La nouvelle année a commencé avec des inquiétudes croissantes sur le fait que le malaise actuel de l'économie chinoise, la deuxième du monde, pourrait être le signe avant-coureur d'une spirale déflationniste à long terme qui ira s’aggravant dû aux mesures tarifaires que menace d’imposer le nouveau président américain Trump.
La preuve la plus évidente de l'aggravation des problèmes à long terme est la situation du marché des obligations d'État, d'une valeur de 11 000 milliards de dollars, dont les rendements ont fortement chuté. Le fait que les investisseurs se tournent vers les obligations, faisant monter leur prix et baisser leurs rendements (les deux ayant une rapport inverse), est le signe qu'ils s'attendent à une faible croissance à l'avenir et à des conditions déflationnistes.
Le rendement des obligations d'État à 10 ans, qui était juste en-dessous de 5 pour cent en 2013, est tombé à moins de 1,6 pour cent au début des échanges cette semaine. Il existe désormais un écart de 300 points de base (3 points de pourcentage) entre les obligations à dix ans chinoises et américaines.
L'ampleur de la tendance déflationniste a été mise en évidence par les données mensuelles sur les prix publiées jeudi. La croissance des prix à la consommation n'a augmenté que de 0,1 pourcent en décembre par rapport à l'année précédente et en baisse par rapport à la hausse de 0,2 pour cent enregistrée en novembre. Les prix à la production, enregistrés en sortie d'usine, ont baissé de 2,3 pour cent, cette mesure étant en zone déflationniste depuis 28 mois.
Dans un article sur le marché obligataire publié mercredi, Bloomberg a commenté: «La chute, qui a entraîné les rendements chinois bien en dessous des niveaux atteints pendant la crise financière mondiale de 2008 et la pandémie de COVID, souligne la crainte que les décideurs politiques ne parviennent pas à empêcher la Chine de glisser vers un malaise économique qui pourrait durer des décennies.»
Des comparaisons sont faites avec ce qui s’est passé au Japon au début des années 1990, lorsque l’éclatement d’une bulle immobilière a conduit à des décennies de stagnation dont le pays ne s’est jamais vraiment remis.
L’article de Bloomberg soulignait qu'il était significatif que les dix plus grandes sociétés de courtage chinoises aient toutes mené des recherches sur les «décennies perdues» du Japon.
La situation en Chine est potentiellement encore plus grave, en raison de sa taille plus importante et du rôle qu’elle joue dans l’économie mondiale en tant que principal moteur de la croissance ces quinze dernières années.
Les problèmes du pays ont été exacerbés par la guerre économique qui règne actuellement, déclenchée par les mesures anti-chinoises mises en place par les États-Unis. Ces mesures vont être intensifiées avec l’arrivée au pouvoir de Trump, qui a menacé d’imposer une hausse des droits de douane de 60 pour cent sur tous les produits chinois.
L’article de Bloomberg note que les marchés chinois ont commencé l’année 2025 «sur le fil du rasoir».
Cela se traduisait non seulement par la baisse des rendements obligataires, mais aussi par la baisse continue du marché boursier. L'indice CSI 300 a chuté d'environ 4 pour cent depuis le début de l'année, après avoir perdu plus de 30 pour cent par rapport à son sommet de 2021. La valeur offshore du renminbi est tombée à un niveau proche de son plus bas niveau historique.
La chute de la valeur de la monnaie, que la banque centrale tente d'enrayer, est la conséquence directe des mesures tarifaires annoncées par Trump. Les marchés estiment que les autorités financières devront abaisser la valeur officielle du renminbi pour contrer l'effet des mesures de Trump en rendant les exportations moins chères.
Mais la banque centrale cherche à maintenir son cap car elle craint qu'une dévaluation de la monnaie ne déclenche une fuite de capitaux hors de Chine.
Dans un communiqué publié lundi, la banque centrale, qui fixe le taux de change officiel quotidien, a déclaré qu'elle «se prémunirait résolument contre le risque d'une surévaluation du taux de change et maintiendrait la stabilité fondamentale» du renminbi.
Elle a déclaré que l’expérience de «multiples cycles d’appréciation et de dépréciation» avait montré qu’elle disposait d’outils «suffisants» pour y parvenir.
Outre les inquiétudes concernant les sorties de capitaux, la banque centrale craint qu'une baisse de la valeur du renminbi, rendant les produits chinois moins chers sur les marchés mondiaux, ne provoque de nouvelles attaques de la part des États-Unis et également de l'Europe.
Mais la pression des marchés financiers en faveur d'une dévaluation continue malgré les déclarations de la banque centrale.
Le Financial Times (FT) a rapporté que les dirigeants des deux principales places boursières de Shanghai et Shenzhen sont également intervenus. Ils ont tenu des réunions le week-end dernier pour rassurer les investisseurs sur le fait que l'économie chinoise était soutenue par « des fondamentaux solides et la résilience».
Mais de telles assurances risquent de ne guère impressionner. L’opinion dominante dans le monde du capital financier est que le gouvernement doit prendre des mesures beaucoup plus radicales que celles prises jusque là pour stimuler l’économie nationale en augmentant les dépenses de consommation.
Certaines mesures ont été prises ces derniers mois, notamment un assouplissement de la politique monétaire, un allègement limité du fardeau de la dette des collectivités locales et certaines mesures visant à stimuler les dépenses de consommation.
Le gouvernement chinois a annoncé cette semaine l'extension d'un programme de subventions lancé l'année dernière, qui permet aux clients d'échanger leurs anciens appareils électroménagers, comme les climatiseurs et les machines à laver, contre des modèles neufs. Le programme de subventions a été étendu à des appareils tels que les micro-ondes, les cuiseurs à riz et les lave-vaisselles, ainsi qu'aux smartphones et aux tablettes coûtant moins de 6 000 renminbi.
Selon le ministère des Finances, le programme coûtera 81 milliards de renminbi (11 milliards de dollars américains) en 2025.
Le programme a déjà eu un certain impact pour stimuler la consommation. Selon le ministère du Commerce, 36 millions de personnes ont utilisé ce programme l'année dernière pour acheter de nouveaux appareils électroménagers. Mais il ne s'agit là que d'une petite partie du marché dans un pays de 1,4 milliard d'habitants et les effets ne sont que de courte durée.
Et comme le rapporte le FT, «les ventes globales n’ont augmenté que de 3 pour cent en novembre, ce qui est inférieur aux attentes et ravive les inquiétudes quant au rythme de croissance de la consommation, tandis que les données immobilières ont montré la plus forte baisse annuelle des prix de logements neufs depuis 2015 et une baisse de plus en plus marquée des investissements immobiliers».
Les capitaux financiers sont à la recherche de ce que l’on appelle un «gros bazooka» destiné à l’économie nationale. «En termes de facteurs clés à surveiller en 2025 […] nous pensons que les investisseurs ont besoin d’en savoir plus la consommation», a déclaré au FT Winnie Wu, responsable de la stratégie des actions chinoises chez Bank of America.
Mais même si le gouvernement s'est montré disposé à introduire certaines mesures marginales et que le président Xi Jinjing a souligné la nécessité de stimuler la consommation dans ses récents discours et remarques, il n'est pas prêt à introduire le type de mesures de relance à grande échelle qu'il avait mises en place dans le passé, craignant que cela ne fasse qu'aggraver les problèmes d'endettement.
De plus, il évolue dans un environnement économique très incertain, compte tenu des menaces tarifaires de Trump et de l’intensification des mesures de guerre économique des États-Unis dans les derniers jours de l’administration Biden.
Dans la dernière décision prise cette semaine par Washington, le Pentagone a ajouté à sa liste de nouvelles entreprises considérées comme ayant des liens avec l'armée chinoise. Parmi celles-ci figurent le géant des réseaux sociaux et des jeux vidéo Tencent ; CATL, le plus grand fabricant mondial de batteries pour véhicules électriques ; et COSCO, la plus grande entreprise de transport maritime de Chine et l'une des plus grandes du monde, entre autres. Cette liste compte désormais 134 entreprises.
L’inscription sur la liste du Pentagone n’entraîne aucune sanction, mais constitue un signe certain que les entreprises nommées seront ciblées par de nouvelles mesures.
Les trois sociétés en question ont nié tout lien avec l’armée, Tencent affirmant qu’il s’agissait «clairement d’une erreur» et qu’elle travaillerait avec le ministère de la Défense pour «résoudre tout malentendu». CATL a déclaré n’avoir jamais eu d’activités liées à l’armée. COSCO a déclaré qu’aucune de ses sociétés n’était impliquée dans l’armée et qu’elle chercherait à «clarifier cette question» avec les autorités américaines.
Mais les actions du Pentagone ne sont pas le résultat d’erreurs ou d’un malentendu. L’appareil militaire américain est l’un des plus fervents défenseurs de la position selon laquelle les avancées économiques et technologiques de la Chine, indépendamment de leur lien direct avec l’armée, constituent en elles-mêmes une menace pour les États-Unis.
La mise à l’index de CATL illustre certaines des contradictions qui feront surface à mesure que la guerre économique s’intensifie. En raison de l’augmentation de ses ventes (CATL est un fournisseur de Tesla), l’entreprise a élaboré des plans pour une cotation secondaire sur le marché boursier de Hong Kong, avec une introduction en bourse (IPO) destinée à lui donner accès à des fonds offshore alors qu’elle développe ses opérations internationales.
Les banques américaines Goldman Sachs, Bank of America, JPMorgan et Morgan Stanley auraient manifesté leur intérêt pour cette introduction en bourse. Par le passé, les banques américaines ont réalisé des bénéfices considérables grâce à ce type d'opérations. Mais si elles le faisaient après la mise à l’index par le Pentagone, elles pourraient être accusées d'avoir souscrit des actions pour une entreprise liée à l'armée chinoise et qui représente prétendument par là une menace pour la sécurité nationale des États-Unis.
En 2021, l’entreprise chinoise de produits électroniques Xiaomi a intenté une action en justice pour se faire retirer de la liste du Pentagone. Elle a fait valoir avec succès que son investissement dans la 5G et l’intelligence artificielle, qui était la raison de son inclusion, était ce que faisaient toutes les autres entreprises.
Les entreprises citées récemment tenteront sans aucun doute de suivre la même voie. Mais quatre ans plus tard, la guerre économique contre la Chine s’est intensifiée qualitativement et elle est sur le point de devenir encore plus intense avec Trump.
(Article paru en anglais le 10 janvier 2025)