Les gouvernements, les grandes entreprises, les petites entreprises américaines, les investisseurs, les fonds spéculatifs, les banques et les marchés financiers ont tous poussé un soupir de soulagement lorsque la trêve de 90 jours dans la guerre tarifaire menée par les États-Unis contre la Chine a été annoncée lundi.
Si les discussions entre hauts responsables américains et chinois, tenues à Genève le week-end dernier, avaient abouti à une escalade, voire à une impasse, il est quasiment certain que la spirale descendante des marchés financiers, qui avait accueilli les « droits de douane réciproques » du 2 avril – qui ont vu les taxes imposées à la Chine s'élever à 145 % – aurait repris. En revanche, ce soulagement a ramené Wall Street à ses niveaux d'avant le « Jour de la Libération ».
Mais la pause, la trêve, la détente, ou quel que soit le nom qu'on lui donne, n'a pas résolu, ni même été proche de résoudre, le conflit existentiel entre la première et la deuxième économie mondiale.
Cela signifie bien plutôt que la guerre menée par les États-Unis entrera, tôt ou tard, dans une phase nouvelle et encore plus dangereuse, dans laquelle ils auront de plus en plus recours à des moyens militaires.
En substance, la tentative des États-Unis de soumettre la Chine en lui imposant un embargo a échoué, car elle menaçait de faire exploser le système financier américain, et ils ont dû rétropédaler. Malgré les fanfaronnades de Trump concernant sa victoire, ce fait est largement reconnu.
Un commentaire sur Bloomberg intitulé «La défiance de Xi porte ses fruits alors que Trump accepte la plupart des demandes commerciales de la Chine» exprimait le sentiment général.
L'article citait Trey McArver, cofondateur du cabinet d'études Trivium China, qui déclarait : « C'est sans doute le meilleur résultat que la Chine pouvait espérer: les États-Unis ont reculé. À l'avenir, cela confortera la partie chinoise dans sa capacité à influencer les États-Unis dans toute négociation.»
Le Financial Times a fait référence à la «reculade de Trump sur les tarifs douaniers» en publiant un article indiquant clairement que les États-Unis avaient «cédé les premiers».
Dans un éditorial intitulé «La grande reculade de Trump sur les tarifs douaniers», le Wall Street Journal a déclaré: «Rarement une politique économique a été répudiée aussi fermement et aussi rapidement que les tarifs douaniers du Jour de la Libération du président Trump.»
Le pronostic selon lequel l'échec de la phase actuelle de la guerre économique menée par les États-Unis entraînerait un recours accru aux moyens militaires ne se base pas sur un examen des préoccupations immédiates de Trump ou de ses collaborateurs. Comme toujours, les options militaires sont sans aucun doute à l'étude.
Le danger croissant de leur utilisation découle de la logique objective du conflit qui a commencé à se développer bien avant l’apparition de Trump sur la scène.
La guerre que Trump mène contre la Chine et le reste du monde l’a été au nom de la réduction du déficit commercial américain. Mais malgré les affirmations de Trump concernant une « réinitialisation» des relations commerciales avec la Chine, les arrangements annoncés lundi ne contribueront pas ou peu à atteindre cet objectif.
Quoi qu'il en soit, derrière l'accent mis sur le commerce se cache un objectif plus profond. Trump n'a cessé de souligner que le problème des déficits réside dans le fait qu'ils ont conduit à l'affaiblissement des capacités de production américaines, portant atteinte à la « sécurité nationale », c'est-à-dire à la capacité de faire la guerre.
La campagne ouverte contre la Chine n’a pas commencé avec Trump, mais trouve son origine dans le «pivot vers l’Asie» initié par l’administration Obama en 2011, la secrétaire d’État de l’époque Hillary Clinton étant la principale porteuse d’une nouvelle orientation militaire vers la région Inde-pacifique.
Dans les années 1990, après la restauration du capitalisme, les États-Unis ont fait pression pour que la Chine soit intégrée au système commercial mondial, afin que leurs entreprises puissent exploiter une main-d’œuvre moins chère grâce à la mise en place de chaînes d’approvisionnement mondiales.
L’administration de Bill Clinton a posé les bases de l’admission de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce, un processus qui fut achevé sous la présidence de George W. Bush en 2001.
Mais à la fin de la première décennie du nouveau siècle, les États-Unis craignaient de plus en plus – surtout après que la crise financière de 2008 ait révélé les fondements pourris du capitalisme américain, rongés par le parasitisme et la spéculation – que la Chine ne représente un danger croissant pour leur domination mondiale.
En 2014, le représentant au Commerce d'Obama, Michael Froman, a écrit un article dans Foreign Affairs déclarant que la politique de l'administration Obama visait à rendre les États-Unis «encore plus attractifs pour les investisseurs en plaçant le pays au centre d'un réseau d'accords qui offriront un accès sans entrave aux deux tiers de l'économie mondiale», et que les entreprises de toutes tailles «voudraient à nouveau fabriquer des choses aux États-Unis et les exporter dans le monde entier».
Il ne s'agissait pas encore de « rendre sa grandeur à l'Amérique », mais l'essentiel de cette politique allait dans ce sens. L'administration Obama cherchait à atteindre ces objectifs grâce au Partenariat transpacifique. Ce dernier a été abandonné par l'administration Trump, mais la pression sur la Chine s'est intensifiée par l'imposition de droits de douane et d'interdictions frappant les entreprises chinoises de haute technologie, notamment le géant des communications Huawei, dans le but de la paralyser.
Les mesures tarifaires introduites durant la première présidence Trump ont été en grande partie conservées par l’administration Biden, et les interdictions d’utilisation de la technologie américaine furent intensifiées.
Lorsque Trump est revenu à la Maison Blanche en 2025, il était déterminé à ce que sa campagne visant la Chine ne soit pas entravée, comme il pensait qu’elle l’avait été auparavant par certains membres de son premier gouvernement, qui n’étaient pas prêts à détruire entièrement le système des relations commerciales d’après-guerre.
Il avait passé ses quatre années absentes du pouvoir à constituer une équipe de faucons anti-Chine dirigée par Peter Navarro, aujourd'hui conseiller principal pour le commerce et l'industrie au sein de l'administration. Navarro fut l'un des principaux architectes de la guerre économique qui culmina avec les mesures du 2 avril permettant une hausse à 145 pour cent des droits de douane imposés à Pékin.
La nouvelle administration était confrontée à une situation où tous les efforts déployés jusqu'alors pour contenir la Chine et freiner son progrès – interdictions d'exportation de technologies et droits de douane – avaient échoué. Au cours des quinze dernières années, la Chine était passée du statut de simple producteur de biens de consommation bon marché à celui de leader mondial dans certaines des méthodes de production et de fabrication les plus avancées, notamment dans les hautes technologies.
L’ironie de cette situation est qu’une grande partie de l’impulsion donnée à ce développement fut fournie par les entreprises américaines, qui ont en grande partie conçu et construit les premières chaînes d’approvisionnement complexes.
Comme le notait un article du Wall Street Journal en avril: «L’une des raisons pour lesquelles Apple est si étroitement liée à la chaîne d’approvisionnement électronique chinoise est que l’entreprise a contribué à sa construction.»
L'entreprise commença à collaborer avec des fournisseurs chinois il y a plus de vingt ans et, « avec le temps, Apple les aida à bâtir un écosystème de plus de 1 000 fournisseurs en Chine. Le fabricant de l'iPhone leur a appris à optimiser leur efficacité opérationnelle, afin qu’ils se fassent concurrence entre eux, réduisant ainsi les coûts d’Apple.
Ce qui s’est produit dans la production de téléphones s’est également produit dans d’autres industries, avec pour résultat que, comme cela s’est déjà produit dans l’histoire du capitalisme, l’élève a pris le pas sur l’enseignant – le développement du Japon d’après-guerre en étant un exemple frappant.
Ce qui est particulièrement irritant pour les États-Unis, c'est que, malgré toutes les interdictions et restrictions dans le secteur des hautes technologies et les difficultés qu'elles ont engendrées, la Chine a réussi à réaliser des avancées majeures. Huawei, par exemple, s'est remis de son expérience de mort imminente durant la première administration Trump ; il est désormais capable de produire des téléphones de haute qualité à partir de puces qu'il a développées, et progresse dans le domaine de l'intelligence artificielle.
Aux États-Unis, on prétendait que leur supériorité en matière d'IA serait inébranlable, grâce à la technologie avancée des puces produites par Nvidia, dont les produits hauts de gamme étaient refusés à la Chine. Mais cette illusion a été brisée en janvier lorsque la start-up chinoise DeepSeek, spécialisée dans l'IA, a lancé une application d'IA comparable à celles fabriquées aux États-Unis, à un coût bien inférieur.
Le directeur de Nvidia, Jensen Huang, a récemment déclaré que Huawei était «l’une des entreprises technologiques les plus redoutables du monde».
En avril, Thomas Friedman, chroniqueur du New York Times, a résumé sa vision du développement économique de la Chine, après une visite, dans un article intitulé «Je viens de voir l'avenir. Il n'était pas en Amérique».
Il a commencé par un reportage sur un campus développé par Huawei.
«Construit en un peu plus de trois ans, il se compose de 104 bâtiments conçus individuellement, avec des pelouses impeccables, reliés par un monorail de type Disney, abritant des laboratoires pouvant accueillir jusqu'à 35 000 scientifiques, ingénieurs et autres travailleurs, offrant 100 cafés ainsi que des centres de fitness et d'autres avantages conçus pour attirer les meilleurs technologues chinois et étrangers.»
Il a noté que chaque année, la Chine produisait environ 3,5 millions de diplômés dans les domaines des sciences, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques, ce qui équivaut à peu près au nombre total de diplômés de toutes les disciplines confondues aux États-Unis.
Il a pris à partie ceux qui ont soutenu que la Chine avait en quelque sorte «triché pour atteindre la domination du secteur manufacturier mondial».
« Ils ont triché, copié et forcé des transferts de technologie. Mais ce qui rend le mastodonte manufacturier chinois si puissant aujourd'hui, ce n'est pas seulement qu'il fabrique les choses à moindre coût; il les fabrique moins chères, plus vite, meilleures, plus intelligentes et incorporant de plus en plus d'IA », écrit-il. D'autres ont fait des estimations similaires.
L’objectif de la guerre tarifaire de Trump a été d’écraser l’essor de la Chine par des moyens économiques et financiers.
Trump avait l’illusion subjective que ses décrets et ses diktats de représailles étaient tout-puissants et qu’il serait capable de faire ce que le roi Knut le Grand n’avait pu faire : repousser la marée.
Mais il s'est heurté à une force objective plus puissante : une économie et un système financier mondiaux intégrés. Face à la perspective que la poursuite de ses mesures mène à l'effondrement du système financier sur lequel reposent les États-Unis, il a fait marche arrière, du moins pour l'instant.
Mais ce serait la pire des illusions de croire que cela signifie que la guerre économique est terminée et qu’il y aura un retour à la stabilité.
Au contraire, la crise va s'intensifier, au lieu de s'atténuer. Car la question existentielle demeure: la nécessité pour les États-Unis de maintenir leur domination mondiale en supprimant leur principal rival.
L'échec de l'offensive économique initiale signifie que d'autres mesures, fondées sur le recours à la force militaire et à la guerre, doivent s'imposer de plus en plus. Telle est la logique objective de la situation actuelle.
Ceci a trouvé un écho dans l’éditorial cité précédemment du Wall Street Journal qui a remarqué qu’il y avait un «côté positif» au «fiasco des tarifs douaniers», dans la mesure où il s’agissait d’un «rappel opportun au Congrès de prendre à nouveau au sérieux la dissuasion militaire».
À l’heure actuelle, l’administration Trump est engagée dans des négociations avec des pays qui se sont vu imposer des tarifs douaniers réciproques.
Le seul accord conclu jusqu'à présent l'a été avec le Royaume-Uni, mais il indique la direction que d’autres prendront. L'allègement accordé à l'acier et aux automobiles britanniques ne l'a été qu'à la condition que le Royaume-Uni « s'efforce rapidement de satisfaire aux exigences américaines » en matière de sécurité de la chaîne d'approvisionnement et de « propriété des installations de production concernées ». Les responsables américains ont clairement indiqué que ces conditions s'appliquaient à la Chine et relevaient de la « sécurité nationale ».
Il reste à voir quelle forme prendront de telles stipulations dans les accords, le cas échéant, avec d'autres pays. Mais les États-Unis exigeront certainement que, pour obtenir des concessions commerciales, le pays concerné s'aligne sur les principes de « sécurité nationale » américains, c'est-à-dire essentiellement sur les préparatifs de guerre concernant la Chine.
Aucun travailleur, où que ce soit dans le monde, ne devrait avoir l'illusion que les dangers posés par la guerre économique de Trump ont diminué avec l'annonce de la «trêve» lundi. Au contraire, ils se sont intensifiés, aggravant la menace d'une guerre alors que l'administration Trump, repoussée sur le front économique, est de plus en plus amenée à recourir aux méthodes militaires.
Ces dangers accrus ne peuvent être combattus qu’à travers la lutte pour un programme socialiste international, visant à renverser la folie et la destructivité du système capitaliste mondial.
(Article paru en anglais le 15 mai 2025)