Une entente entre les États-Unis et la Grande-Bretagne suggère l’éclatement d’une guerre commerciale incontrôlable avec l’Europe

Un accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni a été confirmé jeudi soir, alors qu'il n'avait été annoncé que le matin même.

Les droits de douane de 27,5 % sur les voitures britanniques seront ramenés à 10 % pour un contingent de 100 000 voitures ; toute vente supplémentaire sera facturée au taux plein. Les droits de douane sur l'acier et l'aluminium britanniques seront supprimés. Des exemptions seront également accordées pour les composants aérospatiaux britanniques, en échange de la commande de 30 Boeing 787 Dreamliner par British Airways. Toutes les autres exportations vers les États-Unis seront frappées d'un droit de douane général de 10 %.

Le président Donald Trump, au centre, avec le vice-président JD Vance, à gauche, et l'ambassadeur de Grande-Bretagne aux États-Unis Peter Mandelson, à droite, faisant des remarques sur un accord commercial entre les États-Unis et le Royaume-Uni dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, le 8 mai 2025, à Washington [AP Photo/Evan Vucci]

Un accord réciproque sur le bœuf permet aux deux pays d'exporter 13 000 tonnes métriques à un taux tarifaire réduit de 4 à 10 % pour les exportateurs britanniques et sans droits de douane pour les exportateurs américains – auparavant de 125 % dans certains cas. Les États-Unis bénéficient également d'une exemption tarifaire sur les premiers 1,4 milliard de litres d'éthanol exportés vers le Royaume-Uni, alors qu'auparavant un taux de 10 à 50 % était appliqué.

De vagues suggestions ont été faites quant à un traitement préférentiel concernant les droits de douane sur les produits pharmaceutiques – la deuxième exportation de marchandises britanniques vers les États-Unis en termes de valeur, après les voitures – que Trump devrait annoncer dans les semaines à venir.

Bien que l'accord apporte un léger soulagement aux industries britanniques de l'automobile et de l'acier, le tableau d'ensemble montre la faiblesse du capitalisme britannique. Les droits de douane britanniques moyens sur les produits américains sont passés de 5,1 % à 1,8 % depuis que Trump est devenu président, tandis que les droits de douane américains moyens sur les produits britanniques sont passés de 3,4 % à 10 %.

Plus que tout, l'accord est un signal du gouvernement travailliste de Keir Starmer qu'il donne la priorité aux relations avec l'Amérique plutôt qu'à celles avec l'Europe. Et la Maison-Blanche de Trump est impatiente d'utiliser ce fait à son avantage dans sa guerre commerciale, contre l'Union européenne (UE), mais aussi à l'échelle mondiale.

Si la plupart des commentateurs britanniques se sont contentés de souligner la « minceur » de l'accord, certains ont été plus cinglants. Alan Beattie, du Financial Times, a titré un article « L'accord commercial entre la Grande-Bretagne et Trump pourrait ne pas être une bonne nouvelle pour le monde », affirmant que « le choix de Starmer sape le multilatéralisme et pose des risques pour le Royaume-Uni ».

Beattie décrit l'accord, « conçu uniquement pour échapper aux droits de douane imposés par Donald Trump sur l'acier et les voitures », comme « plus proche d'un paiement de protection à un chef de la mafia que d'un accord de libéralisation entre pays souverains », et prévient : « Étant donné l'empressement du Royaume-Uni à conclure un accord, rien ne garantit que Trump ne reviendra pas à la charge. »

Ses plus grandes inquiétudes vont au-delà de la Grande-Bretagne. Beattie écrit que « quels que soient les avantages à court terme qu'il a apportés au Royaume-Uni », l'accord « n'a pas fait grand-chose pour l'intégrité du système commercial mondial ». En « capitulant devant la pression américaine et en se précipitant pour conclure un accord rapide, le Royaume-Uni a encouragé d'autres pays à faire de même » et « en acceptant de continuer à subir le tarif de base de 10 %, le Royaume-Uni a également normalisé une mesure profondément régressive ».

L'accord avec les États-Unis a été annoncé le jour même où l'UE a publié un catalogue de 200 pages de plus de 4800 produits importés des États-Unis qui pourraient être frappés de droits de douane pour un montant total de près de 100 milliards d'euros. Il est fort possible que Trump ait lancé cette nouvelle – en téléphonant par surprise à Starmer mercredi soir – en guise de riposte.

De son côté, la presse européenne s'est empressée de souligner la faiblesse de la position économique de la Grande-Bretagne par rapport aux États-Unis, à l'Union européenne et à la Chine. « Comparés aux deux grands blocs [la Chine et l'UE] », écrit Der Spiegel, « les Britanniques sont du menu fretin », puisqu'ils ne représentent que 3 % des échanges commerciaux des États-Unis. Le journal cite Justin Wolfers, professeur à l'université du Michigan, qui qualifie l'accord de « tentative de bien paraitre sans grande pertinence macroéconomique ».

Le journal ajoute : « Trump peut se sentir conforté dans l'idée que c'était une bonne idée de “faire exploser tout le système”. D'autres gouvernements seront maintenant sous pression pour obtenir des concessions pour leurs entreprises et leurs électeurs. »

Cela irritera les dirigeants européens avec lesquels Starmer tente une «réinitialisation » post-Brexit, en organisant un sommet Royaume-Uni–UE à Londres le 19 mai, le premier d'une série annuelle de réunions visant à « faire le point sur les relations bilatérales », selon un projet de déclaration commune.

Faisal Islam, rédacteur économique de la BBC, explique les intentions du gouvernement britannique, écrivant que la « véritable victoire » de l'accord avec les États-Unis « pourrait être que cet accord sur les droits de douane gardera les États-Unis tranquilles tout en laissant la porte ouverte à un accord substantiel avec l'Union européenne ».

En maintenant les normes alimentaires britanniques et en n'acceptant pas, par exemple, de bœuf traité aux hormones ou de poulet chloré, un accord d'exportation de produits alimentaires et agricoles “entiers” avec l'UE, similaire à celui de la Suisse, est maintenant clairement envisageable dans les deux semaines à venir ».

Le directeur de la Banque d'Angleterre, Andrew Bailey, s'est empressé de plaider pour que le Royaume-Uni « commence à reconstruire cette relation » avec l'UE, déclarant à la BBC que l'accord avec les États-Unis pourrait servir d'exemple : « Il démontre que les accords commerciaux sont importants. J'espère que nous pourrons utiliser ces accords pour reconstruire le système commercial mondial. »

Il s'agit manifestement d'une tentative de faire bonne figure devant une mauvaise situation.

Quel que soit leur résultat final, les manœuvres de Starmer mettent en évidence la fragmentation continue des relations commerciales internationales en place depuis la fin de la guerre froide. En effet, Beattie écrit que « le risque le plus important ne concerne pas le Royaume-Uni lui-même, mais le système commercial mondial ». Il note que la réduction par la Grande-Bretagne des droits de douane sur l'éthanol et le bœuf produits spécifiquement aux États-Unis – qui ne s'inscrit pas dans le cadre d'un accord commercial formel – sape « le principe de la nation la plus favorisée qui sous-tend le système commercial multilatéral ».

Selon les règles de l'Organisation mondiale du commerce, en dehors d'accords commerciaux spécifiques, les membres doivent traiter tous les autres membres de la même manière en ce qui concerne les taxes à l'importation. Mais ces principes sont abandonnés dans le cadre d'une guerre commerciale mondiale dont la logique consiste à remplacer la brutalité anti-ouvrière d'une concurrence de marché relativement libre par la brutalité encore plus anti-ouvrière de blocs commerciaux concurrents.

Plus précisément, le comportement de la Grande-Bretagne ne suscitera pas de réaction amicale de la part de l'Europe.

Der Spiegel met en garde contre l'accord entre les États-Unis et le Royaume-Uni : « Selon la Maison-Blanche, la création d'une “communauté commerciale” pour l'acier et l'aluminium est prévue. Cela pourrait signifier qu'à l'avenir, le Royaume-Uni pourrait imposer des droits de douane de 25 % sur les importations en provenance de pays tiers tels que l'Allemagne. »

Les conflits économiques sont étroitement liés à la concurrence militaire. Politico rapporte que le président français Emmanuel « Macron joue la carte de la fermeté alors que Starmer s'efforce de réinitialiser l'UE », la France cherchant à « limiter l'accès des Britanniques à un fonds européen de réarmement et de défense de 150 milliards d'euros qui est en cours de négociation ».

L'article explique : « Le Royaume-Uni veut que ses entreprises bénéficient de SAFE, le programme de réarmement de plusieurs milliards d'euros qui est actuellement négocié par les membres de l'UE, mais la France considère cet effort comme une concurrence malvenue de la part de Londres et un cas où les Britanniques essaient d'avoir leur gâteau post-Brexit et de le manger aussi [...] »

« Les efforts de la Grande-Bretagne pour conclure un accord commercial avec Washington ont renforcé l'opinion de la France selon laquelle la reprise avec Starmer sera relativement limitée et que le Royaume-Uni ne considère pas que son avenir repose exclusivement sur le continent. »

(Article paru en anglais le 9 mais 2025)