Le gouvernement grec tente de nier sa responsabilité dans la noyade de centaines de réfugiés

Le naufrage d’un bateau de pêche rempli de réfugiés à 80 kilomètres au sud-ouest de la ville grecque de Pylos est probablement la pire perte de vies de migrants dans le pays.

En juin 2016, on a recensé au moins 320 personnes comme mortes ou disparues après le naufrage d’un bateau près de la plus grande île de Grèce, la Crète. Jusqu’à présent, les autorités ont récupéré 78 corps dans cette nouvelle tragédie, mais des rapports suggèrent que 500 à 750 personnes se trouvaient à bord et qu’on a retrouvé seulement 104 survivants plus de 24 heures plus tard.

Des survivants d’un naufrage sont assis à l’intérieur d’un entrepôt dans le port de la ville de Kalamata, à environ 240 kilomètres au sud-ouest d’Athènes, le 15 juin 2023. Un bateau de pêche rempli de 750 migrants a chaviré et coulé le 14 juin au large des côtes grecques, selon les autorités, faisant au moins 79 morts. Des centaines d’autres personnes à bord sont probablement mortes. [AP Photo/Angelos Tzortzinis, Pool via AP]

Le navire a coulé aux premières heures de mercredi matin dans l’une des parties les plus profondes de la Méditerranée et il y a peu d’espoir de retrouver des survivants. L’amiral Nikos Spanos, ancien garde-côte grec, a déclaré à la chaîne publique grecque ERT que «les chances de retrouver d’autres personnes vivantes sont minimes», décrivant le type de vieux bateau de pêche utilisé pour la traversée comme n’étant «pas du tout en état de naviguer. En d’autres termes, il s’agit de cercueils flottants».

Les personnes présentes sur le bateau rapportent que de nombreuses personnes, y compris des femmes et des enfants, se trouvaient dans la cale sous le pont lorsque le navire a coulé. L’un d’entre eux a déclaré à un médecin: «Une centaine d’enfants se trouvent dans la cale». L’Organisation internationale pour les migrations a déclaré qu’au moins 40 enfants se trouvaient à bord, mais qu’on avait sauvé seulement huit d’entre eux.

Les survivants sont traumatisés et certains sont gravement malades. Trente d’entre eux ont été emmenés à l’hôpital afin d’y être soignés pour la pneumonie et l’épuisement. Erasmia Roumana, fonctionnaire des Nations Unies chargée des réfugiés, a déclaré à ERT: «Les gens sont en état de choc», car ils ont voyagé avec des membres de leur famille ou des amis qui sont maintenant morts ou portés disparus.

«Nous parlons de jeunes hommes, pour la plupart, qui sont dans un état de choc psychologique énorme et d’épuisement. Certains se sont évanouis en descendant des passerelles des bateaux qui les ont amenés ici».

Un secouriste grec a déclaré à CNN: «Ces personnes n’ont pas mangé depuis de nombreux jours, n’ont pas bu d’eau depuis de nombreux jours et elles ont été brûlées par le soleil».

Nombre d’entre eux risquent à présent la déportation. Le ministre grec de l’Immigration par intérim, Daniel Esdras, a déclaré qu’ils seront emmenés dans un camp de migrants pour que leur demande d’asile soit examinée, et que ceux dont la demande ne serait pas «valable» seraient renvoyés.

Les gardes-côtes et les gardes-frontières grecs, qui surveillent impitoyablement les frontières de la forteresse Europe et emploient des tactiques meurtrières de «refoulement» et d’abandon en mer des personnes en détresse, cherchent à rejeter la responsabilité sur les migrants eux-mêmes ou sur ceux qui les transportent.

Nikos Alexiou, porte-parole des gardes-côtes, a déclaré à Skai TV: «Il s’agissait d’un bateau de pêche rempli de personnes qui ont refusé notre aide parce qu’elles voulaient aller en Italie. Nous sommes restés à côté du bateau au cas où il aurait besoin de notre aide, ce qu’il a refusé».

Compte tenu des antécédents du gouvernement grec, il n’y a aucune raison de croire qu’une offre d’aide a été sérieusement fournie, et encore moins refusée. Les photos aériennes prises par les autorités grecques au cours de la journée de mardi montrent des migrants sur le pont, les bras tendus vers l’avion.

Mais si la version officielle est vraie, elle témoigne de l’effroyable brutalité anti-migrante du gouvernement grec, qui a poussé des centaines de personnes à risquer des heures plus périlleuses en mer pour atteindre les côtes italiennes, un pays gouverné par les «Frères d’Italie» de la démagogue fasciste Georgia Meloni, où cinq officiers de police ont été récemment arrêtés pour torture et lésions corporelles à l’encontre de migrants.

Quoi qu’il en soit, les déclarations des passeurs responsables ou les décisions prises par des migrants en situation désespérée et craignant les autorités grecques ne changent rien au fait que le navire était manifestement en grand danger. L’ONG d’aide aux réfugiés Alarm Phone a condamné les autorités grecques et européennes pour ne pas avoir agi alors qu’elles étaient «bien informées de l’existence de ce navire surchargé naviguant en pleine mer».

Vincent Cochetel, fonctionnaire des Nations unies, a déclaré: «Ce bateau n’était pas en état de naviguer et, quoi qu’aient pu dire certaines personnes à bord, la notion de détresse ne peut être discutée».

Une image fournie par les gardes-côtes grecs le mercredi 14 juin 2023 montre des dizaines de personnes couvrant pratiquement toutes les parties libres du pont d'un bateau de pêche endommagé qui a ensuite chaviré et coulé au large du sud de la Grèce, faisant au moins 79 morts et de nombreux disparus. [AP Photo/Hellenic Coast Guard via AP]

Pourtant, aucune tentative n’a été faite pour anticiper la catastrophe en déployant les avions, les navires, les équipes et les équipements nécessaires à une opération de sauvetage rapide: les six navires des gardes-côtes, la frégate de la marine, l’avion de transport militaire, l’hélicoptère de l’armée de l’air, les nombreux navires privés et les drones qui seraient actuellement impliqués dans l’opération de sauvetage.

Les autorités grecques espéraient manifestement que le navire passerait dans la zone de responsabilité de l’Italie, où elles pourraient se laver les mains de toute tragédie qui s’ensuivrait et de tout souci pour les êtres humains à bord.

Au lieu de cela, c'est le yacht de luxe Mayan Queen IV, d'une longueur de 93 mètres, et deux autres navires qui ont finalement joué un rôle important dans le sauvetage. Le yacht appartient à une famille mexicaine qui a gagné des milliards grâce à l'exploitation de mines d'argent, produisant ainsi certaines des images les plus choquantes de l'inégalité sociale que l'on puisse imaginer. Le yacht est évalué à 175 millions de dollars, avec des coûts de fonctionnement annuels de 15 à 20 millions de dollars.

Cochetel a insisté sur le fait qu’«un régime robuste et prévisible [de recherche et de sauvetage] dirigé par les États est nécessaire en Méditerranée centrale si nous voulons éviter que de telles tragédies ne se répètent». La Grèce et l’Union européenne font le contraire, en utilisant la patrouille frontalière de l’UE, Frontex, et des accords avec la Turquie et les régimes nord-africains pour rendre la traversée aussi difficile et dangereuse que possible, sous couvert de répression des «criminels» et des «passeurs».

Ylva Johansson, commissaire européenne chargée des affaires intérieures, a utilisé de manière grotesque cette dernière tragédie pour promouvoir la politique qui y a contribué, en déclarant: «Nous avons le devoir moral de démanteler les réseaux criminels… Avec les États membres et les pays tiers, nous devons redoubler d’efforts pour lutter contre ces passeurs en faillite morale».

Lors d'une réunion à Luxembourg la semaine dernière, l'UE a adopté une nouvelle politique commune de lutte contre l'immigration qui vise à priver les demandeurs d'asile de leurs droits légaux, à garantir leur internement dans des camps situés aux frontières de l'Europe et à accélérer leur expulsion vers des «pays tiers sûrs». Parmi ces pays, la Libye et la Tunisie ont reçu la visite de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, de Meloni et du premier ministre néerlandais, Mark Rutte, au début du mois.

Quelques jours auparavant, le gouvernement libyen avait entamé une répression massive contre les migrants en capturant des milliers de personnes – principalement des Égyptiens, mais aussi des Syriens, des Soudanais et des Pakistanais – en vue de les expulser.

Le rapport d’une mission d’enquête des Nations unies en Libye, publiée en avril dernier, a conclu qu’«on a commis des crimes contre l’humanité à l’encontre de migrants dans des lieux de détention placés sous le contrôle effectif ou nominal de la Direction de la lutte contre les migrations illégales, des gardes-côtes libyens et de l’appareil de soutien à la stabilité de la Libye. Ces entités ont reçu un soutien technique, logistique et financier de la part de l’Union européenne et de ses États membres, notamment pour l’interception et le renvoi des migrants».

Toujours selon le rapport, le gouvernement libyen avait récemment effectué des frappes de drones dans les villes portuaires de Zawiya et Zuwara, ciblant des «trafiquants d’êtres humains» et détruisant «sept bateaux de contrebande de migrants».

Alarm Phone a annoncé à peu près au même moment avoir «reçu des informations selon lesquelles des forces tunisiennes masquées battent violemment des migrants après les avoir interceptés en mer. Un témoin a rapporté: “Ils utilisent des bâtons et des décharges électriques. Les gens crient à l’aide”».

L'enfer sur terre que les puissances européennes créent pour les réfugiés incite à des voyages de plus en plus désespérés. Plus de mille personnes ont déjà été signalées mortes ou disparues en Méditerranée cette année, soit une augmentation d'un tiers par rapport à l'année dernière et après le trimestre le plus meurtrier depuis 2017.

(Article paru en anglais le 16 juin 2023)