Poursuivant et intensifiant les efforts de longue date de la classe dirigeante québécoise pour attiser le chauvinisme anti-immigrant et antimusulman, le gouvernement de droite de la Coalition avenir Québec (CAQ) vient de déposer un projet de loi pour élargir considérablement les obligations de «laïcité» dans les écoles du Québec, en claire violation des droits et libertés des minorités religieuses et linguistiques.
C’est une vaste supercherie dans une province à la toponymie largement catholique, où des crucifix ornent plusieurs bâtiments publics et dont le Premier ministre, l’ex-PDG multimillionnaire François Legault, vante constamment «l’héritage catholique». Sans parler du fait que le gouvernement du Québec finance au moins une cinquantaine d’écoles religieuses privées à hauteur de plus de 150 millions de dollars par année.
La conception de la laïcité avancée par la classe politique au Québec – comme en France et ailleurs dans le monde – n’a rien à voir avec le principe démocratique fondamental de la séparation de l’Église et de l’État.
C’est plutôt devenu dans les dernières années une arme idéologique de prédilection de l’élite dirigeante pour diviser la classe ouvrière, détourner l’attention de ses politiques impopulaires d’austérité capitaliste et rediriger les tensions sociales causées par l'immense crise du système capitaliste vers les immigrants et les minorités.
Le projet de loi 94, Loi visant notamment à renforcer la laïcité dans le réseau de l'éducation, est porté par le ministre de l’Éducation, l’ancien journaliste Bernard Drainville. En 2013, alors qu’il était ministre au sein du gouvernement du Parti québécois (PQ) de Pauline Marois, Drainville avait piloté la «Charte des valeurs québécoises» qui visait à fomenter la colère contre les immigrants, particulièrement ceux de confession musulmane.
Le projet de Charte des valeurs québécoises de Drainville a servi d’inspiration à la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) qui a été adoptée par la CAQ dès son arrivée au pouvoir en 2018. Cette loi bannit le port de signes religieux par les professeurs et les fonctionnaires dits «en position d’autorité» et impose une obligation de donner et recevoir les services publics «à visage découvert», privant ainsi les femmes musulmanes entièrement voilées de services essentiels comme les soins de santé.
Ouvertement et délibérément discriminatoire, la loi 21 a été assortie d’une clause de dérogation à la Charte canadienne des droits et libertés, un mécanisme antidémocratique de la constitution canadienne qui permet au parlement fédéral ou à celui d’une province d’adopter une loi qui viole les droits de la population sans que les tribunaux ne puissent intervenir.
Dans la foulée de la loi 21, la CAQ et l'ensemble de la classe dirigeante québécoise ont érigé tout un édifice législatif et politique visant à faire la promotion d’un nationalisme québécois chauvin et xénophobe. Il y a eu notamment l’adoption de la loi 96 pour renforcer la primauté de la langue française au Québec et forcer les immigrants à communiquer avec le gouvernement uniquement en français après seulement 6 mois de résidence dans la province.
En plus de ces lois, la classe politique menée par la CAQ et par le chef du PQ Paul St-Pierre Plamondon a mené une bruyante campagne pour jeter le blâme de tous les maux sociaux sur les immigrants. De la pénurie de logements au crime en passant par l’effondrement des services publics, tous les problèmes attribués aux immigrants sont en réalité les conséquences d’un système capitaliste en pleine crise historique.
Adoptant ouvertement les idées de l’extrême droite, Legault et St-Pierre Plamondon ont prôné la mise en place de politiques anti-immigration inspirées de la «Forteresse Europe» où chaque année des milliers de migrants meurent noyés ou sont abattus par les polices des frontières.
Et c’est loin d’être un hasard si le projet de loi 94 a été déposé presque en même temps que le projet de loi 89, qui met pratiquement fin au droit de grève dans la province sous le prétexte de protéger les «services essentiels» et de garantir le «bien-être» de la population.
Le projet de loi 94 a pour objectif avoué d’imposer la laïcité «mur à mur» dans les écoles. L’interdiction du port d’un signe religieux est élargie à tout le personnel des centres de service scolaires et à toute personne qui offre un service dans une école, sans égard à la notion «de position d’autorité» qui se retrouvait dans la loi 21. L’obligation du visage découvert est elle aussi élargie à toute personne qui offre ou reçoit un service dans une école, y compris les élèves et les parents.
Le projet de loi 94 instaure également une interdiction que les locaux des écoles soient utilisés à des fins religieuses telles que la prière. Sont également abolis les accommodements raisonnables à des fins religieuses concernant la fréquentation scolaire. Autrement dit, alors que tous les élèves du Québec sont en congé pour les fêtes religieuses catholiques telles que Noël et Pâques, les élèves qui appartiennent à une autre religion ne pourront plus s’absenter pour observer les traditions de leur croyance.
Dans une attaque massive contre les droits des enseignants, le projet de loi 94 introduit un processus d’évaluation annuelle de tous les enseignants qui va porter sur la cohérence de leur programme pédagogique avec «les valeurs démocratiques et les valeurs québécoises». Le gouvernement pourra contrôler ce qu’ils enseignent, imposer des sanctions et, ultimement, congédier ceux qui refusent d’endosser pleinement le programme chauvin du nationalisme québécois.
Au même moment, le ministre Drainville a fustigé la Fédération autonome de l’enseignement pour avoir qualifié le projet de loi de «tentative de diversion» visant à «faire oublier son projet de loi sur le droit de grève».
Finalement, le projet de loi 94 impose aux employés des écoles francophones d’utiliser exclusivement le français pour communiquer sur les lieux de travail, y compris entre eux. Tout aussi contraire aux droits et libertés que la loi 21, le projet de loi 94 contient lui aussi une disposition de dérogation.
Le projet de loi 94 a été précédé d’une campagne hystérique qui a vu la classe politique et les médias capitalistes – le tabloïd de droite le Journal de Montréal en tête – utiliser des cas isolés et grossièrement exagérés pour inventer la menace du «prosélytisme» et de l’«entrisme religieux» dans les écoles.
D’abord, il y a eu le «scandale» entourant l’école Bedford, où le gouvernement a sciemment déformé les faits et ignoré les conclusions de son propre rapport. Quelques mois plus tard, le gouvernement et les médias capitalistes ont utilisé un nouveau rapport officiel qu’ils ont complètement dénaturé afin de préparer le terrain pour la nouvelle législation au motif que les écoles seraient devenues des «lieux d'endoctrinement».
À peine le projet de loi 94 avait-il été déposé que celui qui est à la fois ministre responsable de la Laïcité et ministre de l’Immigration, Jean-François Roberge, enclenchait déjà la prochaine étape de l’offensive anti-immigrante de la CAQ.
Dans une publication sur Twitter\X utilisant l’image d’une manifestation d’opposition au génocide des Palestiniens portant le titre Prayer & Stand for our martyrs (prions et soutenons nos martyrs), Roberge a annoncé la création d’un comité «d’experts» chargé de faire des recommandations au gouvernement pour renforcer la laïcité. Il a conclu sa publication de façon très menaçante: «Nous n’écartons aucune option à ce stade-ci».
Ces développements s’inscrivent dans une montée du chauvinisme anti-immigrant dans tout le Canada. Ottawa a drastiquement réduit les seuils d’immigration au pays et s’est entendu avec Washington pour modifier l’Entente sur les pays sûrs et empêcher les migrants en provenance des États-Unis de demander l’asile au Canada. Plus important encore, c’est un élément essentiel de la politique officielle bourgeoise à travers le monde, caractérisée par un assaut frontal sur les droits démocratiques.
Partout, la classe dirigeante porte au pouvoir des gouvernements d'extrême droite comme Giorgia Meloni en Italie dont le parti est le descendant du fasciste Mussolini, Javier Milei en Argentine, ou Geert Wilders aux Pays-Bas. Tous font des immigrants les boucs émissaires des conséquences sociales de la crise du capitalisme.
Quant aux gouvernements prétendument «démocratiques», ils collaborent pleinement avec l’extrême droite et imposent ses politiques. C’est le cas de Macron en France qui collabore avec le Rassemblement national de Marine Le Pen et des partis bourgeois traditionnels en Allemagne qui appliquent la politique de l'AFD néonazie en matière d’immigration.
Aux États-Unis, le président fasciste Donald Trump prétend que le pays est «envahi» par les immigrants pour justifier l’abolition des droits démocratiques de toute la population, y compris la liberté d’expression, le droit d’habeas corpus contre l’emprisonnement arbitraire et le droit du sol – un droit historique inscrit dans la Constitution américaine qui fait un citoyen de toute personne née aux États-Unis.
Le projet de loi 94 est aussi lié à la guerre commerciale déclenchée par Trump avec l’imposition de tarifs sur les produits étrangers, dont canadiens. Ébranlée par les actions de l’aspirant dictateur américain, la bourgeoisie québécoise cherche à protéger ses intérêts de classe en ralliant les travailleurs derrière la bannière du nationalisme québécois présenté comme une alternative «progressiste» à Trump.
En réalité, le nationalisme québécois est tout aussi réactionnaire que le jingoïsme américain ou le nationalisme canadien. Il est basé explicitement sur le chauvinisme, l’oppression des minorités et l’exclusivisme ethnique.
Les travailleurs nord-américains doivent rejeter fermement toutes ces tentatives de les monter les uns contre les autres et s’unir plutôt dans une lutte commune contre le système capitaliste en faillite.