Le résultat des élections à Taïwan donne le signal d’une escalade des tensions avec la Chine

Les élections taïwanaises du 13 janvier ont vu la victoire de Lai Ching-te, le candidat du Parti démocratique progressiste (DPP) indépendantiste, qui a battu Hou Yu-ih du Kuomintang (KMT) et Ko Wen-je du nouveau Parti du peuple taïwanais (DPP). En collaboration avec les États-Unis, Lai ne fera qu'accélérer la dangereuse confrontation avec la Chine de son prédécesseur Tsai Ing-wen, également membre du DPP.

Le vice-président taïwanais Lai Ching-te, également connu sous le nom de William Lai, au centre, célèbre sa victoire avec son colistier Bi-khim Hsiao, à droite, et ses partisans, à Taipei, Taïwan, le samedi 13 janvier 2024. [AP Photo/Chiang Ying-ying]

Lai, qui prendra ses fonctions en mai, avait le soutien tacite des États-Unis qui, sous les administrations Trump et Biden, ont intensifié les tensions avec la Chine sur le statut de l'île. Tout en adhérant nominalement à la politique d'une seule Chine en vertu de laquelle Washington reconnaît de facto Pékin comme le gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan, les États-Unis ont délibérément sapé ce programme en renforçant les liens politiques et militaires avec Taipei.

Les médias américains et internationaux ont clamé que la victoire de Lai était une réfutation de « l'ingérence chinoise » dans les élections et un triomphe de la démocratie. En réalité, Lai n'a remporté la présidence que sur la base du système électoral uninominal à un tour de l'île, avec un peu plus de 40 pour cent des voix.

Lai, qui s'est décrit en 2017 comme un « militant pragmatique de l'indépendance de Taïwan », a minimisé sa position indépendantiste pendant la campagne, bien conscient qu'une majorité d'électeurs craint une guerre avec la Chine. Pékin a déclaré à plusieurs reprises qu'il recherchait une réunification pacifique avec Taïwan, mais qu'il aurait recours à la force si Taipei déclarait formellement son indépendance vis-à-vis de la Chine.

L'actuelle présidente Tsai Ing-wen, inéligible après deux mandats de quatre ans, a tenté d'éviter tout conflit immédiat en maintenant que Taïwan était déjà un pays souverain et qu'il n'était pas nécessaire de déclarer officiellement son indépendance. Dans le même temps, cependant, avec le soutien de Washington, Tsai a renforcé l'armée taïwanaise en préparation d'une guerre avec la Chine.

Au cours de la campagne, Lai a adhéré aux formulations de Tsai et a déclaré qu'il maintiendrait le statu quo dans le détroit de Taïwan. Il s'oppose toutefois à la réunification avec la Chine et prône une plus grande indépendance.

Lors de sa campagne en juillet, Lai a déclaré que Taïwan souhaitait des liens plus étroits avec Washington. Il a ajouté, de manière provocante, qu'il attendait avec impatience le jour où « le président de Taïwan pourra aller à la Maison Blanche ». En d'autres termes, que le président taïwanais soit traité comme le dirigeant d'un pays indépendant. De la même manière, Lai déclare que toute discussion avec la Chine doit se faire « d'égal à égal », sachant pertinemment que Pékin n'acceptera jamais une telle condition.

Lai a transformé son meeting de victoire en célébration du nationalisme taïwanais. Il a déclaré à ses partisans: « Cette nuit appartient à Taïwan. Nous avons réussi à maintenir Taïwan sur la carte du monde ». Tout en affirmant qu'il maintiendrait le statu quo entre les deux rives du détroit, il a ajouté: « Dans le même temps, nous sommes également déterminés à protéger Taïwan des menaces et des intimidations continues de la Chine ».

La colistière de Lai, Hsiao Bi-khim, qui deviendra vice-président, a été ambassadeur de facto de Taïwan aux États-Unis. Connue pour ses positions agressives contre la Chine, elle a gagné le surnom de « chat guerrier » pour ses réponses directes aux diplomates chinois qualifiés par les médias occidentaux de « loups guerriers ».

La confrontation avec la Chine au sujet de Taïwan n'est apparue au premier plan que lorsque Washington a intensifié son offensive diplomatique et économique contre Pékin, tout en procédant à un gigantesque renforcement militaire en préparation d’une guerre. De la même manière que les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN ont poussé la Russie à envahir l'Ukraine, Washington cherche à transformer Taïwan en piège militaire pour la Chine, qu'il considère comme la principale menace à son hégémonie mondiale.

Juste avant les élections de samedi, l'administration Biden avait divulgué aux médias la nouvelle que les États-Unis enverraient une délégation de haut niveau à Taïwan, dirigée par l'ancien conseiller à la sécurité nationale, Stephen Hadley, et l'ancien secrétaire d'État adjoint, James Steinberg. Cette équipe devrait arriver dimanche prochain.

La Chine, qui considère Lai comme un « fauteur de troubles » et a mis en garde contre les risques de conflit s'il était élu, a réaffirmé la politique d'une seule Chine et appelé à la fin de l'ingérence étrangère dans l'île. Un porte-parole du ministère des Affaires étrangères a déclaré: « Quels que soient les changements qui interviendront à Taïwan, le fait fondamental qu'il n'y a qu'une seule Chine dans le monde et que Taïwan fait partie de la Chine ne changera pas ».

Pour remuer le couteau dans la plaie, les États-Unis et leurs alliés, qui ont largement ignoré les élections taïwanaises par le passé, ont félicité M. Lai. Le porte-parole du département d'État américain a félicité le peuple taïwanais « pour avoir une fois de plus démontré la force de son système démocratique robuste et de son processus électoral ». Le ministère chinois des Affaires étrangères a réagi en déclarant que ces propos « violaient gravement les promesses des États-Unis de ne maintenir que des liens culturels, économiques et autres liens non officiels avec Taïwan ».

Bien que Lai et le DPP aient remporté la présidence pour un troisième mandat, le résultat de l'élection n'a pas été une approbation retentissante de leurs politiques. Hou, le candidat du KMT, a obtenu 33,5 pour cent des voix, tandis que Ko, le candidat soi-disant indépendant, et son TPP ont obtenu 26,5 pour cent des voix. Ensemble, les deux candidats favorables à un apaisement des tensions avec la Chine ont obtenu 60 pour cent des voix. Lai est le premier président à être élu avec moins de 50 pour cent des voix.

De plus, le DPP a perdu le contrôle du Yuan législatif ou du Parlement. Sur 113 sièges, le DPP en a remporté 51 et le KMT 52, le TPP détenant la balance du pouvoir avec huit sièges. L’élection a également révélé une large désaffection à l’égard de tous les partis de l’establishment. Le taux de participation fut le deuxième plus faible d’une telle élection, soit un peu plus de 71 pour cent.

Le KMT a été chassé de Chine durant la révolution chinoise de 1949 et s’est réfugié à Taiwan avec l’aide et la protection de l’armée américaine. Sous le généralissime Chiang Kai-shek, il a établi une dictature militaire brutale sur l'île, qui a maintenu son pouvoir par la loi martiale.

La rivalité acerbe avec Pékin s'est apaisée lorsque le Parti communiste chinois s'est tourné vers la restauration du capitalisme à partir de 1978 et que les entreprises taïwanaises ont pu exploiter la main-d'œuvre bon marché de la Chine continentale. Le KMT adhère à ce que l'on appelle le « consensus de 1992 », qui reconnaît l'existence d'une « Chine unique », mais permet différentes interprétations de ce que cela signifie. Le DPP rejette catégoriquement le consensus de 1992.

Le DPP a pris de l'importance lors du mouvement de protestation et de grève de la fin des années 1980 qui a finalement contraint le KMT à concéder des élections populaires. Son soutien électoral a chuté après huit ans au pouvoir, dans un contexte de crise sociale et économique de plus en plus grave. Les jeunes, en particulier, ont été aliénés par un ralentissement économique qui s'est traduit par une pénurie d'emplois, des salaires bas et une flambée des prix, notamment du logement. Le DPP a cherché à capitaliser sur cette désaffection tout en offrant des propositions limitées pour résoudre les problèmes sociaux.

La position adoptée par le nouveau gouvernement Lai, qui prendra ses fonctions en mai, ne manquera pas d'aggraver les tensions dans le détroit de Taïwan. Toutefois, c'est Washington, déjà impliqué dans des guerres en Europe et au Moyen-Orient, qui est le principal instigateur de la campagne de guerre contre la Chine dans l'ensemble de la région inde-pacifique, qui se concentre désormais avant tout sur Taïwan.

(Article paru en anglais le 15 janvier 2024)

Loading