Les sociaux-démocrates canadiens prônent l'«unité nationale» pour mener une guerre tarifaire contre les États-Unis

Le Nouveau Parti démocratique (NPD), soutenu par les syndicats, se rallie à la bourgeoisie canadienne dans sa guerre tarifaire imminente avec Washington. Les sociaux-démocrates et les bureaucraties syndicales du Canada sont déterminés à rallier les travailleurs à la volonté de la classe dirigeante de protéger ses intérêts prédateurs et de bloquer l'émergence d'un mouvement transfrontalier des travailleurs américains et canadiens contre les deux puissances impérialistes du continent.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a appelé à l'«unité nationale» face aux menaces tarifaires du président américain Donald Trump. Il exhorte le premier ministre canadien Justin Trudeau à mettre en place une table ronde tripartite semi-permanente composée de dirigeants politiques, d'entreprises et de syndicats afin de planifier la réponse de l'impérialisme canadien à Trump et de superviser la mise en œuvre de mesures de rétorsion belliqueuses contre toute action commerciale américaine ciblant le Canada.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, et le premier ministre libéral, Justin Trudeau [Photo: YouTube]

Pour obtenir des concessions sur le commerce, la politique étrangère et énergétique et les dépenses militaires, et pour préparer le terrain afin de contraindre le Canada à une union politique avec les États-Unis, le président américain fasciste a promis d'imposer des droits de douane de 25 % sur l'ensemble des 440 milliards de dollars d'exportations annuelles du Canada vers les États-Unis, et ce dès ce samedi 1er février.

Trump a directement lié son conflit avec le Canada et le Mexique, l'autre partenaire de Washington pour le «libre-échange» de l'USMCA, aux menaces d'utiliser la force militaire pour s'emparer du Groenland et du canal de Panama : qu'il justifie comme étant nécessaires pour renforcer la «sécurité nationale» des États-Unis. Trump et les oligarques américains au nom desquels il s'exprime sont déterminés à assurer une domination et un contrôle débridés sur l'Amérique du Nord dans le cadre de leurs préparatifs en vue d'une guerre totale avec la Russie et la Chine.

La guerre commerciale qui se développe entre le Canada et les États-Unis, qui s'est accompagnée de menaces de Trump d'utiliser la «force économique» pour annexer le Canada, est un conflit réactionnaire entre des puissances impérialistes rivales qui se déroule aux dépens des travailleurs des deux côtés de la frontière. Il fait partie intégrante de la volonté impérialiste de repartager le monde par l'agression et la guerre, afin de s'assurer le contrôle des ressources naturelles, des territoires stratégiques, des réseaux de production et du pillage pur et simple.

Si l'impérialisme américain est au premier plan, l'impérialisme canadien est également un protagoniste de cette volonté de rediviser le monde. Il joue un rôle de plus en plus important sur les trois fronts de ce qui est en train de devenir une guerre mondiale menée par les États-Unis : contre la Russie en Europe de l'Est, la Chine dans l'Indo-Pacifique et l'Iran et ses alliés au Moyen-Orient.La bourgeoisie canadienne, qui depuis plus de huit décennies considère son partenariat militaro-sécuritaire avec Washington comme le cadre essentiel de la poursuite de ses intérêts et ambitions mondiaux, ne s'«oppose» à Trump que dans la mesure où elle veut que ses prérogatives en tant que partenaire junior de l'impérialisme américain soient dûment reconnues et ne soient pas sujettes à révision à volonté par Washington.

Toutes les factions régionales qui se chamaillent sont déterminées à maintenir l'alliance canado-américaine. Elles ne se préoccupent que de leurs profits et de leurs intérêts prédateurs, qu'elles cherchent à garantir en faisant pression pour obtenir la position la plus avantageuse au sein d'une forteresse Amérique du Nord dirigée par les États-Unis.

Ainsi, alors même qu'ils dénoncent Trump, tous les représentants politiques de la bourgeoisie – de Trudeau et Doug Ford, premier ministre de l'Ontario, à François Legault, au Québec, et à Danielle Smith, première ministre d'extrême droite de la principale province productrice de pétrole du Canada – appellent à l'expansion de l'alliance stratégique canado-américaine. Ils s'engagent également à ce que le Canada «partage» davantage le fardeau de la «défense» d'un ordre mondial dirigé par l'impérialisme américain.

Ils reprochent à Trump de déstabiliser ce qu'ils qualifient de partenariat « très fructueux », portant ainsi atteinte aux intérêts impérialistes américains et canadiens.

Le rôle du NPD et des syndicats visant à rallier la classe ouvrière derrière le capital canadien

Les sociaux-démocrates canadiens sont tout à fait d'accord avec tout cela.

Alors que la classe dirigeante est sidérée par les menaces de Trump et cherche à se préparer à relever ce qu'elle considère comme un défi existentiel, les politiciens du NPD et leurs proches alliés de la bureaucratie syndicale sont déterminés à jouer le rôle qui leur est dévolu, à savoir rallier la classe ouvrière derrière le capital canadien.

Dans une lettre ouverte adressée au premier ministre Trudeau le 15 janvier, Singh a déclaré : «Nous ne pouvons pas nous permettre de rester les bras croisés en regardant les événements se dérouler : les Canadiens attendent du gouvernement qu'il adopte une approche proactive qui permette au Canada de lutter ensemble et de manière coordonnée contre cette agression [...] Les premiers ministres du Canada, les dirigeants de tous les partis fédéraux représentés au Parlement, les organisations autochtones, les syndicats et les dirigeants industriels et commerciaux doivent être réunis immédiatement pour élaborer une réponse unie aux tarifs douaniers de Donald Trump.»

Compte tenu de la gravité de la crise dans les relations canado-américaines, la proposition de Singh de mettre en place un mécanisme tripartite permanent pour superviser la guerre commerciale avec Washington et gérer ses retombées socio-économiques, géostratégiques et politiques est, en fait, un appel à un gouvernement d'«unité nationale».

Il convient de souligner que le NPD a soutenu le gouvernement libéral minoritaire, avec la bénédiction et l'encouragement des syndicats, au cours des six dernières années.

Au nom de la «stabilité politique», les sociaux-démocrates ont réagi au déclenchement de la guerre avec la Russie, provoquée par l'OTAN, en concluant une alliance gouvernementale formelle avec Trudeau et ses libéraux en mars 2022. Ils ont continué à fournir aux libéraux les voix parlementaires nécessaires pour s'accrocher au pouvoir, alors même que le gouvernement s'enfonçait de plus en plus à droite. Il a notamment soutenu fermement l'assaut génocidaire d'Israël contre les Palestiniens, augmenté massivement les dépenses militaires, mis en œuvre l'austérité «post-pandémique», brisé les grèves en utilisant une réinterprétation inventée de l'article 107 du Code canadien du travail et imposé aux travailleurs des réductions importantes des salaires réels.

Les votes des députés néo-démocrates en faveur du maintien au pouvoir des Libéraux ont été le complément parlementaire des efforts déployés par les syndicats pour contenir, faire dérailler et désamorcer la vague de grèves massives qui a déferlé sur tous les secteurs de l'économie à travers le pays depuis l'automne 2021. Le mois dernier, alors que le NPD votait à nouveau la «confiance» au gouvernement libéral, le Congrès du travail du Canada (CTC) et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) appliquaient le dernier ordre de grève manifestement illégal de Trudeau, forçant le retour au travail de 55.000 travailleurs de Postes Canada.

Aujourd'hui, les bureaucrates syndicaux utilisent la menace de Trump pour justifier l'approfondissement de leur alliance anti-ouvrière avec les grandes entreprises et l'État.

Soulignant qu'il se range aux côtés du NPD et des grandes entreprises canadiennes, le CTC a lancé son propre appel à l'«unité nationale» deux jours après l'appel de Singh au premier ministre. «Il est temps que les dirigeants politiques du Canada reconnaissent l'urgence de la situation et s'y attaquent avant qu'elle ne se transforme en une véritable crise», a déclaré la principale fédération syndicale du pays. Dans sa déclaration, elle demande au gouvernement d'élaborer «une stratégie industrielle à long terme qui protège les travailleurs canadiens des caprices d'une administration étrangère».

Le CTC et ses affiliés, comme les Métallurgistes unis (USW – les Métallos) et Unifor, le plus grand syndicat industriel du pays, font pression depuis longtemps pour que le Canada bénéficie d'un accès privilégié au marché américain, au motif que l'acier et l'aluminium fabriqués au Canada sont indispensables à la fabrication des chars et des avions de chasse qui alimentent la machine de guerre américaine. Bien que ce point n'ait pas été expressément mentionné dans la déclaration du CTC, il ne fait aucun doute que les syndicats ne tarderont pas à le soulever dans le cadre de leurs activités de lobbying auprès des dirigeants politiques et des chefs d'entreprise américains, ainsi que pour attiser le nationalisme et le militarisme parmi les travailleurs.

Suivant les conseils de Singh, Trudeau a réuni à la hâte un Conseil sur les relations canado-américaines pour répondre aux menaces de tarifs douaniers de Trump. Ce conseil représente une alliance corporatiste entre les grandes entreprises canadiennes et la bureaucratie syndicale. Il compte parmi ses membres l'ancien négociateur commercial canadien Steve Verheul, l'ancien premier ministre du Québec Jean Charest, l'ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis David McNaughton, la présidente d'Unifor Lana Payne, le président de l'Association des fabricants de pièces automobiles, Flavio Volpe, l'ancien conseiller de Trudeau en matière de sécurité nationale et vice-ministre de la Défense Jody Thomas, et Hassan Yussuff, qui a dirigé le CTC de 2014 à 21.

«Si je suis premier ministre, a déclaré Singh dans une récente déclaration à la presse, je ferai tout pour défendre les emplois canadiens et pour empêcher les prix de grimper encore plus haut. Plus notre réponse à la taxe Trump sera forte, plus la guerre commerciale sera courte.» Singh a proposé d'imposer aux États-Unis des droits de douane de rétorsion d'un dollar pour un dollar. Les recettes générées par ces droits de douane serviraient, selon lui, à créer «de bons emplois rémunérés par les syndicats en construisant ce dont nous avons besoin ici». En réalité, cela signifie que les fonds serviraient à investir dans les grandes entreprises canadiennes et à renforcer l'armée pour mener la guerre impérialiste.

Singh a également proposé d'interrompre temporairement l'approvisionnement des États-Unis en minerais essentiels et de «diversifier» les partenaires commerciaux du Canada. Et il s'est engagé à embaucher des milliers de nouveaux agents frontaliers : qui collaboreraient avec l'administration Trump dans sa chasse aux sorcières anti-immigrés et contribueraient à sceller et à militariser davantage la frontière entre les États-Unis et le Canada.

Le NPD, dirigé par le premier ministre du Manitoba, Web Kinew, avec le soutien de Singh et du premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, David Eby, exige également que le Canada dépasse rapidement l'objectif de dépenses minimales de l'OTAN, fixé à 2 % du PIB, et qu'il poursuive la modernisation du NORAD, le commandement conjoint Canada–États-Unis de la défense aérospatiale et maritime.

Singh colporte l'idée d'un capitalisme canadien « plus doux »

Tout cela s'accompagne d'un battage nationaliste canadien.

Proclamant le mythe nationaliste réactionnaire selon lequel le Canada représente une forme de capitalisme «plus gentille» et «plus humaine» que la rapace république du dollar au sud, Singh a affirmé dans une déclaration du 21 janvier que «le Canada est un pays où nous prenons soin de nos voisins et où nous croyons en la gentillesse et en l'équité. Mais Trump ne devrait pas confondre notre gentillesse avec de la faiblesse».

C'est du grand n'importe quoi ! Le capitalisme canadien et sa «démocratie» ont un passé sanglant d'exploitation et de violence coloniale et impérialiste, qui commence par la dépossession des peuples indigènes. S'il y a eu des différences en matière de politique sociale et de droits des travailleurs entre le Canada et les États-Unis au cours des dernières décennies, c'est uniquement parce que la classe ouvrière canadienne a été en mesure d'arracher des concessions à la classe dirigeante par le biais de luttes de classe explosives dans les années 1960 et 1970, auxquelles la classe dirigeante canadienne, plus faible que son homologue américaine, a été moins en mesure de résister.

Comme aux États-Unis, les acquis de la classe ouvrière ont été systématiquement attaqués au cours des quatre dernières décennies, tant sous les gouvernements conservateurs que sous les gouvernements libéraux «progressistes» soutenus par les syndicats et le NPD. Les services publics sont aujourd'hui dans un état d'effondrement, l'assurance-maladie croulant sous les coupes répétées.

De plus, la bourgeoisie est maintenant prête à remplacer Trudeau par le chef conservateur d'extrême droite «Canada First», Pierre Poilievre, qui est prêt à mener une contre-révolution sociale à la Trump. Cela impliquera une austérité féroce, des réductions d'impôts massives pour les entreprises canadiennes et les riches, l'élimination des contraintes environnementales et réglementaires sur le capital, et de nouvelles augmentations massives des dépenses militaires.

Le chemin de Poilievre vers le pouvoir a été pavé par les syndicats et le NPD. C'est leur musèlement de la lutte des classes et leur soutien au gouvernement Trudeau qui ont permis à Poilievre de faire un appel démagogique à la colère et à la frustration des travailleurs confrontés à une détresse socio-économique croissante.

Un autre élément de la réponse du NPD à l'avènement d'une deuxième administration Trump et à la guerre commerciale imminente entre le Canada et les États-Unis mérite d'être commenté.

Le NPD prétend travailler avec des forces «progressistes» aux États-Unis pour promouvoir la «coopération internationale» et contrecarrer les tarifs douaniers de Trump.

Cette prétendue tentative de construire une alliance «progressiste» contre Trump est centrée sur l'établissement de liens avec les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA) et le sénateur américain Bernie Sanders, deux fois candidat malheureux à l'investiture présidentielle du Parti démocrate.

Ces manœuvres cyniques sont tout le contraire d'un virage vers la lutte pour unir les travailleurs canadiens et américains contre les classes dirigeantes impérialistes nord-américaines. Elles soulignent que le NPD, les DSA et leurs alliés syndicaux se coordonnent pour intensifier leur répression de la lutte des classes des deux côtés de la frontière en maintenant les travailleurs pieds et poings liés à la faction soi-disant «progressiste» de leurs bourgeoisies respectives, c'est-à-dire les démocrates aux États-Unis et les libéraux au Canada.

Les DSA et Sanders, en tandem avec le président des Travailleurs unis de l'automobile Shawn Fain et d'autres sections de la bureaucratie syndicale, ont travaillé systématiquement à étouffer les luttes de la classe ouvrière et à la subordonner politiquement au Parti démocrate et à l'administration Biden. Pas moins un parti de Wall Street et de la CIA que les Républicains, les Démocrates se sont concentrés sur la conduite de la guerre menée par l'impérialisme américain contre la Russie et la préparation d'une guerre avec la Chine, puis ont assuré une «transition pacifique» à Trump. Aujourd'hui, Sanders et les membres du Congrès des DSA comme Alexandria Ocasio-Cortez s'engagent à travailler avec Trump pour mettre en œuvre des «parties» de son programme «America First», comme l'intensification de la guerre commerciale contre la Chine.

Le 17 janvier, Singh et Bernie Sanders se sont rencontrés lors d'un appel vidéo pour discuter de la manière dont ils pourraient travailler ensemble pour consolider les bureaucraties syndicales, qui des deux côtés de la frontière s’efforcent d’empêcher les travailleurs du Canada et des États-Unis de mener des luttes communes, même lorsqu'ils sont confrontés aux mêmes employeurs, et pour empêcher les politiques fascistes de Trump de provoquer une explosion de la lutte des classes. La semaine dernière, quatre députés du NPD ont rencontré Rashida Tlaib (démocrate du Michigan), membre du Congrès de la région de Detroit et des DSA, pour des discussions similaires.

Trump est une menace pour les travailleurs du monde entier. Mais les travailleurs canadiens ne peuvent pas s'opposer à lui et à tout ce qu'il représente – la dictature, le fascisme, la guerre impérialiste et la domination oligarchique – en soutenant leur propre classe dirigeante impérialiste dans ses manœuvres pour défendre sa «juste» part du butin de l'exploitation capitaliste et conclure un meilleur accord avec Trump.

Au contraire, ils doivent intensifier la lutte de classe, s'opposer résolument à toutes les factions rivales de la classe dirigeante canadienne et à tous leurs représentants politiques, de Poilievre, Legault et Danielle Smith à Trudeau et Jagmeet Singh, et forger l'unité avec leurs frères et sœurs de classe des États-Unis, du Mexique et d'ailleurs.

Pour s'opposer à la guerre impérialiste et à la volonté de la classe dirigeante de détruire les droits sociaux et démocratiques, toutes les luttes des travailleurs doivent être fusionnées en une offensive sociale et politique de la classe ouvrière luttant pour que les travailleurs prennent le pouvoir et bâtissent le socialisme en Amérique du Nord. Cela nécessite la construction de nouvelles organisations de lutte de la classe ouvrière, des comités de base, indépendants des appareils syndicaux pro-capitalistes et pro-guerre, et d'un parti révolutionnaire de masse basé sur un programme socialiste-internationaliste: le Parti de l'égalité socialiste.

(Article paru en anglais le 30 janvier 2025)

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