Mercredi, la publication Jacobin, affiliée aux Socialistes démocrates d’Amérique (DSA), a publié un article intitulé «A Defense of Sweden’s Pandemic Response» (Une défense de la réponse de la Suède à la pandémie), qui adopte ouvertement la stratégie de «l’immunité collective» mise en place par le gouvernement suédois et exportée dans le monde entier.
L’article a été rédigé par Daniel Johansson, que Jacobin identifie comme «un conseiller politique du ministre suédois des Affaires sociales et de la Santé de 2019 à 2022», c’est-à-dire une personne directement impliquée dans la mise en œuvre des politiques d’infection et de mort massives du gouvernement suédois au cours des trois premières années de la pandémie.
Les arguments de Johansson, publiés sans critique par Jacobin, ne se distinguent pas fondamentalement des sujets de discussion des fanatiques de droite du COVID qui se sont réjouis de la réponse de la Suède. Aux côtés de Donald Trump et Boris Johnson, ainsi que du chroniqueur du New York Times Thomas Friedman, Jacobin insiste sur le fait que les impératifs du marché capitaliste empêchent l’adoption de mesures de santé publique globales visant à stopper la propagation du COVID-19.
Le bilan droitier de Jacobin sur la pandémie
L’article de Johansson est écrit en réponse à un article publié la semaine dernière par Jacobin, intitulé «The Swedish Left Failed the Vulnerable During the Pandemic» (La gauche suédoise a laissé tomber les plus vulnérables pendant la pandémie). Cet article, écrit par deux universitaires, Markus Balázs Göransson et Nicholas Loubere, proposait des critiques tièdes du gouvernement suédois et une évaluation erronée de la réponse des socialistes à la pandémie.
Tout en déplorant le soutien des organisations de «gauche» à la réponse de la Suède au COVID-19, l’article de Balázs Göransson et Loubere ne mentionne pas le fait que le magazine Jacobin a joué un rôle clé dans le soutien à l’«immunité collective» dès le début.
Tout d’abord, en septembre 2020, Jacobin a fait la promotion de Martin Kulldorf, l’universitaire américano-suédois coauteur de la Déclaration de Great Barrington (DGB) qui sanctionnait l’infection de masse par le COVID-19 avant même le déploiement des vaccins, et l’a même interviewé.
Dans un passage de l’interview, retweeté avec approbation par l’éditeur de Jacobin, Bhaskar Sunkara, Kulldorff a déclaré: «Le confinement est la pire attaque contre la classe ouvrière depuis un demi-siècle».
Peu après son entretien avec Jacobin, Kulldorf a tenu une réunion privée avec Donald Trump pour le conseiller sur sa réponse au COVID-19, qui consistait à rouvrir complètement les écoles, à décourager le port du masque et à encourager les grands rassemblements publics pour faciliter la propagation du virus. Jay Bhattacharya et Sunetra Gupta, coauteurs de la DGB, ainsi que Scott Atlas et Joseph Ladapo étaient également présents à la réunion.
Deuxièmement, Jacobin a rejoint les syndicats d’enseignants américains corrompus pour faire pression en faveur de la réouverture totale des écoles, malgré les inquiétudes généralisées concernant l’absence de mesures visant à arrêter la propagation du COVID dans les écoles.
Troisièmement, en décembre 2022, Jacobin a publié deux articles soutenant la levée du COVID zéro en Chine, une décision politique désastreuse mise en œuvre par le Parti communiste chinois (PCC) sous la pression intense de l’impérialisme américain et européen. Après avoir encouragé ce changement de politique anti-santé publique, Jacobin n’a fait aucune mention de l’infection et de la mort massives qui ont balayé la Chine, infectant pratiquement toute la population et tuant au moins 1 à 2 millions de personnes.
Dans l’ensemble, Jacobin est resté silencieux sur la pandémie, n’écrivant que quelques articles sur cet événement historique mondial.
Dans un échange sur Twitter, Loubere a confirmé qu’il était conscient que Jacobin promouvait les politiques qu’ils critiquaient mais «n’a pas vraiment vu la pertinence» de l’inclure, montrant la politique opportuniste qui domine dans ces milieux. Malgré les critiques totalement limitées et malhonnêtes des politiques homicides de la Suède dans l’article de Balázs Göransson et Loubere, Johansson a ressenti le besoin de publier une réponse publique, que les rédacteurs réactionnaires de Jacobin ont immédiatement acceptée.
«Retournez au travail !»
Le principal point que fait Johansson en réponse aux critiques du modèle suédois est qu’ils «ignorent le fait que même dans un petit pays comme la Suède, des millions de personnes doivent aller travailler chaque jour, pandémie ou pas».
Le fait qu’une telle déclaration soit promue par un magazine se décrivant comme «socialiste» devrait faire réfléchir n’importe quel lecteur.
En 2020, la presse bourgeoise poussait des hurlements pour que «le remède ne soit pas pire que la maladie». La panique s’est emparée de l’establishment politique alors que les travailleurs débrayaient dans les grands centres industriels, exigeant des confinements jusqu’à ce que la pandémie puisse être maîtrisée.
Des personnalités fascistes comme Boris Johnson ont été surprises en train de dire: «Plus de put**** de confinements, que les corps s’empilent par milliers!» Plus récemment, l’enquête officielle britannique sur le COVID a révélé qu’en décembre 2020, Boris Johnson s’est dit convaincu que le COVID n’était que «la manière dont la nature s’occupe des personnes âgées».
En Suède, le gouvernement social-démocrate, y compris Johansson, collaborait avec Johnson et mettait en œuvre les mêmes politiques.
Bien qu’Anders Tegnell, l’épidémiologiste de l’État suédois, n’ait pas formulé les choses aussi crûment que Johnson, il a déclaré dans un courriel ayant fait l’objet d’une fuite que son plan consistait à «garder les écoles ouvertes pour atteindre plus rapidement l’immunité collective». Lorsque son homologue finlandais a fait remarquer que la fermeture des écoles permettrait à elle seule de réduire d’au moins 10 pour cent la propagation du virus COVID chez les personnes âgées, Tegnell a répondu sans ménagement: «Est-ce que 10 pour cent en valent la peine?»
Telles sont les politiques de meurtre social avec lesquelles Jacobin se solidarise.
Comme l’a documenté le World Socialist Web Site, l’«immunité collective» est une politique eugéniste dans laquelle les personnes vulnérables de la société sont sacrifiées au nom de l’économie et des gens «en santé».
The Economist calcule que 27,4 millions de personnes sont probablement mortes à cause de la pandémie de COVID-19, soit environ quatre fois plus que les chiffres officiels. À l’heure actuelle, on dénombre encore plus de 5.000 décès excédentaires chaque jour dans le monde. Excuser cette mortalité massive en disant que «la nature suit son cours» ou que les gens doivent travailler, comme l’affirme aujourd’hui Jacobin, revient à abandonner les principes les plus élémentaires de la santé publique, sans parler de la lutte contre le système capitaliste.
De plus, la pandémie a déclenché une vague mondiale de débilitation de masse avec le COVID long, affectant potentiellement des centaines de millions de personnes. À chaque réinfection par ce virus en constante mutation, le risque s’accroît d’une série de problèmes médicaux associés au COVID longue durée, notamment les maladies cardiovasculaires, les lésions cérébrales, la fatigue chronique, les maladies rénales et diverses formes de lésions organiques. De nouvelles recherches publiées dans Nature démontrent la capacité du COVID-19 à persister dans l’organisme longtemps après la phase aiguë d’une infection.
Cette horrible réalité de la mort et de l’invalidité de masse est complètement dissimulée par Johansson et Jacobin, qui ne se soucie pas le moins du monde des souffrances causées par les politiques qu’ils promeuvent.
Le mensonge par omission
Ce qui est le plus remarquable dans la défense par Johansson de la réponse suédoise à la pandémie, c’est ce qu’il omet de dire. Il se fait le champion des statistiques montrant que la Suède a eu, au cours des trois dernières années, un taux de surmortalité inférieur à celui des autres pays, à l’exception des pays nordiques les plus semblables à la Suède. C’est vrai, mais cela n’a rien à voir avec la question.
Depuis l’apparition du variant Omicron à la fin de l’année 2021, tous les pays du monde ont adopté la politique d’«immunité collective» inaugurée en Suède, abandonnant leurs populations à un nouvel agent pathogène mortel d’une manière sans précédent dans l’histoire. Cette politique a entraîné un grand nombre de décès et d’incapacités dans le monde entier, égalisant les taux globaux de surmortalité dans la plupart des pays.
Pour les pays occidentaux qui ont procédé à des «confinements», il s’agissait en grande partie d’opérations désordonnées d’une durée de quelques semaines, mal coordonnées et rapidement terminées. Déconnectés d’une stratégie d’élimination plus large qui utilisait des tests de masse, une recherche rigoureuse des contacts et la rénovation des systèmes de ventilation, ces confinements ont été incapables d’arrêter la transmission virale.
Ainsi, les différences de surmortalité qui existent aujourd’hui entre les pays reflètent largement l’état prépandémique de leurs systèmes de soins de santé, ainsi que les différences structurelles en matière de logement et de mode de vie. La Suède, par exemple, a l’un des taux les plus élevés de logements individuels, ce qui contraste fortement avec les logements multigénérationnels largement répandus en Europe du Sud et dans de nombreuses autres parties du monde.
L’enjeu n’est pas la comparaison nationale de tel ou tel modèle de résolution de la pandémie – il n’y a pas et il n’y a toujours pas de solution nationale à la pandémie de COVID-19. Au contraire, les politiques préconisées par la Suède au début de la pandémie ont été défendues par la classe dirigeante de la plupart des autres pays et ont rapidement été imposées à l’échelle mondiale.
La Suède n’est pas un cas à part. Elle a simplement été l’un des premiers pays à adopter une politique mondiale de capitalisme sacrifiant des vies et le bien-être à long terme de la population au nom du profit.
Plusieurs autres critiques doivent être formulées à l’égard de l’article:
- Bien qu’étant médecin conseillant le gouvernement suédois, l’auteur répète l’idée fausse selon laquelle le lavage des mains a été un moyen important d’arrêter la propagation du COVID-19. Près de quatre ans après le début de la pandémie, il est bien connu que le COVID-19 est un virus transmissible par l’air et que c’est la filtration de l’air et la ventilation, et non le lavage des mains, qui empêchent sa propagation. Le mythe du lavage des mains a été alimenté par l’Organisation mondiale de la santé et d’autres organismes pour justifier le retour au travail en véhiculant une fausse idée de sécurité.
- L’auteur ne mentionne pas la diabolisation des masques en Suède, alors qu’il est prouvé que les masques N-95 correctement portés protègent considérablement les personnes qui les portent et réduisent la transmission virale. À ce jour, la Suède reste une société où l’on ne porte pratiquement pas de masque, même lors des vagues de COVID-19.
- L’idée de base du modèle suédois était que l’«immunité collective» serait rapidement atteinte, mais il n’y a pas d’«immunité collective» contre le COVID-19. Ce concept même, dérivé de l’élevage, est fallacieux, car le SARS-CoV-2 a continuellement muté et il n’y a pas de protection permanente à long terme donnée par les anticorps des vaccins ou par le fait de contracter le COVID-19.
- En parlant de la pandémie au passé, l’auteur omet la vague actuelle d’infections par le COVID-19 en Suède, qui a entraîné une augmentation des hospitalisations. Selon le gouvernement suédois, le nombre de cas a augmenté de 30 à 50 pour cent en moyenne chaque semaine en octobre et novembre. Mais comme les tests systématiques de dépistage du virus ont été abandonnés et que la surveillance des eaux usées est désormais le seul moyen disponible pour suivre la transmission virale, ces chiffres risquent de minimiser la situation réelle. (Voir figure ci-dessous)
Lutter contre une pandémie qui n’est pas terminée
Le World Socialist Web Site insiste, depuis le début de la pandémie, sur la nécessité de mettre en œuvre des mesures internationales d’urgence pour arrêter la propagation d’un virus qui pourrait tuer des millions de personnes et devenir actif de façon permanente dans la société humaine, entraînant une attaque massive et continue contre la santé et le bien-être des gens.
Le 24 octobre 2021, le WSWS a organisé un webinaire international intitulé «Comment mettre fin à la pandémie», auquel ont participé d’éminents experts scientifiques, des médecins et des militants anti-COVID. Cet événement a démontré que l’élimination du virus n’était pas une fantaisie, mais un objectif qui pouvait être atteint sur la base d’une politique internationale luttant pour la santé publique plutôt que pour le profit.
Dans ce contexte, l’affirmation publiée dans Jacobin par Göransson et Loubere selon laquelle «les autres mouvements de gauche n’ont pas critiqué la gauche suédoise pour son soutien à une réponse néolibérale à la pandémie qui est devenue l’exemple à suivre pour les tentatives de la droite de torpiller le contrôle des infections dans d’autres pays», est tout simplement fausse. Parmi les milliers d’articles que le WSWS a écrits sur la pandémie, des dizaines traitent directement des politiques d’immunité collective de la Suède, y compris du rôle des sociaux-démocrates suédois et du Parti de gauche dans leur promotion.
Le fait que Jacobin ait si rapidement publié une réplique de droite à ces critiques limitées de la politique suédoise d’«immunité collective» témoigne du fait que la réaction meurtrière, complaisante, de la classe moyenne supérieure, incarnée par la pseudo-gauche suédoise, n’est pas un phénomène proprement suédois, mais plutôt un phénomène de classe.
Ces forces, qu’il s’agisse de Jacobin, du Vänsterpartiet (le Parti de gauche), des sociaux-démocrates suédois, des DSA ou de divers autres groupes de pseudo-gauche dans le monde, ne représentent pas la classe ouvrière et ne sont pas socialistes. Leurs dirigeants sont des carriéristes de la classe moyenne pour qui la pandémie a été largement considérée comme un accident malheureux, une gêne, peut-être une tragédie, mais tout compte fait comme quelque chose d’inéluctable et de révolu.
(Article paru en anglais le 2 décembre 2023)