«Fourth of July» et la campagne vindicative contre l’humoriste Louis C.K.

Réalisé par Louis C.K.; écrit par C.K. et Joe List

Fourth of Julyest une comédie dramatique familiale de l’humoriste américain Louis C.K. Un pianiste de jazz et ancien alcoolique, Jeff (co-scénariste Joe List), qui vit maintenant à New York, se rend dans le Maine rural pour une visite annuelle à sa famille étendue et rétrograde de la Nouvelle-Angleterre. Cette fois, Jeff a l’intention de confronter ses parents avec ce qu’il considère comme leurs erreurs, voire leur mauvais traitement.

Le film a été co-écrit, réalisé, produit et financé par C.K. Il a été présenté en première au Beacon Theatre de New York le 30 juin.

La participation de C.K. a, à elle seule, modifié la réception de Fourth of Julypar les médias, mais aussi par le public.

En novembre 2017, le New York Timesa publié un article comprenant des allégations de cinq femmes selon lesquelles C.K. avait agi de manière grossière et inappropriée en leur présence. Il a reconnu ce comportement fautif et s’en est excusé.

Cependant, le WSWS notait à l’époque: «Louis C.K. n’est pas un monstre qui mérite d’être liquidé. Il semble souffrir de troubles émotionnels qui trouvent leur expression dans son exhibitionnisme compulsif. Il devait certainement y avoir un moyen de traiter sa forme de trouble du comportement sans mettre fin à sa carrière d’acteur et d’humoriste. Peut-être que l’un de ses producteurs, réalisateurs ou agents aurait pu faire plus, ou n’importe quoi, pour aider Louis C.K. s’il n’avait pas été aussi déterminé à tirer le plus d’argent possible du travail de l’humoriste.»

Quoi qu’il en soit, à partir de ce moment-là, grâce à la chasse aux sorcières #MeToo, C.K. allait être connu comme le «comédien disgracié». Ses projets ont été annulés ou mis au rancard (notamment son film I Love You, Daddy). C.K. a tenté de ressusciter sa carrière d’humoriste de stand-up et de cinéma, face à des dénonciations incessantes. Dans l’ensemble, les militants de la morale estiment qu’il n’a pas fait preuve d’un repentir suffisant et qu’il doit passer encore des années au purgatoire.

Fourth of Julyest une œuvre généralement aimable et humaine, bien que légère. Elle s’inspire vraisemblablement des antécédents de C.K. et de List, qui ont chacun passé une partie de leur enfance à Boston ou dans ses environs.

Jeff est un individu névrosé et peu sûr de lui. Dans une première scène, il raconte à son thérapeute (C.K.) qu’il a maintenant vécu quatre expériences au cours desquelles il croit (à tort, bien sûr) avoir renversé quelqu’un avec sa voiture. Chaque incident semble impliquer une conversation ou un autre type d’interaction avec la mère dominatrice de Jeff. Il est également convaincu qu’il a un problème avec le côté de son visage, malgré l’absence totale de preuves médicales.

Jeff rencontre son parrain des Alcooliques Anonymes (AA), Bill (Bill Scheft), qui l’incite à devenir à son tour le mentor d’un autre individu récemment sobre, Bobby (Robert Kelly), un batteur. En réponse à un flot de platitudes AA, le dur à cuire Bobby se plaint à un moment donné que Jeff «parle en autocollants de pare-chocs».

Jeff: Si l’envie de boire te prend, appelle-moi.

Bobby: Pour que l’on boive ensemble?

Jeff ne se réjouit pas de ses vacances annuelles. «Annulons-les», suggère-t-il impulsivement à sa femme Beth (Sarah Tollemache), qui s’étonne de la remarque. «Mon père me déteste, ma mère te déteste», poursuit-il. Il apparaît que Beth n’est pas heureuse qu’ils n’aient pas eu d’enfant.

Finalement, en ce qui concerne le voyage redouté dans le Maine et les questions connexes, Jeff insiste carrément auprès de Beth: «Je vais y aller seul... je vais confronter, tuer mes parents, te mettre enceinte... nous allons mourir.»

Arrivé dans le Maine, Jeff est fidèle à sa parole. Il annonce à ses parents: «Vous ne m’avez jamais montré d’amour». Sa mère (Paula Plum) le prend dans ses bras avec désinvolture et considère que l’affaire est close. Le père de Jeff (Robert Walsh), l’une des présences les plus troublantes du film, ne prononce presque pas un mot. Son expression suggère la mélancolie et le regret les plus profonds.

Les différents oncles, tantes et cousins déversent un véritable torrent d’arriération, en ce qui concerne la ville de New York détestée, la culture, le jazz, la sobriété, l’homosexualité, etc. L’oncle de Jeff, Kevin (Nick Di Paolo), est l’un des pires, s’en prenant sans cesse à son neveu. La conversation générale tourne aux commentaires dérisoires sur le fait que Jeff «devient sobre, devient gay». Il n’y a «plus rien de décent», etc.

Les choses s’accumulent. Jeff finit par s’en prendre à sa famille, qu’il traite de «bande d’ivrognes». Il s’en prend à sa mère en particulier, la qualifiant d’«araignée» qui enveloppe et étouffe tout le monde. Jeff poursuit avec enthousiasme: «Allez tous vous faire foutre... Je vous déteste. Je me déteste aussi.»

Les différents membres de la famille sont outrés par son ingratitude et son manque d’appréciation. Sa mère le confronte le lendemain matin: «Je suis une araignée, tu as dit... Tu rends ton père responsable de tes problèmes. Tu as brisé le cœur de ton père.» Dans l’une des rares références à la situation générale, elle poursuit: «Nous maintenons la paix. C’est le week-end du 4 juillet. Nous célébrons notre nation.» De grands drapeaux américains sont en abondance.

Plus tard, le père de Jeff dérive de pièce en pièce. Il propose une sorte de monologue hésitant et douloureux: «Je ... pense ... que j’ai honte. ... Je me sens mal. ... Je ... pense ... que je l’ai laissé tomber. C’est même pire que ça... laisser tomber quelqu’un, en premier lieu... Je pense que j’ai honte de moi. ... Je pense... qu’il est trop tard... pour tout. ... C’est trop tard.»

Cette phrase est reprise plus tard par Beth, après un rendez-vous avec un médecin concernant la possibilité d’avoir un enfant. Elle affirme aussi: «C’est trop tard.»

L’une ou l’autre de ces lignes a-t-elle une signification plus large, voire sociale? C’est possible, mais l’idée n’est jamais développée.

Le 4 juillet se termine plus ou moins bien, avec la réconciliation et le pardon dans l’air.

Il y a des aspects intéressants ici. La situation personnelle difficile est traitée avec une certaine sincérité. La famille est exaspérante, mais en même temps, toujours vivante et dynamique. Pas un groupe de prima donna en tout cas. Ils absorbent les dénonciations de Jeff, baissent momentanément la tête et persévèrent. Leur entêtement et leur quasi-stoïcisme, dans la partie la plus ancienne et la plus chargée de traditions du pays, ont sans doute son côté négatif, mais toutes les possibilités ne sont pas encore fermées. Une véritable opposition, au-delà des simples récriminations de Jeff, polariserait la situation, mais pourrait aussi ouvrir les yeux de certains.

Il est irritant de constater qu’un adulte, parfois à l’instigation d’un thérapeute, cherche à «se réconcilier» avec son enfance, ce qui revient souvent à rendre un ou plusieurs parents responsables de toutes les difficultés importantes rencontrées plus tard dans la vie. À moins qu’il n’y ait eu de véritables abus physiques ou psychologiques systématiques – ce qui ne semble pas être le cas dans cette affaire – les plaintes peuvent être déplacées. L’existence n’est facile pour personne dans ce monde. Il vaut mieux examiner les dimensions plus larges et les sources plus immédiates du malheur, les conditions et l’état de sa vie.

Les interprètes ont pris la situation au sérieux. Le film est habilement tourné et monté. C.K. fait preuve de sens du cinéma.

Mais tout cela est bien trop petit. Si un cinéaste américain intitule son œuvre «Fourth of July», une expression chargée d’histoire et de société, on est en droit de s’attendre à une sorte de déclaration plus large. Quel est l’état de la vie américaine en ce fameux anniversaire? Un aperçu? Un indice, même?

Le film de C.K. ne va pratiquement pas dans ce sens, si ce n’est qu’il affirme l’existence du patriotisme, de l’homophobie et de la personnalité étouffée, d’une part, et du manque de confiance et de la fragilité des libéraux, d’autre part. S’agit-il d’un plaidoyer pour un cessez-le-feu idéologique, voire d’un rameau d’olivier tendu vers «l’autre côté»?

Dans un commentaire du réalisateur, Louis C.K. explique que List et lui se sont «rencontrés sur le même sujet, la famille, à partir de deux perspectives différentes.» L’une, selon C.K., appartenait à un jeune homme «luttant pour trouver la confiance nécessaire pour fonder sa propre famille et découvrant qu’il est dépassé par les erreurs de la famille dans laquelle il a été élevé». L’autre était le point de vue «d’un père dont les enfants sont grands et qui commence à affronter les erreurs irréparables de sa jeune paternité et l’impact qu’elles pourraient avoir sur ses enfants.»

L’humoriste ajoute que «nous avons trouvé que le film était aussi un excellent moyen de parler de l’anxiété. L’anxiété, c’est quelque chose dont souffrent presque tous les gens que j’aime. J’ai beaucoup de remords dans ma vie pour avoir mal compris l’anxiété dont souffrent les gens que j’aime.»

C’est tout à fait convenable, mais pas vraiment bouleversant. D’une manière générale, C.K. et List ne sont pas allés beaucoup plus loin que la fixation des cinéastes actuels sur leur propre identité et leur malaise psychologique immédiat. Et, franchement, les circonstances émotionnelles et les perturbations de la classe moyenne relativement confortable, largement indifférente à la souffrance qui l’entoure, ne sont tout simplement pas si fascinantes.

Néanmoins, la réponse presque universellement hostile des soi-disant critiques de cinéma à Fourth of Julyest malhonnête et lâche. Le lecteur comprendra aisément que l’étroitesse de vue du film ne peut être une formidable pierre d’achoppement. La couverture médiatique n’est pas une critique, comme la nôtre, de la gauche. Après tout, les critiques trouvent chaque semaine des qualités à louer dans le dernier «blockbuster» de bande dessinée ou de super héros.

Le film de C.K. est approuvé à 33 % par les critiques d’un agrégateur d’avis populaire. Pendant ce temps, le film militariste Top Gun: Maverickobtient un taux d’approbation de 96 %, The Black Phone82 %, Doctor Strange in the Multiverse of Madness74 % et Thor: Love and Thunder65 %.

Il n’y a pas d’explication innocente à un tel phénomène. Les critiques partagent les vues de la foule #MeToo ou rampent devant ces forces réactionnaires. Les critiques qui laissent passer sous leurs yeux le matériel le plus stupide et le plus insouciant avec à peine un scrupule ont aiguisé leurs outils critiques pour attaquer Fourth of July. Certains prétendent aborder le film de C.K. de manière objective, comme si son «comportement honteux» n’avait aucune influence sur eux. D’autres ont vendu la mèche.

«Fourth of Julyest de la pacotille», commente Variety, «et de la pacotille facile à regarder. Mais ce qu’il offre sous la surface ressemble, en partie, à une défense clandestine des transgressions de Louis C.K.» Hollywood Reporterestime que si l’humoriste «voulait vraiment avoir un impact avec son premier film depuis l’inédit I Love You, Daddy, il aurait peut-être dû plutôt se plonger dans sa propre psyché».

Le Daily Beastaffirme que Fourth of Julypermet à son personnage central de «maudire puis de pardonner» à sa famille d’une manière qui «ressemble beaucoup au type d’amnistie que C.K. souhaite pour lui-même». En outre, le film est «un reflet subtil de la situation actuelle de C.K., conscient de ses défauts et néanmoins désespéré de voir les autres l’absoudre de ses péchés sans avoir à les expier d’abord». Amnistie? Expiation?

On pourrait continuer, mais à quoi bon? Les différents commentaires «cinglants» n’en deviendraient pas plus éclairants ni moins absurdes. Encore une fois, il faut se rappeler qu’il s’agit des médias américains, cette institution immonde et mensongère qui accepte sans broncher les invasions, les massacres, le droit des criminels de guerre (y compris tous les présidents américains de ces dernières décennies) à s’en tirer à bon compte, mais qui s’abat comme une tonne de briques sur un humoriste qui fait preuve de particularités et d’excès sexuels. Le procédé est cynique et répugnant à l’extrême.

(Article paru en anglais le 31 août 2022)

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