Élections au Canada : Les partis font des promesses bidons d’« accessibilité financière » tandis qu’explosent les inégalités sociales et la pauvreté

De gauche à droite : Mark Carney, chef du Parti libéral, Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur, Jagmeet Singh, chef du NPD, et Yves-François Blanchet, chef du BQ [AP Photo/AP, TVA Nouvelles]

Les principaux partis en lice pour les élections fédérales du 28 avril ont été contraints de faire semblant de s'attaquer à la terrible crise du coût de la vie à laquelle sont confrontés des millions de travailleurs à travers le pays. Mais dans un contexte d'explosion des inégalités de revenus, de propagation rapide de la pauvreté et de l’itinérance, d'inflation et de hausse des taux d'intérêt, les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates (NPD) proposent des mesures bidons d’« accessibilité financière » qui ne constituent même pas un pansement pour la catastrophe sociale qu'ils sont tous complices d'avoir créée.

L'ancien banquier central Mark Carney, qui a fait carrière en protégeant la richesse des milliardaires, a promis une réduction d'impôt de 400 dollars pour les travailleurs, tout en abandonnant l'augmentation de l'impôt sur le gain en capital des entreprises et des personnes à hauts revenus que Justin Trudeau, son prédécesseur au poste de premier ministre libéral, avait présentée comme un moyen d'atténuer les inégalités sociales. Carney a également promis de « libérer le pouvoir de la coopération public-privé » afin de doubler le nombre de logements construits chaque année pour le porter à 500 000.

Le chef des conservateurs, Pierre Poilievre, promet une réduction d'impôts deux fois plus importante que celle de Carney, mais ce qu'il offre d'une main au nom de l'« accessibilité financière » sera plus que repris de l'autre, puisqu'il le fera payer aux travailleurs par le biais de réductions des dépenses sociales.

Le chef du NPD, Jagmeet Singh, s'est engagé à ce que son gouvernement approuve la construction de 100 000 logements à loyer contrôlé sur des terres publiques d'ici 2035, ce qui est moins qu'une goutte d'eau dans l'océan. Le NPD s'est également engagé à « protéger les familles et à rendre la nourriture à nouveau abordable ». Notant que le coût de l'huile de cuisson a augmenté de 75 %, celui des pâtes de 43 % et celui des préparations pour nourrissons de 30 % depuis 2020, Singh a affirmé qu'un gouvernement dirigé par des sociaux-démocrates plafonnerait d'urgence les prix des denrées alimentaires et taxerait les bénéfices exceptionnels des chaînes d'épicerie.

Il ne faut pas s’attendre à ce que la moindre des promesses faites par les principaux partis soit réalisée. Elles sont toutes subordonnées à l'impératif d'imposer une augmentation massive des dépenses militaires, tous s'accordant à dire que des dizaines de milliards de fonds supplémentaires doivent être réorientés vers la préparation à la guerre dans les années à venir. Étant donné qu'il n'y a aucune proposition sur la table pour des augmentations substantielles d'impôts pour les entreprises canadiennes et les riches, ces fonds supplémentaires ne peuvent provenir que de coupes sombres dans les dépenses publiques ou d'une augmentation des emprunts du gouvernement, ce qui se traduit en fin de compte par de nouvelles réductions des dépenses sociales à plus long terme.

Le vaste fossé qui sépare les politiciens bourgeois et les promesses creuses qu'ils annoncent pour rendre la vie plus « abordable » pour la grande masse des travailleurs a été mis en évidence par une enquête récente montrant que 50 % des Canadiens sont à 200 dollars ou moins de ne pas pouvoir payer leurs factures mensuelles. D'autre part, les PDG les mieux payés du pays ont connu une succession d'années record en termes de rémunération personnelle combinée.

Selon le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), l'année 2023 a été la troisième année la plus riche pour les 100 PDG les mieux payés du Canada depuis que l'organisation a commencé à compiler ces données en 2007. Avec des revenus moyens de 13,2 millions de dollars pour les 100 premiers PDG en 2023, seules les années 2021 et 2022 ont connu des taux de pillage plus élevés dans ce qui reste une tendance à long terme d'élargissement de l'écart entre le salaire du travailleur moyen et celui des PDG.

Le rapport du CCPA, intitulé « Company Men », note que ces magnats des affaires ont pleinement profité de l'atmosphère inflationniste qui a suivi l'éruption de la pandémie du virus COVID-19 et la guerre menée par les États-Unis et l'OTAN contre la Russie en Ukraine. Les grandes entreprises ont saisi l'occasion, qui ne se présente qu'une fois par génération, d'augmenter les prix et les rémunérations des dirigeants à des niveaux sans précédent en 2021 et 2022. Au cours de ces années, la rémunération moyenne des 100 PDG les mieux payés a dépassé 14 millions de dollars pour la première fois au Canada.

Le rapport, rédigé par David Macdonald, note également que les marges bénéficiaires des entreprises sont restées étonnamment élevées, en particulier dans le secteur non financier. Les marges moyennes ont quelque peu reculé en 2023 par rapport à leurs récents sommets – qui ont été soutenus par l’énorme plan de sauvetage de 650 milliards de dollars pour Bay Street et les grandes entreprises, orchestré au début de la pandémie par le gouvernement libéral avec le soutien du NPD et des syndicats – mais elles ont maintenu un taux de 10 % ou plus en 2023.

Même après avoir payé des coûts plus élevés pendant quelques années en raison d'une inflation qui n'a jamais été aussi forte depuis 40 ans, les entreprises ont obtenu des taux de profit bien plus élevés qu'avant la pandémie. Comme l'indique Macdonald dans son rapport, « ce n'est pas normal. Avant la pandémie, les entreprises n'atteignaient des marges aussi élevées que lors de trimestres exceptionnels. Aujourd'hui, elles semblent être là pour durer ». La rémunération et les primes des PDG sont justifiées par la réalisation d'objectifs de rentabilité et les années successives d'escroquerie des consommateurs ont enhardi les dirigeants à exiger une part de plus en plus importante du butin.

Ce constat contraste avec un récent rapport de la société d'insolvabilité MNP, qui s'est appuyé sur un sondage Ipsos réalisé auprès de plus de 2000 adultes canadiens en décembre 2024. Selon ce rapport, 50 % des personnes interrogées au cours du dernier trimestre de l'année estimaient qu'ils étaient à 200 $ près de ne pas pouvoir payer toutes leurs factures et obligations au cours du mois, soit une augmentation de 8 points de pourcentage par rapport au sondage précédent d'Ipsos.

Pour calculer l'indice d'endettement MNP, les personnes interrogées ont été invitées à évaluer leur santé financière sur une échelle allant d'excellente à mauvaise. Alors que les perspectives d'endettement personnel se traduisent régulièrement par un chiffre situé entre 20 et 30, l'indice le plus récent est tombé à 8 – une baisse de 12 points de pourcentage – le plus bas depuis que l'indicateur a été introduit en 2017.

En outre, le sondage a révélé que la crainte qu'un membre du ménage perde son emploi a atteint 41 %, un autre record. Enfin, 51 % des personnes interrogées pensent qu'elles devront s'endetter davantage pour couvrir leurs frais de subsistance.

Selon le rapport du CCPA, en 2023, les PDG les mieux payés avaient déjà encaissé le revenu du travailleur moyen, soit 62 661 dollars, le 2 janvier à 10 h 54 – le premier jour ouvrable de l'année. Alors que de nombreux Canadiens auraient dû joindre les deux bouts avec un salaire minimum provincial d'environ 15 dollars de l'heure, le 100e PDG de la liste des PDG les mieux payés, qui a empoché 6,9 millions de dollars en 2023, a reçu l'équivalent de 3255 dollars de l'heure.

Le rapport note que le ratio de la rémunération des PDG les mieux payés par rapport au travailleur moyen a légèrement baissé en 2023 par rapport à l'année précédente. Toutefois, la tendance est à la hausse depuis au moins 25 ans. Alors que les travailleurs ont été forcés de retourner au travail dans des conditions dangereuses en 2021 et 2022, lors de certaines des vagues les plus meurtrières de la pandémie de COVID-19, les PDG ont intensifié leur exploitation impitoyable avec le soutien total des gouvernements à tous les niveaux, afin de profiter encore plus d’une situation déjà lourdement truquée en leur faveur. Le rapport entre la rémunération des travailleurs et celle des PDG a atteint le chiffre record de plus de 240 fois, avant de redescendre légèrement en 2023 à 210 fois. Ce chiffre représente toujours plus du double du ratio de 1998, qui était de 104 fois.

Le rapport « Company Men » du CCPA décrit également en détail la manière dont les PDG sont rémunérés et comment cette combinaison varie en fonction des conditions propres à leur secteur d'activité et des régimes réglementaires et fiscaux qui les régissent. Les PDG les mieux payés ne perçoivent pas l'essentiel de leur rémunération sous la forme d'un salaire normal (qui s'élève en moyenne à 1,3 million de dollars en 2023), mais sous la forme de diverses primes potentielles censées refléter les performances de l'entreprise. Il s'agit notamment – toujours en moyenne pour 2023 – de primes en espèces de 2,3 millions de dollars, d'options d'achat d'actions de 2 millions de dollars et d'attributions d'actions de 6,5 millions de dollars.

Cette « rémunération variable » ou « rémunération basée sur la performance » est censée reposer sur la réalisation d'objectifs de performance de l'entreprise, tels que l'augmentation des bénéfices et du cours de l'action ou des marges bénéficiaires. Mais comme le souligne le rapport, ces critères peuvent être très souples, comme en 2020, lorsque les performances des entreprises ont chuté en raison des confinements, mais que les PDG ont tout de même reçu leurs primes.

Dans la liste des 100 PDG les mieux payés, le fondateur et directeur général de GFL Environmental Inc., Patrick Dovigi, se distingue en ayant obtenu 68,5 millions de dollars en 2023. Sa rémunération dépasse à ce point la moyenne déjà injustifiable de 13,2 millions de dollars que deux grandes sociétés de conseil en procuration ont recommandé aux actionnaires de s'opposer à ce lucre scandaleux au printemps 2024. Institutional Shareholder Services (ISS) a noté que la rémunération de Dovigi avait augmenté de 307 % par rapport à 2022 et qu'elle était nettement supérieure à celle de ses homologues. Illustrant l'observation de Macdonald selon laquelle la rémunération ne reflète pas nécessairement la performance, ISS a également noté que les rendements des actionnaires de GFL « ont été inférieurs à ceux de leurs pairs sur un an et sur trois ans ».

Une récente recherche d'emploi en ligne révèle que GFL, qui est née de la volonté de privatiser la collecte des déchets municipaux, offre aux chauffeurs un salaire de départ de 25,50 dollars de l'heure dans la région du Grand Toronto, où le salaire de subsistance, c'est-à-dire ce qui est considéré comme le plancher absolu pour un niveau de vie décent, s'élève à 26 dollars de l'heure.

Cette affaire illustre la complicité de l'establishment politique, dont les représentants prétendent aujourd'hui vouloir résoudre la « crise de l'accessibilité financière », dans le vaste enrichissement de l'élite riche du Canada au cours des quatre dernières décennies. La privatisation systématique des services publics, l'ouverture de nouveaux secteurs de l'économie au profit des entreprises et la distribution d'argent public aux dirigeants d'entreprise par le biais de subventions et de réductions d'impôts pour les sociétés sont des politiques que les gouvernements de toutes les tendances politiques ont poursuivies avec enthousiasme.

L'alliance entre les syndicats, les libéraux et les néo-démocrates, qui a joué un rôle central dans le maintien au pouvoir du parti traditionnel du Canada pendant près d'une décennie, a également étouffé l'opposition de la classe ouvrière à des décennies d'austérité et de contrats de travail remplis de reculs, facilitant ainsi le vaste transfert de richesse du bas vers le haut qui trouve son expression dans le dernier rapport du CCPA. Une autre indication de l'impact dévastateur de cette période sur le niveau de vie de la classe ouvrière est le rapport de Statistique Canada de l'année dernière, qui révèle les plus hauts niveaux d'inégalité de revenus jamais enregistrés.

Comme on peut s'y attendre de la part du CCPA, une institution étroitement liée à la bureaucratie syndicale et au NPD, il n'a aucun programme viable à offrir aux travailleurs qui cherchent un moyen de renverser les niveaux horribles d'inégalité sociale et de pauvreté au Canada. Le rapport salue la « valeur des institutions du marché du travail canadien », c'est-à-dire des syndicats, car les travailleurs ont vu leur salaire réel augmenter en moyenne d'environ 6 % en 2023.

Même si l'on fait abstraction du gel des salaires imposé à de nombreux travailleurs par les syndicats au cours des deux premières années de la pandémie, une augmentation de 6 % pour le travailleur « moyen » est bien en deçà de toute augmentation de salaire, réelle ou non, compte tenu de l'inflation à deux chiffres pour les denrées alimentaires de base et de la montée en flèche des prix du logement.

L'augmentation des niveaux d'endettement personnel, l'augmentation choquante du nombre de personnes qui dépendent des banques alimentaires pour survivre et la montée en flèche du nombre de sans-abri dans tout le pays réfutent également le portrait que donne le rapport d'une lutte menée par les syndicats et son affirmation selon laquelle les conditions sociales désespérées auxquelles sont confrontés les travailleurs peuvent être résolues dans le cadre du système de profit capitaliste.

(Article paru en anglais le 3 avril 2025)