Les plans d'intervention militaire pour rétablir le président renversé Mohamed Bazoum au Niger ont été suspendus par la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Quatre jours après l'expiration de la date limite pour son rétablissement dans ses fonctions, un sommet à huis clos s'est tenu jeudi à Abuja, capitale du Nigéria, le principal État de la CEDEAO. Son président Bola Tinubu a déclaré aux médias: « Nous donnons la priorité aux négociations diplomatiques et au dialogue comme fondement de notre approche » ajoutant qu'il était « de notre devoir d'épuiser toutes les voies d'engagement pour assurer un retour rapide à la gouvernance constitutionnelle au Niger ».
Il y a une semaine, le Nigeria et la CEDEAO parlaient d'une intervention militaire comme d'une quasi-certitude. Le Sénégal, le Bénin et la Côte d'Ivoire s'étaient tous engagés à fournir des troupes et des plans de bataille avaient été élaborés.
La CEDEAO était soutenue par les puissances impérialistes, le plus agressivement par l'ancienne puissance coloniale du Niger, la France, dont les 1 500 soldats sont menacés d'expulsion. Leur principale préoccupation, exprimée par le secrétaire d'État américain Antony Blinken, était que le Niger prenne le chemin du Mali et du Burkina Faso – où des coups d'État militaires ont eu lieu en mai 2021 et septembre 2022 – et se tourne vers la Russie et son groupe paramilitaire Wagner.
Des drapeaux russes figuraient dans des manifestations pro-coup d'État au Niger et ses chefs militaires auraient été en contact avec Wagner.
Blinken a déclaré mardi : « Je pense que ce qui s'est passé et ce qui continue de se passer au Niger n'a pas été provoqué par la Russie ou par Wagner, mais [...] ils ont essayé d'en profiter.
« Chaque endroit où ce groupe de Wagner est allé, la mort, la destruction et l'exploitation ont suivi. »
La Chine est également considérée comme une menace pour les intérêts impérialistes, qui détient des intérêts majeurs dans les mines d'uranium, les champs de pétrole et les raffineries du Niger. En 2019, le Commandement américain pour l'Afrique (AFRICOM) a lancé un plan quinquennal pour « dissuader les actions malveillantes chinoises et russes ». Les États-Unis ont officiellement deux bases militaires et 1 100 soldats au Niger.
Mais presque immédiatement, les responsables impérialistes ont lancé un avertissement, mettant l'accent sur la « médiation » et une « solution diplomatique » entre le Niger et la CEDEAO. Mercredi, Blinken a appelé dans un langage circonspect à « des efforts continus pour trouver une solution pacifique à la crise constitutionnelle actuelle », spécifiant seulement « la libération immédiate de [Bazoum] et de sa famille ».
La crainte qu'une guerre ne déstabilise les investissements impérialistes et les accords de sécurité ont joué un rôle, en particulier pour les puissances européennes, qui se sont tournées vers l'Afrique comme source d'exportation d'énergie dans le sillage de la guerre OTAN-Russie et comptent sur le Niger pour contrôler le mouvement des réfugiés à destination de l'Europe, qui traversent le Sahara pour atteindre la côte méditerranéenne.
Mais le principal problème auquel sont confrontés Washington et d'autres capitales impérialistes sont les sentiments anti-impérialistes et la colère sociale dans toute l'Afrique de l'Ouest, qui sapent la capacité de réaction de la CEDEAO, surtout le Nigeria.
Le Mali et le Burkina Faso ont été suspendus de la CEDEAO à la suite de coups d'État militaires qui ont expressément exploité le sentiment anti-colonialiste. Les soldats français et européens ont reçu l'ordre de partir.
Les deux pays se sont engagés à défendre le Niger contre toute guerre lancée contre lui. Ils ont écrit au Conseil de sécurité des Nations unies pour lui demander d'empêcher toute intervention militaire, « accusant les puissances occidentales d'utiliser la CEDEAO comme mandataire pour dissimuler une politique hostile envers le Niger », selon Al Jazeera.
Lors d'une visite dans la capitale nigérienne Niamey plus tôt dans la semaine, un porte-parole du gouvernement malien a déclaré: « Je voudrais vous rappeler que le Burkina Faso, le Mali et le Niger sont confrontés depuis plus de 10 ans aux conséquences [...] négatives de l’aventure de l’Otan en Libye ».
Les dirigeants militaires du Mali ont leurs propres raisons intéressées pour soulever ces points, mais ce sont des vérités et expriment des opinions largement partagées parmi les travailleurs et les pauvres ruraux.
La guerre menée par l'OTAN contre le gouvernement de Mouamar Kadhafi en 2011 a brisé la société libyenne et créé un terrain fertile pour les milices islamistes, dont les premières furent financées et formées par les États-Unis en tant que forces mandataires. Elles se sont ensuite répandues dans toute la région du Sahel, tuant des milliers de personnes et déplaçant des centaines de milliers d'autres, aidées par la pauvreté d'une région dévastée par des siècles de colonialisme et d'impérialisme occidentaux.
La violence incessante a depuis été utilisée comme prétexte par les puissances impérialistes qui ont installé troupes et bases militaires impérialistes pour opérer dans toute la région, sur fond d'hostilité populaire généralisée.
Les gouvernements du Mali et du Burkina Faso craignent cette colère. Leur plus grande inquiétude est qu'un conflit majeur parrainé par l'Occident libère les sentiments anti-impérialistes authentiques des masses, qu'ils imitent. Et que cela ne mène à leur propre expulsion des positions de pouvoir, à partir desquelles ils adoptent diverses poses anti-coloniales tout en supervisant l'exploitation incessante de la population par les banques et les grandes entreprises mondiales.
Le caractère de classe de ces régimes militaires a été mis en évidence par le Niger même, où Tchiani a nommé Ali Lamine Zeine au poste de Premier ministre, un ancien ministre des Finances qui supervisa une « restructuration » de l'économie nigérienne dirigée par le Fonds monétaire international au début des années 2000.
Des problèmes similaires ont fait surface au Nigeria. Les rodomontades de Tinubu juste après le coup d'État se sont dissipées au cours de la semaine dernière sous le regard de l'opposition populaire, en particulier dans le nord du pays dont les habitants ont des liens étroits avec les Nigériens.
La BBC a rapporté que de nombreuses personnes étaient « consternées par la coupure d'électricité au Niger ». Le pays dépend du Nigeria pour 70 pour cent de ses approvisionnements et a subi des pannes de courant.
Un commerçant de textile de 24 ans, qui envisage d'épouser une femme nigérienne, a déclaré au New York Times: « Si un conflit éclate, qui sera la victime ? Moi et la plupart d'entre nous qui ont la double nationalité. »
Le journal note que « les liens ethniques, la langue et les moyens de subsistance basés sur le commerce actif » lient les deux populations. La langue Hausa est répartie dans les deux pays, séparés par la frontière coloniale tracée par les colonie française au Niger et britannique au Nigéria.
Ce que le Financial Times a qualifié « d’opposition interne véhémente », se base sur la colère populaire croissante contre le programme économique brutal de Tinubu, adopté au nom des investisseurs internationaux, qui verra cette année le gouvernement dépenser 60 pour cent de ses revenus en remboursement de la dette. Les subventions aux carburants ont été réduites, triplant les prix de l'essence, et l'inflation atteint 22 pour cent, provoquant grèves et manifestations. Il n’y a que trois ans de cela, le pays était secoué par les manifestations anti-police End SARS.
L’inquiétude qu'une guerre impopulaire et coûteuse fasse exploser ce baril de poudre se sont répercutées dans les déclarations nerveuses exhortant à ne pas entrer en guerre de la part de divers politiciens, groupes de la société civile, conseils d'anciens et organisations religieuses. S’y est même joint le général Christopher Gwabin Musa, chef de la défense du Nigeria, le plus haut conseiller militaire en uniforme du président et du ministre de la Défense ; il a déclaré que le Nigeria et le Niger seraient « à côté l’un de l'autre pour toujours » et qu'une guerre serait comme « combattre son frère ».
Sans le Nigeria pour la diriger, toute intervention de la CEDEAO est impossible. Le pays a une population plus importante que les 14 autres États de l’organisation réunis, c’est la plus grande économie d'Afrique et son armée de quelque 230 000 soldats éclipse toutes les autres armées de la région.
Au milieu des stratagèmes géopolitiques, des conspirations et des jeux de pouvoir en Afrique occidentale et sur le reste du continent, le facteur décisif sont une classe ouvrière qui grandit rapidement et les pauvres ruraux. Leur hostilité envers les puissances impérialistes a fait que les soldats français ont été chassés presque entièrement de leurs anciens territoires coloniaux et que les États-Unis ont du adopter un profil bas, laissant les opérations majeures à des mandataires auxquels ils confèrent le titre de pays « libres » et « démocratiques ».
Comme le montre la situation au Nigéria, même cette stratégie se heurte à l'opposition populaire à l'influence néfaste et continue de l'impérialisme dans la région, privant ses clients de toute légitimité « démocratique ».
La menace de guerre demeure cependant, attisée par le conflit entre les puissances impérialistes d’une part et la Russie et la Chine de l’autre ; conflit qui éclate dans divers points chauds et via divers mandataires dans le monde entier. Tinubu a annoncé à l'issue du sommet de la CEDEAO à Abuja que « toutes les options restaient sur la table » et que la « force d’intervention » de la CEDEAO avait été activée.
Ce danger ne peut être évité qu'en organisant le sentiment anti-impérialiste et l'hostilité envers la classe dirigeante locale à partir d’un programme socialiste, qui permette aux travailleurs en Afrique d’unir leurs forces avec la classe ouvrière dans le reste du monde, dans une lutte contre la guerre et contre l’exploitation.
(Article paru en anglais le 11 août 2023)