La classe dirigeante québécoise réagit aux menaces de Trump par une orgie de nationalisme

Tout comme dans le reste du pays, la classe dirigeante québécoise a été ébranlée par les menaces du président élu Donald Trump visant le Canada et a réagi en agitant le drapeau réactionnaire du nationalisme.

Trump a promis d’imposer des droits de douane de 25% sur toutes les importations canadiennes dès le 20 janvier, premier jour de sa seconde présidence, si le Canada ne sécurise pas sa frontière pour empêcher le passage supposément massif vers les États-Unis d’immigrants et de fentanyl.

Il a aussi averti que le Canada ne pourra plus profiter de son alliance stratégique et militaire avec les États-Unis – ce qui lui a historiquement valu sa part du butin des agressions impérialistes dirigées par Washington à travers le monde – sans assumer une plus grande part du fardeau en augmentant ses propres dépenses militaires à au moins 2% du PIB (une cible qui pourrait rapidement passer à 5%).

Le président élu américain n’a pas caché non plus sa volonté d’utiliser la «force économique» pour annexer le Canada et en faire le 51e État des États-Unis.

Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, en compagnie de Trump lors de son premier mandat à la présidence des États-Unis [Photo: Shealah Craighead White House]

Ces menaces de Trump s’inscrivent dans le contexte du conflit stratégique opposant l’impérialisme américain à la Russie et à la Chine et sa volonté de créer une Forteresse Amérique du Nord. Trump a notamment indiqué que l’annexion du Canada serait une protection contre «les navires russes et chinois qui les entourent constamment».

Pour sécuriser son emprise sur le continent américain et mieux positionner l’impérialisme américain pour s’en prendre à ses rivaux internationaux, Trump a aussi menacé le Mexique de tarifs et d’invasion tout en évoquant la prise de contrôle du Groenland et du canal de Panama par la force militaire.

Tant au niveau fédéral, où elles ont contribué à la démission du Premier ministre libéral Justin Trudeau, qu’au Québec, les menaces de Trump ont provoqué une panique dans la classe dirigeante en raison de la dépendance des économies canadienne et québécoise sur les États-Unis.

Selon une compilation du ministère québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, en 2023, les exportations du Québec à destination des États-Unis ont représenté 73,6% de ses exportations totales, ce qui correspond environ au pourcentage des exportations de l’ensemble du Canada vers les États-Unis (77%).

Le Premier ministre ultra-droitier du Québec, le multimillionnaire et ancien PDG François Legault de la Coalition avenir Québec (CAQ), a souligné l’intégration des économies nord-américaines et le caractère dévastateur qu’auraient les tarifs de Trump en prenant pour exemple l’industrie de l’aéronautique.

«Il y a des pièces d’avions qui circulent 4-5 fois entre le Québec et les États-Unis avant que l’avion soit terminé», a-t-il expliqué. «C’est certain que si chaque fois il y a un 25% de tarif qui est ajouté, et bien ça ne fonctionne pas». Il a ensuite évoqué la perte possible de 100.000 emplois.

Face à une telle menace, qui minerait profondément ses intérêts économiques tout en radicalisant les luttes des travailleurs, la classe dirigeante québécoise cherche à renforcer son emprise politique et idéologique sur la classe ouvrière avec l’argument frauduleux que travailleurs et patrons devraient faire front commun pour défendre les «intérêts du Québec».

C’est un piège mortel que les travailleurs du Québec doivent rejeter avec fermeté en reconnaissant que leurs intérêts de classe sont diamétralement opposés à ceux de la grande entreprise.

L’élite dirigeante a maintes fois agité le drapeau nationaliste des «intérêts du Québec» pour justifier les pires attaques contre les travailleurs.

On peut citer par exemple les massives coupes sociales des années 90 dans le cadre du «déficit zéro» présenté alors par le Parti québécois comme une «condition gagnante» du référendum de 1995 sur l’indépendance du Québec.

Plus récemment, au début de la pandémie de COVID-19, les centrales syndicales ont accordé un soutien inconditionnel à la CAQ sous le prétexte qu’il fallait faire face «ensemble» à une «situation d’urgence», ce qui a laissé le champ libre à la politique meurtrière du gouvernement Legault pour faire passer les profits avant les vies humaines sous le slogan «vivre avec le virus».

C’est le même argument mensonger – effaçant les véritables divisions de classe sous le couvert d’un intérêt national commun – qui sous-tend les critiques actuelles des nationalistes québécois accusant Ottawa de faire passer les intérêts de l’Ontario et de l’Alberta avant ceux du Québec.

La réponse nationaliste la plus belliqueuse aux menaces de Trump est venue du parti de la pseudo-gauche québécoise et deuxième opposition à l’Assemblée nationale, Québec solidaire (QS). Promoteur assidu de l’indépendance du Québec, QS maintient une collaboration étroite avec le Parti québécois, le parti indépendantiste traditionnel de la classe dirigeante québécoise qui a imposé de féroces mesures d’austérité capitaliste chaque fois qu’il est passé au pouvoir et qui prône aujourd’hui un virulent chauvinisme anti-immigrants.

C'est QS qui a le premier évoqué l’idée d’utiliser l’hydro-électricité comme levier de négociation avec Trump. Sa co-porte-parole Ruba Ghazal a déclaré qu’un «gouvernement solidaire» mettrait fin aux «cadeaux tarifaires» dont profitent certains États américains. Affichant le mépris pour les travailleurs et le nationalisme toxique qui caractérisent ce parti des classes moyennes aisées, Ghazal a ajouté que «[c]e sera à Donald Trump d’expliquer à ses électeurs pourquoi ça leur coûte plus cher qu’avant, se chauffer en hiver».

Tout en se disant prêt à imposer de telles représailles, Legault a affirmé que son «premier choix» était de «s’assurer qu’il n’y ait pas de tarif» et qu’il était prêt «à tout faire» pour parvenir à ce résultat – y compris par l’application des politiques ultra-réactionnaires exigées par Trump pour militariser les frontières.

Ce n’est pas une grosse concession puisque Legault et le reste de la classe politique québécoise mènent déjà une virulente campagne anti-immigrants qui allie la multiplication des mesures visant à restreindre l’immigration à un discours d’extrême droite qui leur impute la responsabilité de tous les maux économiques et sociaux.

La classe politique québécoise est aussi unanime dans son appui à la guerre des États-Unis et de l’OTAN contre la Russie en Ukraine, à ses provocations contre la Chine et au génocide mené par le chien de garde des États-Unis au Moyen-Orient, Israël, contre les Palestiniens.

Dans le cadre de sa tentative pour apaiser Trump, Legault pousse Ottawa à donner suite aux exigences de ce dernier pour une augmentation massive des dépenses militaires. Rappelant que l’OTAN «s’est fixé l’objectif que tous ses pays membres dépensent 2% de leur PIB en matière de défense» et déplorant que le Canada soit «à la traîne sur ce point», le Premier ministre québécois a enjoint Ottawa de «démontrer qu’il est sérieux sur cet enjeu» tout en soulignant que le «Québec en tirera d’ailleurs des bénéfices puisque nous avons plusieurs entreprises très performantes dans le domaine de la défense».

La classe dirigeante québécoise et le partenariat géostratégique canado-américain

Depuis le début de la Deuxième Guerre mondiale, le partenariat militaro-stratégique et économique du Canada avec les États-Unis est la pierre angulaire de sa position mondiale et une source de profits, d’accès aux marchés, d’accès aux ressources et d’influence pour le capitalisme canadien et sa section québécoise.

Il est donc essentiel pour les classes dirigeantes canadienne et québécoise de préserver l’hégémonie impérialiste américaine, à laquelle sont liés leurs propres intérêts prédateurs. Face aux menaces de Trump qui mettent ce partenariat en péril, la préoccupation principale de la bourgeoisie canadienne est de négocier la meilleure position possible au sein de la Forteresse Amérique de Trump.

Mais si Legault est ouvert à travailler avec le fédéral et les autres provinces pour conclure un accord entre le Canada et les États-Unis, les sections les plus nationalistes de la classe dirigeante québécoise cherchent à profiter de la situation pour conclure un accord séparé pour le Québec et faire la promotion de l’indépendance du Québec.

Le mouvement séparatiste québécois, qui représente la conviction de sections de la classe capitaliste québécoise qu’elles pourraient mieux faire valoir leurs intérêts au sein d’une République capitaliste du Québec, a toujours cherché à s’allier directement avec Washington.

C’est pourquoi il a appuyé dans les années 80 la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis comme un moyen de réduire l’influence jugée excessive du grand capital canadien et de Bay Street au sein de la Confédération canadienne.

Et c’est pourquoi ses deux porte-parole lors du référendum de 1995, Jacques Parizeau et Lucien Bouchard, ont cherché à rassurer Washington qu’un éventuel Québec indépendant serait membre de l’OTAN et de NORAD (Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord).

Le principal représentant des sections indépendantistes de l’élite, le Parti québécois (PQ) mené par Paul St-Pierre Plamondon, a réagi aux menaces de Trump par un discours nationaliste réactionnaire encore plus prononcé. Il a demandé à Legault de créer une «Équipe Québec» formée de représentants de toutes les sections de la bourgeoisie et des classes moyennes aisées qui ont un intérêt commun à «protéger l’économie québécoise», c'est-à-dire les juteux profits du Québec Inc.

Puis, utilisant comme prétexte la visite de la Première ministre de l’Alberta Danielle Smith au complexe floridien de Trump à Mar-a-Lago et son refus subséquent de signer une déclaration commune des Premiers ministres, St-Pierre Plamondon a réitéré que les autres provinces canadiennes avaient des intérêts incompatibles avec ceux du Québec et exigé que Legault engage des négociations séparées avec Trump.

En tant que nationaliste ultra-chauvin, St-Pierre Plamondon est celui qui donne le ton à la politique anti-immigrants et xénophobe de la classe dirigeante québécoise. Il n’a pas hésité à endosser, comme Legault, les politiques anti-immigrantes et militaristes de Trump, affirmant que l’aspirant fasciste avait raison «sur le fait que l'Amérique du Nord est mal protégée et que le Canada a systématiquement failli à ses obligations, sur le plan militaire et sur le plan des frontières, au cours des dernières décennies».

Québec Solidaire couvre le tournant vers l’extrême droite du PQ en prétendant que son nationalisme n’est pas «intolérant» et que son discours anti-immigrants s’inscrit dans «un débat légitime». Comme le Parti québécois, QS a ouvertement utilisé les menaces de Trump pour faire la promotion de l’indépendance du Québec. Selon le parti, «le manque de leadership d’Ottawa» dans le conflit avec Trump est «une raison de faire l’indépendance du Québec» puisqu’un «Québec indépendant pourrait mettre ses intérêts au cœur de ce bras de fer commercial».

Ayant jeté bas son masque «progressiste», le projet indépendantiste québécois repose aujourd’hui explicitement sur le nationalisme chauvin et l’exclusivisme ethnique. Il n’est donc pas surprenant que ses promoteurs soient disposés, tout comme la faction fédéraliste représentée par Legault, à conclure une entente avec le fasciste Trump pour intensifier le militarisme et les attaques contre les immigrants et l'ensemble de la classe ouvrière.

Les appareils syndicaux, ancrés dans le nationalisme et le capitalisme, appuient pleinement le tournant vers la guerre commerciale, le prélude à la guerre tout court. La présidente de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec), la plus grande centrale syndicale de la province, a résumé la réponse réactionnaire des syndicats aux menaces de Trump en plaidant pour un «front commun avec les entreprises et les chefs politiques pour que le pays se tienne debout face aux menaces de Donald Trump».

La cheffe syndicale confirmait ainsi la volonté des syndicats de s’allier à la grande entreprise pour imposer aux travailleurs les mesures exigées par la classe dirigeante pour que le Canada et le Québec demeurent «compétitifs» sur le marché mondial – y compris sur le marché américain sous Trump. Cela demande d’éliminer des dizaines de milliers d’emplois, réduire drastiquement l’impôt sur les riches et les sociétés, démanteler les services publics et bafouer les droits démocratiques et sociaux des travailleurs.

Les travailleurs québécois, tout comme ceux du reste du Canada, des États-Unis et du Mexique n’ont aucun intérêt à se laisser entraîner dans une guerre commerciale et militaire dont ils seront, au final, les principales victimes. Ils n’ont pas plus intérêt à soutenir les ententes réactionnaires entre le Canada ou le Québec et les États-Unis et le Mexique (comme l’ACEUM ou sa prédécesseure l’ALENA), toutes dictées par les intérêts des banques et de la grande entreprise.

Au contraire, les travailleurs québécois doivent s’unir avec leurs frères et sœurs de classe de partout au Canada – francophones, anglophones et immigrés – aux États-Unis, au Mexique et ailleurs, pour défendre les emplois, les services publics et les droits des travailleurs, ainsi que pour s’opposer à la guerre impérialiste. Cela ne peut se faire que dans le cadre d'une lutte commune contre le capitalisme et son système rétrograde d'États-nations rivaux, et pour l'établissement des États-Unis socialistes d'Amérique du Nord.

Loading