Jeudi, les chefs d'État et de gouvernement de trente pouvoirs européens se sont réunis à Paris avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Ils se sont engagés à envoyer des troupes en Ukraine dans le contexte de la guerre avec la Russie, alors même que l'armée ukrainienne subit des pertes considérables et recule sur tout le front, et que les gouvernements européens continuent de sabrer les dépenses sociales pour financer un fonds de réarmement militaire européen de 800 milliards d'euros.
Il est en même temps de plus en plus évident que la Russie n'était pas la seule cible du sommet de Paris. Le discours antérieur, selon lequel les États-Unis et l'Europe défendraient ensemble la démocratie ukrainienne contre la Russie, s'effondre. Dans un contexte de rupture historique des relations américano-européennes et de guerre commerciale imminente de Trump avec l'Europe, une lutte acharnée pour le contrôle de l'économie et des ressources ukrainiennes se déroule entre les impérialismes américain et européen.
«Notre objectif est clair: c'est de gagner la paix », a dit le président Emmanuel Macron après le sommet. Il a annoncé l’envoi « d’une équipe franco-britannique » en Ukraine « dans les prochains jours » afin de « préparer ce que sera l'armée ukrainienne de demain ». Il a encore indiqué qu’après la conclusion d’un accord de paix, des « forces européennes de réassurance », dont la composition n’a pas été précisée, seraient envoyées en Ukraine. Celles-ci n'avaient « pas vocation à être des forces de maintien de la paix et non sur le front », mais auraient « un caractère de dissuasion à l'égard d'une potentielle agression russe ».
Macron a appelé le gouvernement chinois à faire pression sur Moscou pour qu'il accepte un accord de paix. Il souhaitait que le président Xi Jinping « joue un rôle actif […] compte tenu de la qualité du dialogue qui est le sien avec la Russie. Et je pense que la Chine est plus que légitime pour le faire en tant que membre permanent du Conseil de sécurité et compte tenu des initiatives précédemment prises ».
Enfin, Macron a déclaré que l'Europe ne lèverait pas les sanctions financières visant la Russie. Les diplomates russes avaient demandé à leurs homologues américains d'accepter cette proposition aux négociations russo-américaines en cours à Riyad, la capitale saoudienne, comme condition préalable à la levée du blocus naval en mer Noire. Affirmant que cela était impossible, Macron a déclaré : « Nous avons donc pour intention de maintenir la pression économique ».
En réalité, il est évident qu'un conflit acharné se déroule entre impérialismes américain et européen pour déterminer qui pillera l'Ukraine une fois la guerre terminée. Cela est apparu particulièrement clairement après le sommet, lorsque Bloomberg News a divulgué les détails d'un plan actualisé de contrôle américain des ressources de minerais ukrainiennes, présenté par l'administration Trump au président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Un élément clé du plan d'intervention militaire européenne en Ukraine consiste à garantir le contrôle européen des terres rares et autres minerais essentiels présents en Ukraine après la guerre. Cet objectif a été clairement exprimé dans la « Déclaration de partenariat centenaire Royaume-Uni-Ukraine », signée en janvier par les gouvernements britannique et ukrainien. Cette déclaration appelait à d'importants investissements britanniques dans les secteurs de l'énergie, du gaz et des mines ukrainiens, ainsi qu'à une refonte de la législation ukrainienne afin de maximiser les profits que les capitalistes britanniques tireront de l'Ukraine grâce à l'exploitation de ces ressources. Elle appelait à:
soutenir le développement d’une stratégie ukrainienne en matière de minerais essentiels et des structures réglementaires nécessaires pour soutenir la maximisation des bénéfices tirés des ressources naturelles de l’Ukraine, par la création éventuelle d’un groupe de travail conjoint.
Mais dès la fin du sommet de Paris, Bloomberg rapportait le nouvel ultimatum américain à l'Ukraine, après que Trump eut exigé que l'Ukraine fournisse à Washington 500 milliards de dollars en minerais essentiels. Après avoir examiné le projet de document, non publié, Bloomberg écrit que les responsables américains intensifient leurs exigences envers l'Ukraine : ils réclament un droit de veto sur tous les investissements dans les infrastructures, les mines et l'énergie en Ukraine, ainsi que le droit de décider de la répartition des bénéfices. Son article disait:
L'administration du président Donald Trump exige le «droit de première offre» pour les investissements dans tous les projets d'infrastructures et de ressources naturelles dans le cadre d'un accord de partenariat révisé avec l'Ukraine…
S'il est accepté, cet accord de partenariat conférerait aux États-Unis un pouvoir considérable pour contrôler les investissements en Ukraine, notamment dans les routes et les voies ferrées, les ports, les mines, le pétrole et le gaz, ainsi que l'extraction de minerais essentiels. Il représenterait une extension sans précédent de l'influence économique américaine dans le plus grand pays d'Europe en termes de superficie, au moment même où celui-ci tente de s'aligner sur l'UE.
Le projet d'accord américain transformerait de fait l'Ukraine en colonie américaine, entravant ainsi les tentatives du régime de Kiev d'adhérer à l'Union européenne. Aux termes de cet accord, les revenus des industries ukrainiennes que Washington considère comme stratégiques seraient versés dans un fonds contrôlé par le gouvernement américain. Ces industries seraient également interdit d’échanges commerciaux avec les pays que Washington qualifie de « concurrents stratégiques» des États-Unis. Bloomberg écrit :
Selon le projet de document, la Société américaine de financement du développement international (initiales anglaises DFC) contrôlerait le fonds d'investissement en nommant trois des cinq membres du conseil d'administration et en détenant une « action privilégiée » lui conférant des droits de vote spéciaux pour bloquer certaines décisions. L'Ukraine nommerait les deux autres et serait empêchée d'intervenir dans la gestion quotidienne du fonds.
Le gouvernement de Kiev serait tenu d'y mettre 50 pour cent de ses revenus provenant de tous les nouveaux projets d'exploitation des ressources naturelles et d'infrastructures. Les États-Unis auraient droit à l'intégralité des bénéfices, plus un rendement annuel de 4 pour cent, jusqu'à ce que leur investissement [dans l'aide militaire à l'Ukraine pour combattre la Russie] soit récupéré, précise le projet.
À Paris, Zelensky a déclaré qu'il examinerait l'accord, faute de quoi Washington pourrait couper l'accès à des données de ciblage essentielles à une poursuite de la guerre que l'Ukraine a perdue contre la Russie. « Nous ne voulons pas envoyer le moindre signal susceptible d'inciter les États-Unis à suspendre leur aide à l'Ukraine» a-t-il expliqué.
Cela révèle le caractère impérialiste de la guerre menée par les puissances de l'OTAN contre la Russie en Ukraine. Alors qu'elles tuaient des soldats russes et prétendaient aider l'Ukraine, les puissances de l'OTAN visaient en réalité à dévaliser l'Ukraine. Le pays, dévasté par la guerre, est désormais pillé par des puissances impérialistes rivales, qui se disputent le partage du butin.
Ces conflits inter-impérialistes vont s'intensifier alors que Trump prépare des droits de douane sur les importations européennes et que l'UE prépare des contre-tarifs douaniers sur les produits américains. La rivalité financière entre Washington et l'Europe s'intensifie elle aussi. Alors que les États-Unis s'apprêtent à emprunter plus de 7 000 milliards de dollars cette année pour refinancer leur dette souveraine, et que les pays de l'UE empruntent massivement pour financer leurs propres vastes dettes souveraines et le fonds de réarmement de 800 milliards d'euros, ces puissances se disputeront les fonds sur des marchés mondiaux de la dette de plus en plus tendus.
Alors qu'elles tentent de dépouiller les travailleurs ukrainiens à travers leur guerre impérialiste à l'extérieur, les principales puissances de l'OTAN intensifient la guerre de classe contre leurs propres travailleurs. Cela est apparu très clairement dans les déclarations faites plus tôt ce mois-ci par des responsables français, rejetant les appels à l'abrogation de la très impopulaire coupe des retraites, promulguée par Macron, que ce dernier a utilisée pour financer le réarmement militaire français. Insistant sur la nécessité de sabrer les retraites afin de préparer une guerre suicidaire de haute intensité avec la Russie, le président du Conseil d'orientation des retraites (COR), Gilbert Cette, a déclaré :
Les discussions actuelles sur les retraites ne peuvent totalement ignorer le contexte international actuel [où] la nécessité d'augmenter considérablement nos dépenses militaires dans les prochaines années sinon les prochains trimestres, devient de plus en plus claire et pressante. Or, l'entrée progressive, plus ou moins explicite, dans une économie de guerre rendra secondaires sinon dérisoires les débats actuels sur l'âge d'ouverture des droits à la retraite à 64 ans .
Mettre fin au pillage de la classe ouvrière, en Ukraine et dans les pays impérialistes de l’OTAN, nécessite d’unifier les luttes de la classe ouvrière contre la guerre impérialiste et l’austérité dans un mouvement international et socialiste anti-guerre.
(Article paru en anglais le 31 mars 2025)