le départ ignominieux du président témoigne de l’immense puissance du mouvement qui a émergé dans la classe ouvrière.
Le soulèvement sri-lankais s’inscrit dans le cadre d’une recrudescence internationale de la lutte des classes.
La profonde crise sociale, économique et politique de l’île est l’expression la plus marquée d’une crise globale du capitalisme intensifiée par la réponse criminelle de «laisser-faire» des gouvernements du monde entier à la pandémie de COVID-19 et exacerbée par la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine.
Partout, les travailleurs entrent en conflit avec le programme capitaliste d’austérité, d’infection massive durant la pandémie et d’offensive renforcée sur les salaires et les conditions de vie dans un contexte d’inflation galopante.
Les scènes d’un président quittant furtivement son pays au cœur de la nuit ont sans doute été observées avec inquiétude par les gouvernements du monde entier. Dans chaque pays, les partis traditionnels du pouvoir capitaliste traversent une crise de plus en plus profonde et une opposition sociale explosive se développe.
La classe dirigeante sri-lankaise qui cherche désespérément à sauver son pouvoir pose de sérieux dangers. Immédiatement avant son départ, Rajapakse a participé à des pourparlers obscurs avec l’armée.
Lundi, il serait sorti de sa cachette pour une réunion à huis clos avec les commandants de l’armée, de la marine et de l’armée de l’air. Aucun détail n’a été communiqué. Cependant, des centaines de membres du personnel de sécurité ont été déployés mardi devant les principales chaînes de télévision publiques du pays, la Sri Lanka Rupavahini Corporation et l’Independent Television Network.
Rajapakse doit quitter son poste aujourd’hui [mercredi]. Jusqu’à ce qu’il démissionne officiellement, il conserve les pouvoirs étendus de la présidence exécutive, notamment celui de démettre le gouvernement, de déclarer l’état d’urgence et de mobiliser l’armée.
Que Rajapakse reste aux Maldives et démissionne ou non, la menace d’une intervention militaire contre le mouvement de masse des travailleurs et des ruraux pauvres demeure, tandis que la crise sociale et économique s’aggrave et que les partis officiels ne proposent rien d’autre qu’une austérité accrue.
Le chiffre officiel annualisé de l’inflation alimentaire a atteint 80 pour cent le mois dernier et les prix de tous les produits de première nécessité continuent de grimper en flèche. Le système de santé est en train de s’effondrer dans un contexte de grave pénurie de médicaments et de fournitures médicales. Les salaires réels des travailleurs ont chuté de plus de 50 pour cent cette année. Plus de 70 pour cent de la population sont contraints de sauter des repas en raison du manque de nourriture.
Le déferlement de la colère populaire déclenche des craintes intenses dans les cercles dirigeants. La Chambre de commerce de Ceylan a publié dimanche une déclaration qui exige la démission du président et demande aux chefs de parti d’assurer une transition en douceur du pouvoir, conformément à la constitution. «On espère que les chefs de parti mettront de côté leurs désaccords idéologiques et se réuniront en tant que Sri Lankais en ce moment historique pour éviter que le pays ne sombre dans l’anarchie», a-t-elle déclaré.
Le premier ministre Wickremesinghe a publié une déclaration spéciale lundi, déclarant: «Je protégerai la constitution. Personne ne peut y passer outre et personne ne peut dicter quoi faire au parlement depuis l’extérieur». Sa défense de la constitution, qui consacre les pouvoirs autocratiques de la présidence exécutive, n’est rien d’autre que la défense de l’État capitaliste, de la propriété privée et de l’exploitation des travailleurs.
Wickremesinghe a déclaré qu’il se retirerait une fois qu’un gouvernement intérimaire d’union nationale, bricolé à la hâte à huis clos, serait mis en place. Les dirigeants des partis parlementaires ont participé à une réunion convoquée par le président du Parlement, Mahinda Yapa Abeywardhane, lundi, qui a annoncé que le Parlement votera pour élire un nouveau président le 20 juillet.
La fameuse alliance de dix partis, comprenant le Samagi Jana Balawegaya (SJB), le Sri Lanka Freedom Party (SLFP) et le groupe «indépendant» dissident du Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP) de Rajapakse, s’est réunie dimanche dernier. Ils ont décidé de nommer Dullas Alahapperuma, parlementaire du SLPP, et Sajith Premadasa, chef du SJB, comme candidats aux postes de président et de premier ministre. Le SJB est le plus gros parti d’opposition parlementaire.
Lundi, le chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP), Anura Kumara Dissanayake, a également assuré à la classe dirigeante qu’il était prêt à gouverner en son nom. Il a déclaré aux médias: «Nous sommes prêts à prendre la tête du gouvernement pour une certaine période… Nous sommes prêts à assumer cette responsabilité». Il a reçu des encouragements de l’ambassadrice américaine à Colombo, Julie Chung, qui, après avoir rencontré les dirigeants du JVP, a déclaré que le JVP était «un parti important» avec «une présence croissante», avec lequel elle a «un bon accord».
Les dirigeants des manifestations vertes de Galle Face dans le centre de Colombo ont rencontré mardi les partis d’opposition, les syndicats et les soi-disant «organisations de masse» pour discuter de leur «plan d’action». Celui-ci est entièrement destiné à faire pression sur un gouvernement intérimaire pour qu’il mette en œuvre des mesures visant à atténuer la crise sociale. À cette fin, ces dirigeants autoproclamés appellent à la création de «conseils du peuple» pour dialoguer avec le gouvernement provisoire.
La Frontline Socialist Party (FSP) de la pseudogauche, qui a joué un rôle important dans les manifestations, joue un rôle particulièrement insidieux en entretenant l’illusion qu’un gouvernement provisoire et de nouvelles élections atténueraient les souffrances des masses. Son chef Kumar Gunaratnam a déclaré aux médias qu’un gouvernement provisoire «ne devrait rien mettre en œuvre d’autre que les objectifs de la lutte» et créer les conditions nécessaires à la tenue d’élections «libres et équitables».
Tout gouvernement intérimaire fera exactement le contraire. Seul le Parti de l’égalité socialiste (SEP) a souligné à plusieurs reprises qu’il n’y aura pas de solution à l’intense souffrance des masses sous le régime bourgeois et le système de profit capitaliste. Il a averti que le gouvernement provisoire est un piège politique pour les travailleurs.
Tous les partis parlementaires qui se bousculent pour former un gouvernement intérimaire s’engagent à mettre en œuvre le programme d’austérité sévère exigé par le Fonds monétaire international (FMI). Le programme du FMI ne mettra pas fin à la crise sociale mais l’intensifiera rapidement et ne peut être imposé démocratiquement. Toute élection qui sera organisée ne sera ni libre ni équitable. Son objectif sera de faire gagner du temps à la classe dirigeante en confinant le mouvement de masse dans des canaux parlementaires sûrs, tout en ouvrant la voie à des mesures d’état policier et à des formes de pouvoir dictatoriales.
Le PES appelle les travailleurs à rejeter le gouvernement intérimaire, quelle que soit sa forme, et à se mobiliser indépendamment pour lutter pour une solution socialiste révolutionnaire aux questions brûlantes auxquelles ils sont confrontés. Nous appelons à la formation de comités d’action – indépendants des syndicats qui bloquent et trahissent toutes les luttes des travailleurs – afin que les travailleurs luttent pour leurs intérêts de classe, et non de «conseils populaires» pour quémander des miettes au gouvernement intérimaire.
Le PES préconise des mesures pour lesquelles la classe ouvrière, par le biais de ses comités d’action, peut lutter directement afin de répondre à ses besoins économiques et sociaux urgents, dont le contrôle démocratique de la production et de la distribution par les travailleurs, la répudiation de toute dette extérieure, le rejet du programme d’austérité du FMI, un monopole de l’État sur le commerce extérieur, la saisie de la richesse des milliardaires et des sociétés, et le rétablissement et l’expansion de toutes les subventions de prix, y compris sur les engrais pour les agriculteurs.
Le PES appelle à l’unité de la classe ouvrière – cinghalaise, tamoule et musulmane – et au rejet de toutes les formes de communautarisme et de nationalisme. Il est nécessaire que les travailleurs sri lankais se tournent vers la classe ouvrière en Inde, dans toute la région et au niveau international. Une telle lutte de la classe ouvrière ralliera à ses côtés les agriculteurs pauvres et les jeunes, et fournira la base pour établir un gouvernement d’ouvriers et de paysans, engagé dans des politiques socialistes. Cela fait partie de la lutte plus large pour le socialisme en Asie du Sud et au niveau international.
(Article paru en anglais le 13 juillet 2022)
