Ottawa répond aux menaces de Trump en affirmant sa fidélité à l’alliance de guerre canado-américaine et en préparant des tarifs douaniers de représailles

Rencontre entre Trudeau et Trump lors du premier mandat présidentiel de ce dernier. [Photo: Shealah Craighead White House]

Les dirigeants politiques canadiens réagissent aux menaces du président américain élu Donald Trump d’imposer des tarifs douaniers punitifs généralisés et d’utiliser la «force économique» pour faire du Canada le 51e État des États-Unis en multipliant leurs promesses de fidélité au partenariat militaro-stratégique Canada-États-Unis, tout en brandissant eux-mêmes la menace de représailles commerciales et en faisant preuve d’un nationalisme belliqueux.

Les travailleurs doivent être mis en garde: ce chauvinisme agressif va servir de fer de lance politique et idéologique pour mener un assaut immensément intensifié contre la classe ouvrière.

C’est Pierre Poilievre, le chef ultra-droitiste de l’opposition officielle conservatrice, qui s’apprête à prendre le pouvoir lors des élections fédérales qui se tiendront très certainement au printemps, qui l’a expliqué le plus clairement. Poilievre se présente, à la manière de Trump, comme le principal défenseur du «Canada d’abord». Il a promis en conférence de presse jeudi dernier que son gouvernement conservateur procéderait à des réductions d’impôts «massives» pour les grandes entreprises et les riches, consacrerait des sommes considérables à la reconstruction des Forces armées canadiennes «affaiblies» et réduirait toutes les contraintes réglementaires pesant sur le capital afin de stimuler les profits et la production d’énergie et de minerais produisant des gaz à effet de serre.

Poilievre déclare: «Le message que j’adresse aux Américains est que l’époque où nous cédions nos entreprises et nos emplois à cause du vandalisme économique de ce gouvernement d’Ottawa, gros, gras et assoiffé d’argent, est révolue. Nous aurons une économie de marché féroce qui rivalisera avec tous les pays du monde.»

La perspective de voir Poilievre au poste de premier ministre est perçue favorablement non seulement par les grandes entreprises canadiennes, mais aussi par une grande partie de la classe dirigeante américaine. Alors même qu’Elon Musk, l’homme le plus riche du monde et confident de Trump, soutenait Poilievre la semaine dernière, le New York Times publiait un portrait élogieux de l’homme qui s’est imposé comme le chef conservateur après avoir défendu sans détour le «Convoi de la liberté», dirigé par des fascistes. Au début de l’année 2022, le Convoi a occupé de manière menaçante le centre-ville d’Ottawa avec le soutien de Trump et d’une grande partie de l’establishment politique et patronal canadien, ainsi que des sections de l’appareil de sécurité nationale. Le portrait brossé par le New York Times ne dit pratiquement rien de cette mobilisation extraparlementaire des forces d’extrême droite, se contentant de la qualifier de manifestation de «camionneurs». Selon le New York Times, Poilievre a fait preuve à l’époque, comme aujourd’hui, d’une «compréhension instinctive» de ce que veulent les gens ordinaires.

Les Libéraux au pouvoir, quant à eux, s’empressent de remplacer le Premier ministre Justin Trudeau par un représentant encore plus à droite de l’élite patronale canadienne. Face à la révolte du groupe parlementaire libéral, Trudeau a été contraint d’annoncer la semaine dernière qu’il quitterait ses fonctions de chef du gouvernement en mars, une fois que son parti aura choisi un nouveau chef. Les candidats les plus en vue pour le remplacer sont Chrystia Freeland et Mark Carney. Freeland était le principal faucon antirusse au gouvernement avant qu’elle ne précipite la révolte du caucus libéral en démissionnant de son poste de ministre des Finances tout en accusant Trudeau de se livrer à des «astuces politiques» plutôt que de réduire les dépenses afin de préparer le capitalisme canadien à la guerre commerciale. Pour sa part, ancien gouverneur de la Banque du Canada, puis de la Bank of England, Carney a présidé à la production d’«argent facile» pour l’élite financière et aux mesures de sauvetages massifs de celle-ci, le tout en imposant l’austérité sur le dos des travailleurs.

Les menaces de Trump – d’abord d’imposer des droits de douane de 25% sur toutes les importations canadiennes et mexicaines dès le «premier jour» de sa seconde présidence, puis d’annexion du Canada et d’invasion du Groenland et du canal de Panama – ont stupéfié la classe dirigeante canadienne.

Lorsque Trudeau, dans un acte de lâcheté et de soumission, s’est précipité à Mar-a-Lago pour rencontrer le futur président Trump chez lui et l’implorer de renoncer à sa menace de tarifs douaniers, la classe dirigeante l’a fortement soutenu. Mais l’ambiance a radicalement changé après que Trump ait clairement fait savoir qu’il ne se laisserait pas apaiser par les promesses d’Ottawa de l’aider dans sa chasse aux sorcières anti-immigrés, puis lorsqu’il s’est moqué à plusieurs reprises de Trudeau en le qualifiant de «gouverneur» et ouvertement déclaré son ambition d’annexer le Canada.

Dans un commentaire publié samedi dans le Globe and Mail, Jean Chrétien, Premier ministre libéral du Canada de 1993 à 2003, a exhorté tous les dirigeants politiques à «commencer à faire preuve» du «même courage et de la même fermeté» dont le Canada aurait fait preuve lors des deux guerres mondiales impérialistes du siècle dernier, et à combiner les promesses faites à Washington selon lesquelles «nous sommes leurs meilleurs amis» avec une volonté de «jouer à l’offensive».

«Nous voulons aussi protéger l’Arctique», écrit Chrétien, en référence aux plaintes de Trump selon lesquelles Ottawa n’assume pas suffisamment sa part du fardeau dans le conflit stratégique opposant les puissances impérialistes nord-américaines avec la Russie et la Chine. «Mais les États-Unis refusent de reconnaître le passage du Nord-Ouest, insistant sur le fait qu’il s’agit d’une voie navigable internationale, quand bien même celle-ci traverse l’Arctique canadien dans des eaux canadiennes. Il faut que les États-Unis reconnaissent le passage du Nord-Ouest comme étant en eaux canadiennes.»

Le texte de Chrétien s’inscrit dans l’avalanche de commentaires publiés dans la presse capitaliste selon lesquels il faut en faire plus pour affirmer la «souveraineté» du Canada, avant tout en renforçant les ressources à la frontière et en augmentant massivement les dépenses militaires. Il abonde dans le sens de la demande que le Canada augmente immédiatement ses dépenses annuelles en matière de défense à hauteur de 2% de son PIB, ce qui équivaudrait à augmenter les dépenses militaires de près de 20 milliards de dollars canadiens, tout en agissant rapidement pour éliminer le déficit budgétaire – autrement dit, procéder à des coupes massives dans les dépenses sociales.

Telle qu’elle est exprimée par la classe dirigeante et tous ses représentants politiques – depuis Poilievre et ses conservateurs jusqu’aux sociaux-démocrates du NPD – l’opposition à Trump est uniquement motivée par ses préoccupations en matière de profits, d’accès aux marchés et aux ressources, et d’influence mondiale du capitalisme canadien.

Depuis maintenant trois quarts de siècle, le partenariat militaro-stratégique et économique entre le Canada et les États-Unis est la pierre angulaire de la position mondiale de l’impérialisme canadien, le cadre dans lequel il a affirmé et fait progresser ses intérêts prédateurs mondiaux.

La classe dirigeante canadienne se soucie autant que Trump, le Parti démocrate de Biden et Harris, et Wall Street, de consolider l’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain qui est en voie de s’effondrer. Tant sous les gouvernements conservateurs que libéraux soutenus par le NPD, le Canada s’est vu intégré de façon toujours plus étroite dans les guerres et les opérations de changement de régime de Washington. Aujourd’hui, Ottawa joue un rôle important sur les trois principaux fronts de la guerre mondiale en développement déclenchée par les États-Unis: contre la Russie en Europe de l’Est, l’Iran et ses alliés au Moyen-Orient et la Chine en Indo-Pacifique.

La principale préoccupation de la bourgeoisie canadienne est de négocier la position la plus avantageuse qui soit pour elle au sein de la Forteresse Amérique du Nord dirigée par Trump. C’est ce qui souligne l’enthousiasme que la classe dirigeante exprime pour Poilievre qui jure de mener une contre-révolution sociale à la Trump au détriment des droits sociaux et démocratiques des travailleurs. Cette position est également démontrée par le soutien unanime de la classe dirigeante canadienne envers l’alliance militaro-stratégique Canada-États-Unis sous les multiples facettes qu’elle prend, qu’il s’agisse de l’OTAN, du NORAD ou du Groupe des cinq (Five Eyes), ou encore de l’ACEUM (l’accord commercial Canada-États-Unis-Mexique ayant remplacé l’ALENA).

Ainsi, tout en rejetant les visées annexionnistes de Trump, Trudeau a quand même déclaré que le partenariat canado-américain était «unique». «Les travailleurs et les communautés de nos deux pays bénéficient qu’on soit l’un pour l’autre le plus grand partenaire commercial et en matière de sécurité», a-t-il affirmé. Pour sa part, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, proclame la nécessité d’une Forteresse Amérique du Nord, qu’il appelle «Forteresse Am-Can», pratiquement à chaque fois qu’il commente les relations canado-américaines et la guerre commerciale qui s’annonce.

Trudeau préside mercredi une réunion des premiers ministres provinciaux et territoriaux à Ottawa, organisée pour discuter de la façon de répondre à la menace de tarifs douaniers de 25% brandie par Trump.

Trump affirme que les droits de douane sont nécessaires pour contraindre le Canada et le Mexique à empêcher les «migrants illégaux» et le fentanyl d’affluer aux États-Unis. Ces préoccupations dites de «sécurité nationale» sont un prétexte pour justifier la violation par Trump des dispositions de l’ACEUM, dans le but d’extorquer des concessions en matière de commerce, d’investissement, de politique étrangère et énergétique. Dans le cas du Canada, il a également l’intention de contraindre Ottawa à dépasser au minimum le «plancher» de dépenses militaires de 2% du PIB fixé par l’OTAN. Son intimidation économique est également un moyen pour lui de faire avancer son objectif de militarisation des frontières extérieures et intérieures en Amérique du Nord en préparation de la guerre mondiale et d’une agitation sociale de masse.

Jugeant insuffisant l’engagement du gouvernement fédéral de consacrer plus d’un milliard de dollars supplémentaires en dépenses frontalières et de déployer massivement du personnel de sécurité, des drones et des hélicoptères à la frontière, plusieurs gouvernements provinciaux, dont le Québec, l’Ontario et l’Alberta, ont déjà déployé leurs propres forces pour aider à maintenir l’ordre à la frontière et ainsi apaiser Trump.

Sentant la vulnérabilité des partenaires et rivaux canadiens de l’impérialisme américain, le président fasciste revoit cependant ses exigences à la hausse.

Tant les gouvernements fédéral et provinciaux que les grandes entreprises canadiennes se résignent de plus en plus à l’inévitabilité d’une guerre tarifaire économiquement dommageable et politiquement déstabilisante. Dimanche dernier, Trudeau et sa ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, ont réaffirmé l’intention d’Ottawa de riposter à tout nouveau droit de douane américain. Sur la base de fuites orchestrées par le gouvernement, les médias ont en effet rapporté la semaine dernière que les produits sidérurgiques américains, le jus d’orange, la céramique, y compris les toilettes et les éviers, la verrerie et différents types de plastique figuraient parmi les centaines d’articles répertoriés comme cibles possibles des tarifs douaniers de représailles.

Toutefois, les clivages au sein de la classe dirigeante canadienne, enracinés dans des divisions sectorielles de longue date et dans le rôle varié que jouent les différentes régions dans l’économie continentale intégrée, sont de plus en plus marqués en ce qui concerne les mesures de représailles à prendre. L’affirmation de Joly dans son interview accordée dimanche au réseau de télévision CTV, selon laquelle «rien n’est exclu» en ce qui concerne les représailles canadiennes et que le gouvernement envisage de réduire, voire d’interdire, les exportations canadiennes d’énergie vers les États-Unis – pétrole, uranium, gaz naturel et hydroélectricité – a immédiatement provoqué une réaction viscérale.

Danielle Smith, Première ministre de l’Alberta, Trump et Kevin O’Leary à Mar-a-Lago [Photo: Danielle Smith/X]

Danielle Smith, la première ministre ultra-droitiste de l’Alberta, riche en pétrole, a averti, comme elle l’avait fait lorsqu’Ottawa avait évoqué la possibilité d’une taxe sur les exportations d’énergie, que toute tentative du gouvernement fédéral de réduire les exportations de pétrole de l’Alberta provoquerait une «crise d’unité nationale». Brandissant la menace voilée du séparatisme albertain, elle a dénoncé les «politiciens de l’Est» et avertit Ottawa qu’il ne devait pas menacer Trump de quelque chose qu’il ne pourrait pas faire.

La veille, Smith s’est rendue à Mar-a-Lago, en compagnie du provocateur d’extrême droite Jordan Petersen et de la personnalité de la télévision et homme d’affaires canadien se prenant pour Trump Kevin O’Leary. Elle a obtenu une brève audience avec le nouveau président, au cours de laquelle elle a tenté de le convaincre d’exempter les exportations énergétiques canadiennes s’il persistait à imposer des droits de douane sur les produits canadiens. Dans le cadre de ce que Smith a qualifié de «conversation amicale et constructive» avec Trump, elle a également présenté son plan visant à doubler la production de pétrole de l’Alberta afin que les États-Unis puissent exporter davantage de pétrole vers le reste du monde.

Les travailleurs des États-Unis, du Canada et du Mexique n’ont aucun intérêt à se laisser entraîner dans une guerre commerciale dont ils seront les principales victimes, que ce soit par le biais de licenciements, de fermetures d’usines ou d’augmentations des prix.

D’autant plus que cette guerre commerciale découle de la course effrénée des principales puissances capitalistes, dont le Canada, pour s’assurer des marchés, des ressources et des investissements dans le cadre d’une lutte intercapitaliste mondiale visant à dominer l’IA, la robotique et d’autres technologies émergentes et à se préparer à une guerre mondiale totale.

Dans la mesure où la crise ébranle la bourgeoisie canadienne, les travailleurs de partout au Canada – francophones, anglophones et immigrés – devraient chercher à l’exploiter en intensifiant la lutte des classes et en forgeant leur unité avec leurs frères et sœurs de classe aux États-Unis, au Mexique et ailleurs, pour défendre tous les emplois, les services publics et les droits des travailleurs, ainsi que pour s’opposer à la guerre impérialiste.

C’est exactement le contraire de la voie suivie par le NPD social-démocrate et les syndicats. Ceux-ci sont en première ligne en train de militer pour l’adoption de mesures de représailles et une augmentation des dépenses militaires, tout en appelant Trump à retirer sa menace de tarifs douaniers et qu’il reconnaisse le rôle central que les ressources naturelles et les produits manufacturés canadiens jouent dans l’alimentation de la machine de guerre de l’impérialisme américain.

Un rôle similaire est joué par Québec Solidaire (QS), parti de pseudo-gauche indépendantiste et deuxième parti d’opposition à l’Assemblée nationale du Québec. QS s’est joint au Parti Québécois, qui est à l’avant-garde de l’agitation chauvine anti-immigrés, pour préconiser une «stratégie du Québec d’abord», avec la tenue notamment de négociations séparées entre Québec et Washington, avec comme motif qu’Ottawa privilégiera la défense de l’industrie automobile de l’Ontario et de l’énergie de l’Alberta au détriment de la protection des «intérêts du Québec».

Si l’on permet à ces éléments d’arriver à leurs fins, la classe ouvrière va se retrouver pieds et poings liés politiquement avec la classe dirigeante canadienne cherchant à conclure un marché avec Trump en menant sa guerre de classe, ou avec la faction rivale de la bourgeoisie provinciale ou territoriale avec laquelle elle est le plus étroitement associée. Même avant la menace de guerre tarifaire de Trump, le NPD de l’Alberta s’apprêtait à rompre ses liens avec le parti national, afin d’adapter davantage son programme aux besoins des barons du pétrole de la province.

Même pendant qu’il se déchaînait verbalement en s’en prenant à la Chine, à la Russie et à l’Iran pendant sa campagne électorale l’automne dernier, Trump n’a cessé de proclamer – à maintes reprises – que la plus grande menace pour les oligarques américains dont il est le porte-parole est «l’ennemi intérieur» : c’est-à-dire la classe ouvrière américaine.

La seule stratégie viable au Canada pour les travailleurs voulant affirmer leurs intérêts de classe en opposition à Trudeau, Poilievre, Doug Ford, Smith en Alberta, aux ailes fédéralistes et séparatistes rivales de l’élite politique québécoise et, certainement, à Trump, c’est de joindre leurs forces à celles de cet «ennemi intérieur» dans la lutte pour la prise du pouvoir politique par les travailleurs en Amérique du Nord et le reste du monde.

(Article paru en anglais le 14 janvier 2025)

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