Le gouvernement Biden s'ingère dans les élections taïwanaises

À quelques jours des élections présidentielles et législatives à Taïwan, le président américain, Joe Biden’ a fait une intervention provocatrice de dernière minute en révélant aux médias qu’il envisageait d’envoyer une délégation de haut niveau à Taipei au lendemain des élections.

Le président Joe Biden s'exprime à Blue Bell, en Pennsylvanie, le vendredi 5 janvier 2024. [AP Photo/Matt Rourke]

Selon le Financial Times, «la Maison-Blanche a chargé James Steinberg, ancien secrétaire d’État adjoint démocrate, et Stephen Hadley, ex-conseiller républicain à la sécurité nationale, de diriger la délégation bipartite, d’après cinq personnes au fait du projet».

Si la Maison-Blanche «s’est refusée à tout commentaire sur le projet de délégation», elle a sans aucun doute autorisé les «personnes au fait du projet» à parler aux médias, sous le couvert de l’anonymat bien entendu. Même le Financial Times s’est senti obligé de noter que le moment était «inhabituel» et «pourrait compliquer les efforts des États-Unis et de la Chine pour stabiliser leurs relations tendues».

En réalité, Washington n’a aucunement l’intention de stabiliser ses relations avec Pékin, mais a délibérément empoisonné l’atmosphère, notamment en exacerbant les tensions sur le statut de Taïwan. Tout en adhérant officiellement à la politique de la Chine unique, qui reconnaît de fait Pékin comme gouvernement légitime de toute la Chine, y compris de Taïwan, le gouvernement Biden a sapé le statu quo en renforçant les liens politiques et militaires avec Taipei.

Biden a déclaré sans ambiguïté plusieurs fois que les États-Unis entreraient en guerre avec la Chine en cas de conflit avec Taïwan, abandonnant ainsi l’ancienne politique d’«ambiguïté stratégique» de Washington, conçue pour parer aux provocations de Taipei et de Pékin.

L’actuelle présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, qui ne peut se représenter après deux mandats de quatre ans, a été la complice volontaire de Washington, tant sous Trump que sous Biden. Si Tsai n’a pas appelé à l’indépendance formelle de Taïwan, sachant pertinemment que cela provoquerait rapidement une guerre avec la Chine, elle a encouragé des délégations américaines de haut niveau à se rendre à Taipei, en violation de protocoles diplomatiques de longue date, et a stimulé les préparatifs militaires de Taïwan en vue d’une guerre avec la Chine.

Lai Ching-te, actuellement vice-président, est le candidat du Parti démocratique progressiste (DPP) de Tsai à la présidence. Lai est connu pour être un défenseur plus agressif du séparatisme taïwanais, se décrivant lui-même en 2017, alors qu’il était Premier ministre, comme un «travailleur pragmatique pour l’indépendance de Taïwan». Il se présente face à Hou Yu-ih, du principal parti d’opposition, le Kuomintang (KMT), et à Ko Wen-je, du Parti du peuple taïwanais, tous deux favorables aux efforts visant à améliorer les relations avec la Chine et à éviter la guerre.

Lai minimise son attitude à l’égard de l’indépendance de Taïwan afin de ne pas alarmer les électeurs, mais il se présente comme un homme fort prêt à tenir tête à la Chine et à se préparer à la guerre si nécessaire. Mardi, il s’en est pris une nouvelle fois à Pékin, déclarant aux médias internationaux: «La Chine s’ingère chaque fois que Taïwan organise des élections, mais cette fois-ci, c’est le plus grave que nous ayons jamais vu. Qu’il s’agisse de propagande ou d’intimidation militaire, de guerre cognitive ou de “fake news”, ils se servent de tout».

Lai se fait l’écho des battements de tambour constants des médias américains et occidentaux contre «l’agression chinoise» et «l’ingérence chinoise». Alors que la campagne officielle s’est achevée dimanche, sa dénonciation de Pékin vise à alimenter les craintes d’une menace chinoise et à pousser l’électorat à voter pour lui et le DPP.

L’annonce de la délégation de haut niveau de Biden à Taipei s’inscrit dans la même stratégie et indique clairement que les États-Unis ont l’intention de continuer à ignorer la politique d’une seule Chine et d’accroître les tensions avec la Chine, quel que soit le candidat élu samedi. Fuiter la nouvelle juste avant le jour du scrutin a pour but d’influencer le vote.

Cette provocation de dernière minute s’explique par la crainte que le candidat préféré de Washington, Lai, ne l’emporte pas. Il a été en tête des sondages au cours de la campagne et est favori pour gagner étant donné que l’élection présidentielle est basée sur un scrutin uninominal à un tour. En l’absence de second tour, Lai pourrait l’emporter avec moins de 50 pour cent des voix.

Sa victoire est cependant loin d’être acquise. Hou, du KMT, s’est présenté comme le candidat de la paix, capable d’apaiser les tensions avec la Chine, de développer le commerce et les investissements et de faciliter le retour des touristes chinois à Taïwan. Renversé en Chine lors de la révolution de 1949, le KMT s’est réfugié à Taïwan et a prétendu être le gouvernement légitime de toute la Chine. Il a dirigé l’île sous une dictature militaire brutale pendant des décennies. Avec l’adoption de la restauration capitaliste par Pékin, le KMT et le Parti communiste chinois ont trouvé une cause commune dans la promotion de lourds investissements taïwanais en Chine et de relations commerciales plus étroites.

Le KMT a ridiculisé la condamnation par Lai d’une ingérence de la Chine dans les élections après que le ministère de la Défense taïwanais eut lancé une alerte sur le lancement d’un satellite chinois, qualifié à tort en anglais de missile survolant l’espace aérien taïwanais. «Veulent-ils à nouveau accuser la Chine d’ingérence dans les élections? Ou bien le DPP utilise-t-il juste le Parti communiste chinois pour effrayer notre peuple?», a demandé un porte-parole de Hou.

Hou a également cherché à capitaliser sur les questions intérieures. Il a critiqué les projets du DPP visant à réduire la dépendance de Taïwan à l’égard de l’énergie nucléaire et à s’appuyer sur les énergies renouvelables, avertissant que cela entraînerait des pénuries d’électricité et une augmentation des coûts. Un commentaire publié en décembre par la Brookings Institution, basée aux États-Unis, révélait que la principale préoccupation des électeurs était le développement économique, les relations avec la Chine n’arrivant qu’en deuxième position.

L’auteur, Chhing-hsin Yu, directeur du Centre d’étude des élections de l’université nationale Chengchi, a souligné que les gens étaient « frustrés par des problèmes comme les bas salaires (en particulier pour les jeunes et les ouvriers), le coût élevé de la vie (notamment le prix des logements), l’insuffisance des équipements publics (tels que transports et éducation) et un système de protection sociale inadéquat (comme la baisse du taux de natalité et l’insuffisance des soins pour les enfants d’âge préscolaire et les personnes âgées)».

Le troisième candidat à la présidence, Ko Wen-je, est en quelque sorte un joker politique qui cherche à exploiter la désaffection généralisée de la population, en particulier des jeunes, à l’égard des deux partis établis. Ko, qui prône également l’apaisement des tensions avec la Chine, pourrait détourner les voix du KMT et assurer la victoire du DPP. Toutefois, à l’approche du scrutin, on ne connaît pas l’importance de son vote ni son influence sur le résultat, ce qui ajoute une incertitude supplémentaire sur ce dernier.

Commentant le projet de Joe Biden d’envoyer une délégation à Taipei, un ancien responsable américain a déclaré au Financial Times qu’une telle démarche peu de temps après les élections était risquée et pourrait se retourner contre lui. «L’objectif primordial des États-Unis en cette période délicate devrait être d’encourager Pékin et Taipei à faire preuve de retenue», a-t-il déclaré. «L’envoi d’une délégation de si haut niveau ressemble à une étreinte d’ours pour Taipei, donnant à Pékin la possibilité de réagir de manière excessive. Nous avons besoin d’actions plus subtiles pour être efficaces».

Le fait même que le gouvernement Biden ait entrepris cette démarche, bien conscient du caractère incendiaire de sa visite, montre clairement qu’il n’est aucunement intéressé à encourager la retenue de part et d’autre du détroit de Taïwan. Tout comme les États-Unis ont poussé la Russie à déclencher une guerre dévastatrice en Ukraine, ils suivent une stratégie similaire en provoquant de façon irresponsable un conflit avec la Chine au sujet de Taïwan. Dans les deux cas, leur objectif est de déstabiliser et de se subordonner les pays qu’ils considèrent comme les principales menaces à l’hégémonie mondiale américaine, même au prix d’une guerre mondiale.

(Article paru d’abord en anglais le 11 janvier 2024)