Pour son premier acte de secrétaire d'État de l'administration Trump, Marco Rubio a convoqué une réunion du Dialogue quadrilatéral sur la sécurité (Quad), une alliance de facto des États-Unis, du Japon, de l'Inde et de l'Australie ; il a ensuite rencontré les ministres des Affaires étrangères de ces pays en tête-à-tête.
En faisant de la réunion du Quad la première priorité de Rubio, le message était clair: l'intensification de la confrontation tous azimuts avec la Chine, considérée comme la principale menace à la domination impérialiste américaine, sera au cœur de la politique étrangère de l'administration fasciste.
Cette rencontre était inhabituelle à plusieurs égards. En général, les ministres des Affaires étrangères ne sont pas présents aux investitures présidentielles américaines, mais Trump a rompu avec le protocole et a invité plusieurs d'entre eux, notamment ceux du Quad.
Dès son entrée en fonction, un secrétaire d’État a souvent rencontré ses homologues nord-américains du Canada et du Mexique avant d’élargir le champ de ses contacts. Mais ces pays sont dans la ligne de mire de la politique de «l’Amérique d’abord» de Trump. Le dirigeant fascisant a menacé d’imposer des tarifs douaniers massifs au Canada, voire de le conquérir, et a déclaré, dès son entrée en fonction, que le golfe du Mexique était désormais le «golfe d’Amérique».
Alors que Trump lance une offensive contre ces pays dans le cadre de ses plans visant à établir une «forteresse Amérique du Nord» et menace de prendre des mesures de guerre commerciale massives contre l'Europe, les pays du Quad sont considérés comme les principaux partenaires stratégiques et géopolitiques de la nouvelle administration.
La presse internationale a souligné que cela visait avant tout la Chine, publiant des titres comme : «Les ministres des Affaires étrangères du Quad se réunissent à Washington, signe de l'attention portée par Trump à la Chine» ou «Le faucon anti-Chine Rubio donne le coup d'envoi de la politique étrangère de Trump avec une réunion du ‘Quad’ indopacifique».
Rubio et les trois ministres des Affaires étrangères ont publié une brève déclaration dans laquelle ils affirmaient leur «engagement commun à renforcer l’espace indopacifique libre et ouvert où l’État de droit, les valeurs démocratiques, la souveraineté et l’intégrité territoriale sont respectés et défendus».
Une telle rhétorique, employée par les administrations américaines successives pour justifier un renforcement de la politique anti-Chine dans la région indopacifique, a toujours été empreinte d’hypocrisie, compte tenu du bilan de l’impérialisme américain en matière d’invasions criminelles, de guerres agressives et de coups d’État.
Mais il est manifestement absurde que l’administration Trump parle de «souveraineté» et « d’intégrité territoriale» dans la région indopacifique, alors que son commandant en chef parle de s’emparer du Canada, du canal de Panama et du Groenland, pour des motifs non dissimulés d’expansion impériale.
Après avoir répété à nouveau l’importance du «droit international», de la «paix» et de la « stabilité», la déclaration affirme: «Nous nous opposons également fermement à toute action unilatérale qui cherche à changer le statu quo par la force ou la coercition. »
Ce sont là les points de discussion utilisés par les administrations précédentes d’Obama, de Trump et de Biden pour exacerber les tensions.
Une «indopacifique libre et ouvert» est un mot-code qui signifie que la région est ouverte aux États-Unis et à leurs alliés pour mener librement toutes les provocations militaires et diplomatiques qu’ils souhaitent contre Pékin, tout en procédant à un renforcement militaire massif. Et la «force» ou la «coercition» désignent toutes les mesures utilisées par la Chine qui vont à l’encontre des intérêts de l’impérialisme américain.
La décision de Rubio de convoquer une réunion du Quad, plutôt que de se contenter de réunions bilatérales avec les ministres des Affaires étrangères de ses États membres, témoigne des projets de l'administration Trump pour une confrontation militaire coordonnée et à grande échelle avec la Chine. Pékin a toujours été farouchement hostile au Quad, car il rassemble les quatre plus grandes armées de la région, et vise la Chine.
Le Quad a été créé par l'administration Bush en 2007, parallèlement à l'exercice militaire de grande envergure Malabar. À l'époque, le Quad était largement considéré comme une réponse des États-Unis à l'influence économique et stratégique croissante de la Chine.
Mais l’organisme a connu quelques déboires peu de temps après sa création, en raison des hésitations des membres non américains. Bien que pleinement engagés dans leurs alliances bilatérales respectives avec les États-Unis, ils craignaient les implications évidentes d’une confrontation militaire, incarnée par le Quad, avec la Chine, un partenaire commercial majeur des États indopacifiques.
L’organisme a été relancé sous la première administration Trump en 2017, dans le cadre de l’intensification de son agression de la Chine. Ces dernières années, si le Quad a tenu des réunions régulières, des plaintes ont été formulées dans les cercles militaro-stratégiques américains et alignés, que ses réunions n’étaient pas assez fréquentes et n’entraînaient que peu d’actions concrètes.
Signal clair qu’on allait apaiser ces péoccupations, la réunion convoquée par Rubio s'est engagée à «se réunir régulièrement alors que nous préparons le prochain sommet des dirigeants du Quad organisé par l'Inde».
Après la réunion du Quad, Rubio et le conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz ont rencontré chacun des ministres des Affaires étrangères.
Il convient de noter que la première rencontre a eu lieu avec le ministre indien des Affaires étrangères, S. Jaishankar.
Sous la direction du Premier ministre Narendra Modi, l’Inde a abandonné les derniers vestiges de sa politique étrangère de «non-alignement» et est devenue un partenaire à part entière dans la confrontation des États-Unis avec la Chine. Cela s’est traduit par l’intensification des exercices militaires conjoints, par la volonté d’aligner d’autres pays d’Asie du Sud sur la marche vers la guerre des États-Unis et par l’aggravation des propres différends frontaliers avec la Chine.
En raison de sa taille et de sa position géographique, l'Inde serait cruciale dans tout conflit militaire avec Pékin. Elle est également devenue la cinquième économie mondiale en termes de produit intérieur brut nominal et possède une population comparable à celle de la Chine.
Dans un résumé des discussions, Jaishankar a déclaré que l’accent avait été mis «en particulier sur les technologies critiques et émergentes, la coopération en matière de défense, l’énergie et la promotion d’une région indopacifique libre et ouverte». Les technologies critiques, notamment la domination de l’IA, sont au cœur de la confrontation entre les États-Unis et la Chine.
Le ministre japonais des Affaires étrangères Iwaya Takeshi a déclaré que sa conversation avec Rubio comprenait une discussion sur l'expansion militaire en cours du Japon. Le budget du pays pour 2025 prévoit un montant record de 8,7 billions de yens (55,3 milliards de dollars) pour l'armée, ce qui représente la 13e augmentation consécutive des dépenses militaires annuelles. Cela fait partie du rejet et de la violation en bloc de la clause pacifiste de la constitution japonaise d’après la Seconde Guerre mondiale.
Le résumé de leur discussion était plus explicite que la déclaration du Quad. Ils avaient parlé de la nécessité de «contrer les menaces actuelles dans l'Indopacifique et le monde, notamment d’efforts conjoints contre les actions déstabilisatrices de la Chine ». On avait également « discuté des préoccupations au sujet de l'alignement politique et sécuritaire de la Corée du Nord (RPDC) avec la Russie, et du soutien de la Chine à la base industrielle de défense Russe».
La Chine a été explicitement identifiée comme cible. Il est significatif que le résumé soulignait l’interdépendance de la confrontation de Washington avec la Chine et de la guerre par procuration menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine.
Avec la ministre australienne des Affaires étrangères Penny Wong, Rubio a «discuté des efforts visant à poursuivre la coopération en matière de sécurité par le biais de l'AUKUS et des initiatives de défense bilatérales, et à renforcer notre partenariat sur les minéraux critiques et la sécurité de la chaîne d'approvisionnement mondiale».
La question de la domination sur la production et transformation des minéraux critiques, essentiels aux produits militaires et de haute technologie, est un autre élément de la campagne américaine visant la Chine. L’Australie en possède de vastes gisements et l’administration Biden a conclu des accords d’une grande portée, qui autorisent notamment les investissements du gouvernement américain dans le secteur australien des minéraux critiques.
À l'approche de l'investiture de Donald Trump, des craintes ont été exprimées dans les milieux sécuritaires américains et australiens quant à l'attitude de la nouvelle administration à l'égard de l'AUKUS. Ce dernier constitue un centre essentiel de planification et préparation de la guerre réunissant les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie.
Dans le cadre de l’AUKUS, l’Australie doit acquérir auprès des États-Unis des sous-marins à propulsion nucléaire. Cela fait partie de préparatifs militaires menés par le gouvernement travailliste et l’administration Biden, qui comprenaient encore une vaste extension des bases américaines dans le nord et l’ouest du continent australien et le déploiement d’importantes capacités de frappe américaines.
L'approbation de l'AUKUS par Rubio a été saluée par les faucons anti-chine en Australie et Wong, dont le gouvernement s'est concentré avant tout sur la militarisation du continent, souriait jusqu'aux oreilles sur ses photos avec le nouveau secrétaire d'État.
Lors d'un appel téléphonique au président philippin Bongbong Marcos hier, Rubio a promis un engagement «à toute épreuve» en faveur de la sécurité de Manille et a dénoncé des « actions dangereuses et déstabilisatrices» de la Chine en mer de Chine méridionale. En réalité, les États-Unis ont attisé des conflits de longue date à propos de territoires marins, transformant dans la dernière décennie des différends latents en poudrières porteuses de guerres.
Cette situation a atteint un nouveau palier avec le gouvernement de Marcos aux Philippines, qui a supervisé l’année dernière des affrontements armés en mer avec les forces chinoises qui auraient pu déclencher une guerre totale.
Les premiers actes du secrétaire d'État Rubio confirment que Trump a reçu le soutien des secteurs dominants de l'élite dirigeante américaine pour la poursuite de la politique de longue date visant à inverser le déclin prolongé de l'impérialisme américain. L'intensification des préparatifs de guerre contre la Chine, qui a caractérisé toutes les administrations américaines depuis 2011, occupera une place centrale dans ces efforts.
(Article paru en anglais le 24 janvier 2025)