Trump ordonne la construction d'un système de défense antimissile pour les États-Unis dans le cadre d'une expansion majeure du dispositif nucléaire américain

Des soldats montent une ogive nucléaire remise à neuf au sommet d'un missile balistique intercontinental Minuteman III. [AP Photo/Eric Draper]

Lundi, le président Donald Trump a ordonné la construction d'un nouveau système de défense antimissile couvrant les États-Unis, dernière mesure en date d'une campagne menée depuis des années par plusieurs administrations en vue d'accroître massivement les capacités nucléaires américaines.

Trump a déclaré lundi dans la soirée qu'il allait «commencer immédiatement la construction d'un bouclier de défense antimissile Dôme de fer à la pointe de la technologie».

Et d’ajouter: «Nous allons garantir que nous disposons de la force combattante la plus létale au monde».

Son décret «ordonne la mise en œuvre d'un bouclier de défense antimissile de nouvelle génération pour les États-Unis contre les attaques balistiques, hypersoniques, de missiles de croisière avancés et d'autres attaques aériennes de nouvelle génération».

Malgré la terminologie employée, les systèmes de défense antimissile nucléaire sont par nature offensifs et non défensifs. L'objectif est de faciliter les premières frappes nucléaires en permettant au pays qui construit le bouclier de mener une attaque nucléaire contre un autre pays doté de l'arme nucléaire, puis d'abattre les missiles nucléaires envoyés en réponse à cette attaque.

Cette annonce intervient alors que Trump a menacé de s'emparer par la force militaire du canal de Panama et du Groenland, territoire du Danemark, membre de l'OTAN, en plus de poursuivre la guerre par procuration menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine et d'intensifier le renforcement des capacités militaires visant la Chine. Trump a également menacé de faire la guerre au Mexique et de faire du Canada un État américain, transformant ainsi l'Amérique du Nord en champ de bataille.

Le décret signé par Trump est intitulé «Le Dôme de fer pour l'Amérique», en référence au système israélien de défense antimissile Dôme de fer, qui a permis à Israël d'attaquer la plupart de ses voisins, comme le Liban, l'Irak, la Syrie, le Yémen et l'Iran, ces dernières années, tout en ne subissant que des dommages limités de la part des contre-attaques.

Les États-Unis sont 40 fois plus grands qu'Israël, et tout système de défense antimissile couvrant l'ensemble des États-Unis coûterait, au minimum, des centaines de milliards de dollars – un chiffre tout à fait conforme au programme de modernisation nucléaire de plus de 1000 milliards de dollars qui est en cours depuis des années.

Commentant l'ampleur du plan, le Wall Street Journal a écrit avec approbation :

Rien de tout cela ne sera bon marché, et M. Trump devra chercher à obtenir bien plus que les quelque 10 milliards de dollars par an que les États-Unis consacrent actuellement à la défense antimissile. Il aura également besoin de champions au Pentagone et au Congrès pour faire passer ce projet dans une bureaucratie qui préfère dépenser pour d’autres choses.

L'implication est, comme l'indique le Journal, que l'allocation de ressources pour ce renforcement militaire entraînera des coupes massives dans les dépenses sociales du pays.

L'ordre instruit le secrétaire à la Défense Pete Hegseth de soumettre à la Maison-Blanche dans les 60 jours une «architecture de référence, des exigences basées sur les capacités et un plan de mise en œuvre pour le bouclier de défense antimissile de nouvelle génération».

Il prévoit un programme de «défense des États-Unis contre les missiles balistiques, hypersoniques et de croisière avancés, ainsi que contre d'autres attaques aériennes de nouvelle génération lancées par des adversaires pairs, quasi pairs ou voyous. »

Le programme serait d'une grande ampleur, avec le déploiement d'une nouvelle série de capteurs pour le traçage des missiles, ainsi que le «développement et le déploiement d'intercepteurs spatiaux proliférants».

Les menaces de Trump d'utiliser l'armée américaine pour mener à bien sa politique étrangère annexionniste ont déclenché des alarmes en Europe. Robert Brieger, président du Comité militaire de l'Union européenne, la plus haute instance militaire du bloc, a déclaré au journal allemand Die Welt que l'UE devait déployer des forces militaires au Groenland. « Cela enverrait un signal fort », a-t-il déclaré.

Entre-temps, le Danemark a annoncé l'affectation de plus d'un milliard d'euros à l'expansion de ses défenses dans la région arctique, y compris au Groenland. «Nous devons admettre qu'il existe de sérieux défis en matière de sécurité et de défense dans l'Arctique et l'Atlantique Nord», a déclaré lundi Troels Lund Poulsen, ministre de la Défense du pays.

Le programme de défense antimissile de Trump n'est que la dernière étape d'une expansion massive des forces nucléaires américaines, initiée sous l'administration Obama, dans ce que les planificateurs militaires américains appellent le «deuxième âge nucléaire».

En octobre dernier, le New York Times a publié un article de fond, basé sur plus de 100 entretiens, analysant un plan secret dédié à «rendre l'Amérique à nouveau nucléaire» grâce à la création d'un «arsenal moderne pour une nouvelle ère nucléaire volatile».

«Si vous ne vivez pas là où on soude les sous-marins ou creuse les silos à missiles, il y a de fortes chances que vous ne sachiez pas que cela se passe», écrit le Times. «Le gouvernement fédéral a peu parlé du plan en public, en dehors des auditions du Congrès et des documents de stratégie, ou encore des sommes considérables qui sont dépensées. Il n'y a pas eu de débat important. Ces programmes de milliards de dollars passent sous les radars».

Le plan pour le «deuxième âge nucléaire» transcende les administrations. Le plan semi-secret de modernisation nucléaire, conceptualisé pour la première fois en 2010 sous Obama et lancé à grande échelle en 2014, s'est poursuivi et accéléré sous Trump et Biden, et doit être encore intensifié par la deuxième administration Trump.

Dans le contexte de la proposition de Trump de construire un nouveau système de défense antimissile pour les États-Unis, le Bulletin of the Atomic Scientists, fondé en 1945 par Albert Einstein, J. Robert Oppenheimer et des scientifiques de l'Université de Chicago ayant contribué à développer les premières armes atomiques, a averti que le risque de destruction nucléaire dans le monde est plus grand qu'il ne l’a jamais été.

Le Bulletin écrit qu'«en 2024, l'humanité s'est rapprochée de plus en plus de la catastrophe... Par conséquent, nous faisons passer l'horloge de l'apocalypse de 90 secondes à 89 secondes avant minuit, ce qui n'a jamais été aussi proche de la catastrophe ».

La revue scientifique fait cette mise en garde :

Les pays qui possèdent des armes nucléaires augmentent la taille et le rôle de leurs arsenaux, investissant des centaines de milliards de dollars dans des armes qui peuvent détruire la civilisation. Le processus de contrôle des armes nucléaires est en train de s'effondrer et les contacts de haut niveau entre puissances nucléaires sont totalement inadaptés au danger existant. Fait alarmant, il n'est plus rare que des pays n’ayant pas d'armes nucléaires envisagent de posséder leurs propres arsenaux, ce qui saperait les efforts de non-prolifération déployés de longue date et multiplierait les possibilités de déclenchement d'une guerre nucléaire.

Manpreet Sethi, s'exprimant au nom du Bulletin of the Atomic Scientists, a averti que les États-Unis semblaient « enclins à développer leur arsenal nucléaire et à adopter une position qui renforce la croyance que l'utilisation “limitée” des armes nucléaires peut être gérée. Cette confiance mal placée pourrait nous faire tomber dans une guerre nucléaire».

Dans un examen annuel détaillé des forces nucléaires des États-Unis, le Bulletin of the Atomic Scientists avertit que «les États-Unis se sont lancés dans un vaste programme de modernisation nucléaire qui verra finalement chaque système de lancement nucléaire remplacé par de nouvelles versions au cours des prochaines décennies».

Il conclut ainsi:

D'après l'estimation du Congressional Budget Office de 2017, l'effort coûtera 1200 milliards de dollars [...] Fait notable, bien que l'estimation tienne compte de l'inflation, d'autres estimations prévoient que le coût total sera plus proche de 1 700 milliards de dollars (Arms Control Association 2017). Quel qu’en soit le prix réel, les tendances historiques et les retards chroniques du programme de modernisation indiquent qu'il est susceptible d'augmenter au fil du temps.

Le renforcement massif de l'arsenal nucléaire au cours de la dernière décennie est désormais entre les mains de Trump ; et ses cibles de coercition nucléaire comprennent non seulement l'ex-Union soviétique, la Chine et l'ancien monde colonial, mais aussi les rivaux impérialistes de Washington, contre lesquels il a menacé d'utiliser l'armée américaine.

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