La police de Londres a lancé une répression massive lors de la Marche nationale pour la Palestine qui s'est tenue samedi, procédant à 77 arrestations. Parmi celles-ci, Chris Nineham, l'une des figures de proue de la Stop the War Coalition (STWC), a été brutalement arrêté par un groupe d’extraction de la police composé de 10 hommes.
Nineham, vice-président de la STWC, a été le principal organisateur des marches nationales pour la Palestine, auxquelles ont participé des millions de personnes et qui ont eu lieu ces 15 derniers mois dans la capitale.
Il a été détenu toute la nuit, accusé d'avoir organisé une manifestation illégale et finalement libéré plus de 20 heures après son arrestation. Il n'a même pas été autorisé à s'adresser à ses partisans devant le commissariat de police, sa libération étant assortie d'une condition antidémocratique: qu'il ne participe à aucune manifestation.
Bien qu’ils n’aient pas été arrêtés samedi, deux des intervenants au rassemblement – l’ancien chef du Parti travailliste Jeremy Corbyn et son ancien ministre fantôme des Finances John McDonnell, également député – devaient être interrogés dimanche sous caution par la police métropolitaine. La BBC a rapporté qu’ils «se rendraient volontairement dans un commissariat de police de la capitale pendant que la police métropolitaine enquête sur ce qu’elle considère comme un effort coordonné des organisateurs pour violer les conditions imposées à l’événement».
La marche de samedi était la 23e manifestation nationale au Royaume-Uni contre le génocide de Gaza, et a réuni des dizaines de milliers de personnes. Les organisateurs ont dû faire face à des tentatives répétées ces dernières semaines pour l'interdire ou la restreindre massivement, revendiquant leur droit démocratique de manifester, jusqu'à la veille même de la manifestation. La police a finalement autorisé qu'elle soit «limitée à un rassemblement stationaire à Whitehall» – la rue de moins d'un kilomètre de long reliant Trafalgar Square à Parliament Square.
Des forces de l’ordre ont été mobilisées pour la journée, y compris des forces de police d'autres régions de Grande-Bretagne, réparties dans le quartier de Whitehall, les routes étant bloquées dans toutes les directions. La police était également postée à proximité de Portland Place, où la marche devait initialement commencer, devant le siège de la BBC.
Nineham a été arrêté à la suite des discours prononcés au rassemblement par les différents dirigeants de la Coalition palestinienne organisatrice de la manifestation. Plusieurs d'entre eux ont condamné la tentative de la police, soutenue par un nombre important de députés, d'interdire et de restreindre la marche.
Ben Jamal, un dirigeant de la Campagne de solidarité avec la Palestine (PSC), a déclaré à la fin du rassemblement que les dirigeants des six organisations qui composent la coalition, ainsi que les intervenants de la tribune, «marcheront désormais en délégation vers la BBC. Nous porterons avec nous des fleurs que nous avons l'intention de déposer aux portes de la BBC pour protester contre son incapacité à révéler la vérité sur le génocide et pour marquer le coût en vies palestiniennes de cet échec».
Jamal a promis, comme cela s’est passé alors : «Nous marcherons pacifiquement, nous marcherons en silence. Si la police nous arrête, ce qui sera probablement le cas, nous déposerons ces fleurs aux pieds des forces de l’ordre pour marquer leur complicité dans le soutien au génocide en réprimant les manifestations contre ce génocide». Les autres orateurs, Corbyn et McDonnell, ainsi que la députée travailliste Apsana Begum, ont défilé avec les organisateurs évoqués par Jamal.
Des milliers de manifestants les ont suivis en silence dans Whitehall et jusqu'à Trafalgar Square. La police a déclaré dans un message publié sur X à 15h27 que les manifestants étaient un groupe qui avait «forcé un passage à travers le cordon de police» et avait «violé les conditions». Ils «devraient maintenant se disperser et quitter la zone» ou «seront arrêtés».
Lors de l’arrestation de Nineham, ils l'ont traîné au sol avant de l'enfermer dans un fourgon de police qui attendait.
Dans un message publié plus tard samedi, Corbyn, qui est député d’une circonscription de Londres, a déclaré: « Ce n’est pas du tout une description exacte des événements […] Nous n’avons pas forcé le passage. Quand nous sommes arrivés à Trafalgar Square, nous avons informé la police que nous n’irions pas plus loin, nous avons déposé des fleurs et nous nous sommes dispersés. À ce moment-là, le responsable du service d’ordre, Chris Nineham, a été arrêté. Nous avons alors fait demi-tour et nous nous sommes dispersés ».
La Coalition palestinienne a également publié une déclaration s'opposant au «récit trompeur de la police de Londres sur les événements».
« Ce jour-là, nous avons été confrontés à une police extrêmement brutale et agressive », a-t-il ajouté, soulignant que la police avait « imposé une série de restrictions complexes » avec moins d'un jour de préavis, notamment en empêchant tout rassemblement en plein centre de Whitehall pendant une partie de la journée pour permettre à une fanfare d’enfants de défiler et de redéfiler ».
Il s'agissait de la fanfare de cornemuses et de tambours de la Gordon's School, dont la marche annuelle commémore la mort du général Charles George Gordon (1833-1885), une figure majeure de l'histoire coloniale de l'impérialisme britannique.
Le communiqué indique que lorsque la délégation des organisateurs a atteint le cordon de police à l’extrémité de Whitehall, «elle n’a pas été arrêtée comme on s’y attendait mais a été invitée à se diriger vers Trafalgar Square par la police».
Après que la délégation eut été empêchée de quitter la place, elle a demandé qu'un maximum de 25 personnes soient autorisées à avancer et on lui a dit d'attendre une décision, pendant laquelle «la police a violemment et sans raison apparente arrêté le responsable du service d’ordre, Chris Nineham».
La délégation avait déposé ses fleurs et s’était dispersée, tandis que «Ben Jamal et Ismail Patel [des Amis d’Al-Aqsa] ont utilisé un mégaphone pour appeler la foule qui s’était rassemblée autour d’eux à faire de même, ce que les gens ont fait. À aucun moment il n’y a eu de violation organisée des conditions imposées par la police.»
La police a néanmoins procédé à 77 arrestations, dont 65 pour «manquement aux conditions [pour manifester]» et cinq pour «trouble à l’ordre public». La BBC a rapporté dimanche que parmi les personnes arrêtées, «24 personnes ont été libérées sous caution et 48 sont restées en détention».
Marquant une nouvelle étape dans la répression du droit de manifester, la police a décrit les événements de samedi comme un «effort coordonné pour violer les conditions de la loi sur l'ordre public et causer de graves perturbations aux Londoniens».
C’est là l’aboutissement d’un long effort de la police, de la BBC et de nombreux députés pour perturber, provoquer et attiser l’animosité contre une manifestation dont la tenue était prévue depuis des semaines.
Le 10 janvier, la police métropolitaine de Londres a interdit aux manifestants de se rassembler au siège de la BBC à Portland Place, comme initialement prévu. La police affirma que cette interdiction « reflétait l'opinion des représentants de la communauté locale et des entreprises», notamment des fidèles d'une synagogue.
Comme l’a fait remarquer Nineham dans une réponse publiée le 12 janvier, il y avait «deux synagogues dans le quartier […] Les synagogues ne figurent pas réellement sur le parcours, donc étant donné le nombre de synagogues dans le centre de Londres, cette décision signifierait qu’il n’y aurait pas de manifestations palestiniennes dans le quartier du West End de Londres.»
L’interdiction de la manifestation devant les locaux de la BBC a été réclamée par de nombreux députés et par des médias corrompus qui ont d’emblée calomnié les rassemblements anti-génocide, les traitant de «marches de la haine». Le 8 janvier, le Sun a rapporté que «plus de 80 politiciens», députés et lords, avaient «imploré le chef de la police de Londres, Sir Mark Rowley, d’utiliser ses pouvoirs pour modifier l’itinéraire d’une manifestation de la Campagne de solidarité avec la Palestine» affirmant que les manifestations précédentes avaient créé «un sentiment d’intimidation de la communauté juive».
La marche depuis Broadcasting House (siège de la BBC) fut interdite le lendemain, une action à laquelle s'opposaient seulement 39 députés sur un Parlement de 650, ce qui montre à quel point l'establishment politique a basculé à droite.
Le 17 janvier, 24 heures seulement avant le début de la marche, alors que les organisateurs de la marche insistaient sur leur droit démocratique à manifester, la Coalition palestinienne a publié une déclaration expliquant: «Hier, la police métropolitaine a annoncé publiquement son intention de forcer notre manifestation à se rassembler à Russell Square et a menacé d'arrêter quiconque se rassemblerait ailleurs.»
Ces événements confirment que l’État britannique, impliqué jusqu’au cou dans le massacre de Gaza et dans la guerre de l’OTAN contre la Russie, a conclu que les manifestations contre la guerre ne peuvent plus être tolérées. Il met à exécution la menace proférée en novembre dernier par Matt Twist, le troisième plus haut gradé de la police métropolitaine qui, parlant des manifestations de Gaza au groupe de réflexion d’extrême droite Policy Exchange disait: «Parfois, nous n’avons pas agi rapidement pour procéder à des arrestations […] Nous nous concentrons désormais beaucoup plus sur l’identification de motifs raisonnables d’arrestation, sur les mesures à prendre si nécessaire, puis sur les enquêtes. Dans ces circonstances, il est donc très probable que les arrestations soient effectuées plus rapidement.»
Mais cette répression n’est qu’un avant-goût de ce qui est à venir. Le 14 janvier, la Coalition palestinienne a révélé qu’une réunion avec la police avait eu lieu ce jour-là pour tenter de garantir la tenue de son projet de manifestation du 18 janvier. Elle a expliqué que la police avait alors avancé «la suggestion spécieuse d’organiser notre marche un autre jour que le samedi – le jour où se tiennent toutes les grandes manifestations à Londres – quelque chose dont tout le monde sait qu’il ne serait pas possible d’organiser à une telle échelle.»
«Au cours de la réunion, la police a confirmé qu’elle cherchait à interdire toute manifestation de soutien aux droits des Palestiniens devant la BBC les samedis. C’est une honte, car elle a explicitement concédé que cette interdiction ne s’appliquerait pas à ceux qui manifesteraient pour d’autres causes, y compris les manifestations pro-israéliennes.»
(Article paru en anglais le 19 janvier 2025)