Le ministère américain de la Justice (DoJ) a exhorté la Cour suprême à autoriser que l’interdiction de TikTok aux États-Unis entre en vigueur le 19 janvier, dernier jour du mandat du président Joe Biden. Il s’agit d’une attaque réactionnaire contre les droits démocratiques et la liberté d’expression à laquelle il faut s’opposer.
Lors d'une audience de justice le 10 janvier, le ministère a exhorté le tribunal à rejeter la contestation par TikTok de la loi adoptée par le Congrès l'an dernier pour forcer ByteDance, la société mère chinoise, à vendre cette application populaire, ainsi que la requête du nouveau président Donald Trump de reporter l'interdiction jusqu'à son entrée en fonction.
Cette interdiction fait partie de la «Loi de la paix armée au 21e siècle » [21st Century Peace through Strength Act]. Elle a été adoptée à une écrasante majorité bipartite, avec 79 voix pour et 18 contre au Sénat, et 352 voix pour et 65 contre à la Chambre des représentants. Elle a été promulguée par Biden en avril dernier. L'interdiction de TikTok faisait partie d'un programme d'aide militaire comprenant un projet de loi de 26 milliards de dollars pour le génocide israélien à Gaza, 8 milliards pour armer Taïwan en vue d'une guerre avec la Chine et 61 milliards pour la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine.
La loi obligeait ByteDance, la société mère de TikTok, à vendre l'application et son puissant algorithme de recommandation de vidéos à un acheteur américain avant le 19 janvier 2025. Le gouvernement chinois avait auparavant déclaré que vendre l'algorithme porterait atteinte à la sécurité nationale. TikTok a également indiqué qu'une telle «cession» serait incompatible avec le système TikTok, étant donné que l'algorithme de recommandation est développé en permanence par une équipe d'ingénieurs mondiale et que le contenu est de nature mondiale.
Il va sans dire que si la Chine tentait de faire la même chose vis-à-vis d’une entreprise américaine, de forcer par exemple Google à céder son algorithme de moteur de recherche afin de pouvoir rester sur le marché chinois, cela serait dénoncé par le gouvernement américain et les grands médias comme un effort dictatorial de Pékin pour prendre le contrôle d’actifs américains aux fins les plus néfastes.
En décembre, la Cour d'appel du District de Columbia a confirmé le projet de loi anti-TikTok, ce qui a incité l'entreprise à faire appel en urgence. La déliquescence avancée du système de « justice » est montrée par les commentaires des juges, nommés par les républicains et les démocrates, affirmant que l'interdiction serait maintenue et que TikTok serait débouté de son appel, de même que l’effort de Trump pour obtenir un sursis.
La juge Ketanji Brown Jackson, nommée par Biden, a suggéré que l'interdiction d'un moyen de communication utilisé par 170 millions d'Américains ne violait pas le Premier Amendement, soutenant ainsi la position prise par le procureur général de Biden Merrick Garland dans son mémoire à la Cour exigeant un refus. Le juge en chef John Roberts, nommé par Bush, a fait une déclaration similaire. Il a argumenté dans le même sens que Garland disant que, puisque l'objectif du Congrès était d'empêcher un «adversaire étranger» de recueillir des informations sur les utilisateurs de l'application, la loi était légitime.
Des commentaires importants ont été formulés lors des plaidoiries. La juge Elena Kagan a établi un lien entre les lois anticommunistes adoptées par le gouvernement américain pendant la ‘Peur rouge’ des années 1950 pour réglementer le discours du Parti communiste. Jackson elle, a contesté l'affirmation de l’avocate générale Elizabeth Prelogar que la loi n'avait rien à voir avec une modification du contenu de l'application, affirmant que «tout l'objectif de la cession» était de modifier le contenu.
Cela fut confirmé encore par une réponse révélatrice de Prelogar au juge Neil Gorsuch, qui lui demandait si la position du gouvernement était «que ByteDance pourrait, par le biais de TikTok, essayer d’amener les Américains à se disputer entre eux». Prelogar a acquiescé, affirmant que «cela pourrait très bien être vrai».
Malgré toutes les allégations de «manipulation de contenu» et les insinuations sur une propagande omniprésente, le gouvernement n’en a présenté aucune preuve. Gorsuch a déclaré à un moment donné: «Le gouvernement admet qu’il n’a aucune preuve que TikTok se soit livré à une manipulation secrète de contenu dans ce pays». L’ensemble du dossier du gouvernement contient à peu près autant de preuves que George W. Bush n’en a fourni sur les «armes de destruction massive» irakiennes, la tristement célèbre allégation pour justifier l’invasion de l’Irak en 2003.
Trump a plaidé pour un sursis, faisant valoir qu’il possédait une expertise unique dans l’utilisation des réseaux sociaux et que la Cour suprême devrait reconnaître ce fait en lui donnant le pouvoir final de décider s’il fallait mettre en œuvre l’interdiction du Congrès. En réalité, il demandait à la Cour de donner encore plus d’étendue au pouvoir présidentiel sur l’ensemble de la vie sociale et économique.
Tout en prétendant se poser en défenseur des droits démocratiques des utilisateurs de TikTok, profitant de la politique de droite de l’administration Biden, Trump cherche à obtenir un résultat similaire, se donnant seulement le temps de diriger la vente forcée de ByteDance à des milliardaires de son choix, comme l’investisseur de «Shark Tank» Kevin O’Leary, le milliardaire américain Frank McCourt ou encore Elon Musk. Il arriverait essentiellement aux mêmes fins que les démocrates pour ce qui est de limiter la liberté d’expression, tout en enrichissant ses acheteurs oligarques favorisés.
Garland et l’administration Biden mentent clairement lorsqu’ils affirment que la loi n’est pas une tentative de «réprimer les opinions défavorables» qui viole le Premier Amendement. L’un des principaux objectifs de la loi, tel que décrit par le sénateur républicain et acolyte de Trump Marco Rubio, est de proscrire les «opinions défavorables».
Rubio, candidat fasciste au poste de secrétaire d’État, a mené la campagne pour interdire TikTok et a été l’un des premiers à soutenir le projet de loi visant à l’interdire, affirmant que la législation serait «un grand pas vers la lutte contre l’influence maligne de Pékin». Le compte officiel X de Rubio contient des pages et des pages de messages réclamant l’interdiction de TikTok au motif qu’il est contrôlé par la «Chine communiste» et le «Parti communiste chinois», phrases qu’il répète à satiété. Cette campagne de haine s’inscrit dans la lignée du soutien bipartite à la théorie complotiste du ‘laboratoire de Wuhan’, qui vilipende la Chine en la rendant responsable du COVID-19 (article en anglais).
Rubio est aussi contre TikTok à cause du rôle que l’application a joué dans la révélation du génocide israélien à Gaza. Dans un message du 4 novembre dernier, il a affirmé que celle-ci «amplifiait les contenus pro-Hamas» et que c’était «une autre raison d’interdire l’application». Dans un autre message du même type, publié en février, il a affirmé que « l’influence de TikTok sur les jeunes Américains et ses utilisateurs crée un sentiment anti-israélien et pro-Hamas». Et dans un autre: «TikTok est un outil de diffusion de propagande terroriste et d’antisémitisme. Une raison de plus pour laquelle il faut [l’]interdire».
Autrement dit, ce que craignent réellement la classe dirigeante et ses partis, c’est la capacité des réseaux sociaux à montrer la vérité sur la société capitaliste, ses guerres, ses inégalités criantes et les attaques contre les droits démocratiques fondamentaux.
Des membres du Congrès ont affirmé que l’interdiction avait pour but de protéger les données personnelles des Américains, mais cela est démenti par la réautorisation en avril (article en anglais) de l’article 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), qui renouvelle la capacité de la NSA et de la CIA à mener une opération d’espionnage massive, sans mandat et inconstitutionnelle, qui passe au peigne fin toutes les données téléphoniques et Internet des Américains. La plus grande menace pour les droits démocratiques du public américain est de loin la classe dirigeante américaine, et non TikTok. La première étape, et la plus importante, vers des droits véritablement démocratiques serait de dissoudre la National Security Agency et la Central Intelligence Agency.
L’IYSSE (Jeunes et Etudiants internationaux pour l’égalité sociale) s’oppose à l’interdiction de TikTok, que ce soit par les Démocrates ou par Trump, et appelle les étudiants, les jeunes et les travailleurs à exiger son annulation. Cette interdiction vise à attiser le chauvinisme national et la haine anti-chinoise en prévision d’une guerre avec la Chine et plus généralement à réprimer les opinions socialistes et anti-guerre.
Tout en s’opposant à cette interdiction, l’IYSSE reconnaît également que TikTok lui-même pratique la censure. Les contenus s’opposant au génocide à Gaza, ainsi que les appels à la libération des opposants à la guerre en Ukraine, comme le socialiste ukrainien Bogdan Syrotiuk, ont été censurés (article en anglais).
En cas de vente forcée de TikTok, le gouvernement américain chercherait à instaurer un régime de censure de type Facebook, voire pire. Facebook est connu pour avoir des dizaines de milliers de policiers de la pensée qui épluchent les publications et censurent les idées socialistes ou de gauche. Google a admis lors d’une audition au Sénat avoir censuré le World Socialist Web Site. Instagram procède à une censure massive contre l’opposition au génocide à Gaza, comme l’a révélé un rapport de Human Rights Watch .
La principale source de désinformation et de propagande est le système capitaliste, dans lequel une poignée d’oligarques riches contrôlent l’économie et le système politique. L’administration Trump représente une prise de contrôle à grande échelle de tout le pouvoir politique par l’oligarchie, ce qui ne peut que conduire à la dictature et à la destruction de tous les droits démocratiques.
Pour combattre ces dangers, l’IYSSE exige l’expropriation par la classe ouvrière de toutes les entreprises de réseaux sociaux et d’Internet, la suppression de la censure de la part de la grande entreprise et du gouvernement, et le contrôle démocratique de la classe ouvrière sur la base de la plus grande liberté de discussion et de débat.
(Article paru en anglais le 14 janvier 2025)