Alors que 10,8 millions d'électeurs s'apprêtent à se rendre aux urnes dimanche au Portugal, le parti d'extrême droite Chega progresse dans les sondages.
Selon un sondage du 6 mars, le Parti social-démocrate (PSD) de droite est à 35 pour cent, le Parti socialiste (PS) au pouvoir à 28 pour cent et Chega à pour 15 cent. Les principaux alliés de pseudo-gauche du PS, le Bloc de gauche (BE) pabliste et le Parti communiste portugais (PCP) stalinien, se sont effondrés à 5 et 4 pour cent, respectivement. Le PSD, Chega et d’autres partis de droite, tels que l'Initiative libérale, recevraient plus de 56 pour cent des voix.
Cela pourrait produire du premier gouvernement soutenu par l'extrême droite en un demi-siècle au Portugal. L'extrême droite n'a pas participé à un gouvernement portugais depuis la révolution des œillets de 1974 qui a renversé l'Estado Novo fascisant d'António de Oliveira Salazar.
La bourgeoisie a organisé l'élection autour d'un scandale de corruption concocté contre le Premier ministre PS Antonio Costa, et Chega a quelque peu minimisé sa propagande anti-immigrés pour lancer des promesses démagogiques d'élever le niveau de vie. Cela a été facilité avant tout par le rôle droitier du PS et de ses satellites discrédités de pseudo-gauche, le BE et le PCP. Costa s’est présenté en partisan de la guerre de l'OTAN contre la Russie en Ukraine et de la guerre génocidaire d'Israël contre Gaza, en saluant le «droit d'Israël à se défendre».
L'arrivée potentielle de l'extrême droite au pouvoir est un avertissement: alors que le capitalisme va vers une nouvelle guerre mondiale et un génocide, la bourgeoisie portugaise va très loin à droite. Ils sont poussées à la fois par la crise internationale et par la montée de la lutte de classe à l'intérieur, alors que les travailleurs ont mené des grèves militantes répétées, brutalement réprimées par le PS avec la complicité de ses alliés de pseudo-gauche.
De 2015 à 2021, le BE et le PCP ont fait l'alliance dite «geringonça» («truc») avec le PS, soutenant des gouvernements PS minoritaires sans les rejoindre. Ils ont ainsi tacitement apporté leur soutien à la répression brutale par le PS des grèves contre les mesures d'austérité de l'Union européenne (UE) suite au krach de Wall Street en 2008. Pendant ce temps, le PS a non seulement imposé plusieurs plans d'austérité de l'UE, mais a envoyé la police ou l'armée attaquer les manifestations des «gilets jaunes» et les grèves de routiers, d’enseignants et d'autres secteurs-clé.
La montée de Chega est, en dernière analyse, le produit de rôle anti-ouvrier de la pseudo-gauche et du PS. Mais le rôle réactionnaire des partis faussement présentés par les médias capitalistes comme étant «la gauche» ne diminue en rien le rôle anti-ouvrier des héritiers politiques de Salazar. Les arguments selon lesquels la montée de Chega ne devrait pas susciter d'inquiétude, car de nombreux électeurs de Chega ne soutiennent pas toutes ses politiques d'extrême-droite – sont profondément faux et d'une complaisance horrifiante.
On voit un exemple de cette complaisance dans les remarques d'André Azevedo Alves, professeur à l'Université catholique du Portugal, au Guardian. La montée de Chega, de 1,3 pour cent en 2019 à 7,2 pour cent en 2022 et 15 pour cent en 2024, ne reflète pour lui que le «mécontentement généralisé avec la classe politique, de gauche comme de droite». L'immigration est une question «pour une partie importante des électeurs qui s'aligneraient sur Chega», a-t-il ajouté, mais. «le logement, les services publics et les salaires restent les enjeux-clé de l'élection.»
Mais la classe capitaliste ne promeut pas les héritiers politiques de Salazar pour améliorer le logement, les services publics et les salaires. Sur fond de guerre mondiale, de génocide et de crise économique en Europe, il met en avant Chega pour mener une escalade drastique de la répression et de la guerre au XXIe siècle, tout comme il a utilisé Salazar à cette fin au XXe.
La question posée par ces élections est de bâtir une alternative révolutionnaire, internationaliste et socialiste aux groupes de pseudo-gauche comme le BE et le PCP dans la classe ouvrière. Sans cela, l'extrême-droite restera libre de surfer sur la colère ouvrière contre la pseudo-gauche et pousser la situation politique toujours plus à droite. Le prétexte concocté sur lequel l’élite dirigeante a organisé ces élections en novembre dernier met en lumière une conspiration soigneusement préparée contre le peuple, c'est-à-dire avant tout contre les luttes ouvrières.
Le 6 novembre, on a su que les procureurs portugais enquêtaient sur l'attribution potentiellement abusive de contrats pour l'extraction de lithium, minerai dont le Portugal possède les plus grandes réserves d'Europe, et pour la production d'hydrogène «vert». Plusieurs responsables PS, dont le chef de cabinet du Premier ministre Antonio Costa, ont été arrêtés.
En fait, l’affaire était connue depuis des années, et la décision de l'utiliser soudainement pour évincer le PS était une opération politique, impliquant la participation du PS lui-même. Selon le magazine Sabado, les accusations de favoritisme contre le PS dans ses relations avec diverses entreprises liées au lithium dataient de 2019. En 2021, selon le quotidien Expresso, les enquêteurs ont enregistré une conversation de Costa avec son ministre de l'Environnement sur l'emplacement des installations d'extraction et de traitement du lithium.
La seule preuve contre Costa, selon le parquet portugais, était que: «Au cours des enquêtes, il est apparu clairement, en outre, que les suspects invoquaient le nom et l'autorité du Premier ministre pour lever les blocages procéduraux.» La Cour suprême a alors ouvert une enquête séparée sur le rôle de Costa. C'était la première fois dans l'histoire portugaise que la Cour suprême enquêtait sur un Premier ministre en exercice.
La classe dirigeante, y compris le PSD et le PS, s’est emparée de ces rapports pour orchestrer un changement de régime. A peine 15 minutes après la publication des rapports des procureurs, Costa, qui n'était formellement accusé de rien, a appelé le président de droite, Marcelo Rebelo de Sousa, et a annoncé que son gouvernement PS démissionnait.
Même les responsables du PS ont été surpris par la démission soudaine de Costa. Un membre de son équipe a dit à Sabado: «Nous sommes restés là, abasourdis.» En effet, Costa avait déjà dit qu'il ne pensait pas que le fait de faire l'objet d'une enquête signifiait qu'il devait démissionner.
En présentant sa démission, Costa savait qu’il faisait chuter son gouvernement: l'année d’avant, Sousa avait promis de convoquer de nouvelles élections si Costa n'accomplissait pas son mandat. Le PS a proposé à Sousa de former un nouveau gouvernement sous un nouveau Premier ministre. Mais sans surprise, Sousa a rejeté cette proposition, même si le Conseil d'État portugais, un organe consultatif sans pouvoir réel, n'a pas validé la convocation de nouvelles élections.
L'éviction de Costa était un coup d'État présidentiel mené avec la complicité de tout l'establishment politique. Le 12 novembre, six jours seulement après la démission de Costa, le parquet a avoué que l’«Antonio Costa» mentionné dans les enregistrements de la police n'était pas le Premier ministre. Il s'agissait du ministre PS de l'Economie, António Costa Silva, et aucune preuve n’impliquait le Premier ministre dans le scandale.
Mais Sousa et Costa avaient déjà lancé les nouvelles élections. Le PS et la pseudo-gauche ont fait le silence sur le fait que la base sur laquelle les élections avaient été convoquées était frauduleuse.
La pseudo-gauche – le BE, le PCP et d’autres partis qui gravitent autour d'eux – ne représentent pas les travailleurs, mais des couches de la classe moyenne aisée dans les universités, les professions libérales et la bureaucratie syndicale, hostiles aux travailleurs. Voulant maintenir la division des grèves sur des lignes nationales par les appareils syndicaux, ils se sentent ébranlés par la montée de la lutte des classes au Portugal et à l’international. Ils vont à droite avec le reste de l'establishment politique portugais.
Pendant la campagne, la pseudo-gauche a signalé qu'elle poursuivait son alliance avec le PS. Mariana Mortágua, dirigeante du BE pabliste, a salué son alliance de six ans avec le PS dans une récente interview avec le Guardian, présentant cette alliance comme la meilleure défense contre la droite, car «un des candidats de droite veut organiser un référendum pour interdire l'avortement». Sur cette base, elle a déclaré son soutien au PS violemment anti-ouvrier et pro-guerre.
«Nous avons fait quelque chose d'important en 2015, nous devons garder cette capacité à changer le pays, à avoir des accords à gauche et des mesures progressistes », a-t-elle dit au Guardian. Elle affirmé démagogiquement qu’elle cherchait un accord avec le PS, un parti austéritaire, afin de protéger les intérêts de la population: «Nous serions heureux d'avoir un accord si cet accord signifie que nous avons suffisamment de pouvoir pour imposer de nouvelles mesures pour les salaires, le système de santé, le logement, etc.»
Ces mensonges politiques ne convainquent plus les travailleurs, qui se savent agressés par les forces de l’ordre du PS avec le soutien du BE, du PCP et d'autres groupes petit-bourgeois. La pseudo-gauche veut s’allier au PS afin de continuer à profiter du pillage des travailleurs.
Dans la mesure où ces forces peuvent se faire passer pour la «gauche», cela fait enrager des couches de plus en plus larges de la population, les incitant à voter pour l'extrême droite. Ceci se passe à travers l'Europe, de l'arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni en Italie à la montée du Rassemblement national en France et de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD).
Mobiliser les travailleurs contre la guerre, le génocide et l'autoritarisme nécessite la construction d'une nouvelle direction révolutionnaire marxiste-internationaliste dans la classe ouvrière contre des groupes comme BE. La base politique et historique d’une telle lutte est la continuité ininterrompue de la défense du trotskysme par le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) contre les groupes pablistes orientés vers la social-démocratie et le stalinisme.