Avril marquait le 100e anniversaire de la publication du troisième roman de F. Scott Fitzgerald, Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby), l’une des contributions les plus remarquables à la littérature américaine et mondiale. Le roman s’est vendu à près de 21 millions d’exemplaires depuis sa publication et se vend régulièrement à environ 500 000 exemplaires par an. Il a été adapté ou a influencé au moins sept films. Il fait partie d’innombrables programmes scolaires au niveau secondaire et universitaire aux États-Unis, et rares sont les lecteurs qui ne sont pas touchés par ce roman.
Un siècle plus tard, les personnages de Fitzgerald peuvent sembler lointains, formels et même très maniérés. Ils appartiennent à une période et à un lieu distincts de l’histoire, les années 1920, période florissante aux États-Unis, souvent appelée « l’ère du jazz ». Une barrière existe entre nous et cette période, créée par dix décennies remplies d’événements marquants, de triomphes et d’horreurs sociaux, de changements technologiques considérables et d’autres développements bouleversants.
Le plus grand ajustement pour le lecteur moderne est peut-être que Fitzgerald nous montre, à nous qui vivons à l’ère du déclin et de la putréfaction de l’impérialisme américain, des scènes de la période de son essor et de sa confiance en soi.
Néanmoins, les dilemmes et les sentiments des personnages de Fitzgerald sont contemporains, en proie aux divisions sociales que Fitzgerald dépeint avec tant de précision. Le roman met inévitablement en évidence la corruption, la maladie, les aspirations et les illusions au cœur de la vie bourgeoise américaine.
Se demander ce qui explique la popularité et la résonance persistantes de Gatsby le Magnifique revient peut-être à se demander quels aspects de la vision qu’avait Fitzgerald de la société américaine il y a un siècle se sont révélés objectivement vrais, durables et indélébiles. N’avait-il pas compris, à une époque où la domination américaine devenait une réalité, que le capitalisme américain était pourri et criminel, que « la fête était [déjà] finie », pour reprendre une phrase des dernières pages du roman ?
De plus, la capacité d’une œuvre à soulever et à transmettre des préoccupations universelles tout en traitant du concret ici et maintenant est la marque de la grandeur artistique. Comme l’a fait remarquer le romancier John Dos Passos, contemporain de Fitzgerald, vingt ans après la publication de Gatsby le Magnifique : « C’est la capacité d’une œuvre à se détacher de son époque tout en l’incarnant qui fait sa qualité. »
À cela s’ajoute la beauté saisissante de l’écriture de Fitzgerald. Son langage figuratif est souvent poétique et fournit en quelques mots ou images brillantes un aperçu, voire une révélation, du monde matériel, historique et émotionnel.
Le livre est raconté par Nick Carraway, un courtier en obligations issu de la classe moyenne supérieure dont la cousine, Daisy, est mariée à un homme extrêmement riche et brutal nommé Tom Buchanan, ancien camarade de classe de Nick à Yale. Nick déménage dans le village fictif de West-Egg, à Long Island (New York), à côté de l’enclave de la classe dirigeante d’East-Egg, où son voisin est Jay Gatsby, un homme fabuleusement riche qui organise de somptueuses fêtes, qui ne porte jamais deux fois la même chemise et qui revendique tout ce qu’il veut, y compris Daisy.
Gatsby utilise Nick à cette fin, et Nick apprend à le connaitre et finit par être à la fois intrigué et rebuté. Gatsby a réécrit sa propre vie et est devenu riche grâce à ses relations avec le milieu criminel. En fin de compte, l’égoïsme de Gatsby, ainsi que celui de Daisy et de Tom, et peut-être même celui de Nick, conduit à la mort de trois personnes et à la fin des illusions que Nick se fait sur la vie mondaine qu’il rencontre.
Ce qui imprègne le roman, c’est le sentiment général que la vie des très riches est très éloignée de celle de tout le monde, que les riches prennent ce qu’ils veulent sans se soucier des autres et que tout ce qui brille et scintille est acquis au prix de la souffrance de ceux qui sont contraints de vivre dans un monde gris et stérile, fait de cendres.
Le motif des cendres est tout à fait littéral. Nick entre dans le monde d’East-Egg en montrant l’élégance et le sang-froid de Daisy et de son amie Jordan, une golfeuse professionnelle qui devient son amour pendant un certain temps. Cette élégance est opposée à l’ignorance raciste et à la vulgarité de Tom, le compagnon de Daisy.
Mais la dépravation morale de Tom nous conduit à la vallée de cendres, une région de Long Island qui fait désormais partie du Queens, où, il y a un siècle, d’énormes quantités de cendres et de déchets ont été déversées. Chez Fitzgerald, cette zone acquiert une importance symbolique : elle se trouve entre les enclaves élitistes de Manhattan et d’East-Egg, et ceux qui font la navette en voiture ou en train doivent traverser les montagnes de cendres.
Fitzgerald écrit :
À mi-chemin de West-Egg et de New York, la route se rapproche soudain du chemin de fer qu’elle suit pendant un quart de mille, comme pour s’écarter d’un certain site plein de désolation. Il s’agit d’une vallée de cendres – fantastiques cultures où, comme le blé, les cendres poussent en ondulations, collines et grotesques jardins ; où les cendres assument la forme de maisons, de cheminées, d’ascendantes fumées et, en fin de compte, à la suite d’un effort transcendant, celles d’hommes gris-de-cendre, qui, à peine entrevus et tombant déjà en poussière, se meuvent dans l’air poudreux.
La maîtresse de Tom Buchanan, Myrtle, épouse du propriétaire d’un garage automobile, réside officiellement ici. Cependant, avant même que nous rencontrions Gatsby et assistions à ses fêtes, Myrtle organise une fête beaucoup plus modeste dans l’appartement de Manhattan où Tom l’a installée. C’est une soirée morose et déprimante. Elle se termine par une beuverie et Tom cassant le nez de quelqu’un.
Cette scène préfigure les fêtes hebdomadaires infiniment plus somptueuses organisées par Gatsby. Ces séquences sont parmi les plus célèbres de la littérature américaine. Fitzgerald écrit avec une extrême économie. Il n’y a en fait que deux scènes complètes représentant ces réunions orgiaques, et une troisième racontée par Nick, mais elles donnent vie aux figures de la classe dirigeante et à leurs mœurs : la servilité des parasites envers les grandes fortunes, le mépris des riches pour leurs inférieurs sociaux.
Les lumières s’avivent à mesure que la terre accomplit l’embardée qui la détourne du soleil : à présent l’orchestre joue une musique jaune-cocktail et le chœur des voix monte d’un ton. De minute en minute, le rire devient plus facile, s’épanche avec plus de prodigalité, s’écoule comme d’une coupe qu’un mot joyeux suffirait à renverser. Les groupes changent plus rapidement, s’enflent de nouveaux arrivés, se dissolvent et se reforment, le temps de prendre haleine ; déjà on voit des vagabondes, filles confiantes qui font la navette ici et là, parmi leurs sœurs plus corpulentes et plus stables, deviennent pendant un instant vibrant et gai le centre d’un groupe, puis, animées par leur triomphe, s’éloignent en glissant sur l’océan changeant des visages, des voix et des couleurs, sous la lumière qui change sans cesse.
Cela rappelle les bals décrits dans Guerre et Paix de Léon Tolstoï, qui montrent une autre aristocratie et ses préoccupations face aux désastres de la guerre, une aristocratie empreinte de conventions et d’élégance, absente ici dans les fêtes de Gatsby. L’atmosphère qui règne ici suggère une puissance impériale grossière après une victoire dans une guerre, une victoire qui n’est ni permanente ni satisfaisante.
Tout cela n’est qu’une imposture destinée à soutenir d’autres impostures dans la vie de Gatsby. Les gens colportent des ragots sur l’origine de la fortune de Gatsby et sur qui il pourrait être réellement. Nick découvre que sa richesse a été acquise illégalement et que l’histoire que Gatsby raconte sur sa vie est un mensonge. Nous comprenons alors que les fêtes ne sont en réalité qu’une manœuvre. Les fêtes de Gatsby, son manoir, et même sa fortune, ont pour but d’acquérir la seule chose qu’il n’a pas : Daisy. Dans ses efforts pour la conquérir, il s’est inventé un faux passé, un nouveau nom et un faux présent.
Daisy, malheureuse avec Tom et presque entièrement égocentrique, acquiesce pendant un certain temps. Lorsqu’elle renverse accidentellement et mortellement Myrtle alors qu’elle est au volant d’une voiture dans la vallée de cendres, Gatsby la couvre, et finalement, le mari de Myrtle assassine Gatsby et se suicide.
Le verdict de Nick, et sans doute de Fitzgerald, est rendu dans les célèbres lignes vers la fin du roman :
Tout cela n’était que négligence et confusion. C’étaient des gens négligents – Tom et Daisy – ils brisaient choses et êtres, pour se mettre, ensuite, à l’abri de leur argent ou de leur vaste négligence, ou, quelle que fût la chose qui les tenait ensemble, en laissant à d’autres le soin de faire le ménage...
Comme dans toute œuvre artistique, l’inspiration provient de quelque chose du monde réel, d’un sentiment profond et d’une analyse approfondie de la vie. Un processus semblant être à l’œuvre chez Fitzgerald en 1924, alors qu’il écrit son livre pendant son séjour en France.
Issu d’une famille de la classe moyenne de St. Paul, dans le Minnesota, Fitzgerald (né en 1896) fait ses études aux côtés d’enfants de familles plus aisées et semble développer une envie qui le pousse à « réussir ». Il fréquente Princeton, puis s’enrôle dans l’armée lorsque la Première Guerre mondiale éclate. À son grand regret, il ne sert jamais, mais il publie son premier roman en 1920, L’Envers du paradis (This Side of Paradise), qui raconte l’histoire d’un étudiant et de sa rébellion contre les valeurs de son époque. Le livre comprend une scène remarquable dans laquelle son protagoniste, Amory Blaine, défend la Révolution d’octobre 1917 et rejette les lieux communs bourgeois sur la nature humaine.
[Amory] : « Pendant des années, on a fait patienter les gens avec des promesses. Le socialisme n’est peut-être pas le progrès, mais la menace du drapeau rouge est certainement la force qui inspire toute réforme. Il faut être sensationnel pour attirer l’attention. »
— « La Russie est donc pour vous un exemple de violence bénéfique ? »
— « C’est bien possible, admit Amory. Bien sûr, ça déborde comme la Révolution française, mais je ne doute pas que ce soit une grande expérience, qui en vaut vraiment la peine. »
Gatsby le Magnifique a été publié dans une période de bouleversements politiques, économiques et culturels. Les États-Unis sont intervenus dans la guerre en Europe en 1917, après que le carnage ait épuisé le continent pendant près de trois ans. Des millions de personnes sont mortes dans les tranchées, alors que le système des États-nations du capitalisme en décomposition se déchirait, et les peuples des pays belligérants ont finalement cherché une issue à travers la révolte.
Les masses russes ont renversé le tsar Nicolas II en mars 1917, un mois avant que les États-Unis ne commencent à envoyer des troupes aux côtés de l’impérialisme allié, puis elles ont renversé le capitalisme dans son ensemble en octobre de la même année sous la direction bolchevique de Lénine et Trotsky.
En 1919, année dont Fitzgerald rend compte dans sa nouvelle Premier Mai (May Day), la révolution secoue l’Allemagne, la Hongrie et l’Italie, et des grèves de masse éclatent également en Grande-Bretagne. L’Amérique du Nord connait également une recrudescence de la lutte des classes, sous la forme de grèves ferroviaires, de combats dans les bassins houillers, d’une grève de la sidérurgie et de grèves générales à Seattle et Winnipeg. Le gouvernement américain lance alors une contre-offensive « anti-communiste », expulsant des immigrants et menant des rafles contre le jeune mouvement communiste.
Le capitalisme américain réussit à stabiliser l’ordre d’après-guerre, du moins temporairement. Aux États-Unis, la vie sociale connait un changement radical. Pour une partie de la classe moyenne et les plus riches, les troubles de 1919 sont suivis par l’essor économique des années 1920, période durant laquelle l’argent afflue grâce à la bourse et à d’autres investissements.
C’est une période de profonds changements culturels. De nouvelles technologies telles que la radio, l’aviation commerciale et l’expansion considérable de l’industrie cinématographique font leur apparition, ainsi que des changements dans les mœurs. Les autorités continuent d’interdire certains livres (Ulysse de James Joyce en 1922, par exemple), mais la pudibonderie victorienne et le provincialisme américain commencent à céder la place à d’innombrables nouvelles réalités.
Mais surtout, la société américaine officielle jouit de sa nouvelle position dans le monde, alors même que la République soviétique repousse tous ses ennemis et que de grandes luttes sociales continuent de couver en Europe. Dans une large mesure, comme les personnages de Gatsby le Magnifique, le capitalisme américain, au sommet de son succès, se berce alors d’illusions.
Fitzgerald atteint sa maturité artistique à cette époque, vivant au quotidien la réalité de la vie américaine, mais toujours conscient de la Révolution russe qui pesait sur la vie sociale, politique et intellectuelle. Son premier livre le rend riche, et ses nouvelles lui assurent un revenu confortable, du moins pendant un certain temps. Il vit à Manhattan, à Great Neck, Long Island, la banlieue qui a inspiré East-Egg, puis à Paris et sur la Côte d’Azur, où se déroule une grande partie du roman de Fitzgerald Tendre est la nuit (Tender is the Night – 1934), où les Américains ont plus d’argent que quiconque et fréquentent les hautes sphères de plusieurs nationalités.
Le « bolchevisme » n’est pas seulement une réalité étrangère. Fitzgerald vit dans une société où le mouvement socialiste de la classe ouvrière représente un défi pour la société en général, y compris pour les artistes. Les écrivains de la génération qui l’avait précédé, notamment Theodore Dreiser, Sherwood Anderson, Sinclair Lewis et Upton Sinclair, avaient tous adopté un réalisme critique, dans le sillage des profonds changements survenus dans la société américaine après la Guerre de Sécession. Comme le fait alors remarquer le critique Alfred Kazin en 1940, il s’agissait d’une littérature caractérisée par « l’absorption de nos écrivains dans les moindres détails de leur monde américain, ainsi que par leur aliénation profonde et subtile par rapport à celui-ci ».
La génération de l’après-guerre à laquelle appartenait Fitzgerald, souvent appelée « la génération perdue », comprenait des écrivains tels qu’Ernest Hemingway, Dos Passos et Gertrude Stein, ainsi que les poètes E. E. Cummings et Hart Crane. Elle reflétait l’incertitude de l’époque, le « nouvel ordre mondial » instable qui avait suivi le traité de Versailles de 1919, mais qui s’inspirait largement de cette tradition réaliste, dont les auteurs leur avaient beaucoup appris et qu’ils connaissaient souvent bien.
De nombreuses figures artistiques ont influencé la génération de Fitzgerald, notamment Joseph Conrad, Anton Tchekhov et Tolstoï. D’autres contemporains s’employaient à redéfinir le roman, comme Joyce et Virginia Woolf, ainsi que la sensibilité poétique, notamment T. S. Eliot (un admirateur de Gatsby le Magnifique), Ezra Pound et William Carlos Williams. Fitzgerald les connaissait et les lisait tous. Son sens critique était guidé par son ami et ancien camarade de classe, le critique littéraire Edmund Wilson, qui écrivit plus tard, entre autres ouvrages importants, La gare de Finlande (To the Finland Station – 1940), une histoire de la pensée socialiste que Fitzgerald lut peu avant sa mort. Le marxisme était un courant puissant et très présent dans les cercles intellectuels, et un écrivain réfléchi pouvait difficilement l’ignorer.
À partir de ses propres expériences, Fitzgerald, comme l’a noté Kazin, « en est venu à détester les riches », mais ce n’était pas simplement une haine viscérale ou par ignorance. Comme rapporte Kazin, « lorsque sa fille se plaint à propos d’un geste de jalousie ou d’exclusion posé à l’école qui l’humilie... il lui conseille de lire le chapitre intitulé “La journée de travail” dans Le Capital [de Marx]... en lui disant “Et vois si tu restes toujours la même.” »
Fitzgerald n’a produit qu’un seul roman complet après Gatsby le Magnifique, Tendre est la nuit, ainsi que de nombreuses autres nouvelles et un roman inachevé publié après sa mort, Le Dernier Nabab (The Last Tycoon), un commentaire perspicace sur Hollywood, où il était allé travailler par nécessité économique dans les années 1930.
Selon l’ouvrage de Scott Donaldson intitulé Fitzgerald and Hemingway : Works and Days, « entre 1932 et 1935, [Fitzgerald] envisagea d’adhérer au Parti [communiste] ». Diverses questions « l’ont dissuadé de franchir ce pas », écrit Donaldson, mais celui-ci n’inclut pas parmi celles-ci la dégénérescence stalinienne de l’URSS. En réalité, Fitzgerald accordait une attention considérable aux événements en Union soviétique et recherchait des « marxistes non staliniens influents », notamment V.F. Calverton qui, à ce stade de sa carrière, au début des années 1930, ouvrait les pages de son magazine Modern Monthly aux sympathisants trotskistes.
La compagne de Fitzgerald, Sheilah Graham, rejette l’idée qu’il adorait les riches, insistant sur le fait qu’« il était toujours très virulent dans son soutien aux pauvres et aux opprimés. Il détestait les gens comme Barbara Hutton, Woolworth Donahue [membres du clan Woolworth, fabuleusement riche], et surtout les magnats des affaires. “Je ne connais aucun homme d’affaires que j’aimerais retrouver dans l’autre monde – s’il y a un autre monde.”, disait Scott. »
Fitzgerald est mort à l’âge de 44 ans en 1941. Son alcoolisme a contribué à sa perte, mais la Grande Dépression, l’avènement d’une nouvelle guerre et, presque certainement, le sort de la Révolution russe ont également joué un rôle dans son déclin. Dans Tendre est la nuit, il décrit une servante criant contre ses employeurs « avec la voix de la Commune ».
Gatsby le Magnifique côtoie les grandes œuvres de l’année 1925 : Une tragédie américaine de Dreiser, La Montagne magique de Thomas Mann, Le Procès de Franz Kafka.
À une époque où le capitalisme américain commençait tout juste à s’imposer comme une puissance internationale, les meilleurs écrivains américains, tels que Dreiser et Fitzgerald, avaient déjà compris que ce système était moralement mort-né. Ils comprenaient ou pressentaient que le capitalisme américain n’avait aucun avenir glorieux, honnête et légitime. Dans les dernières pages de Gatsby le Magnifique, Fitzgerald indique clairement que la promesse des États-Unis, tel qu’ils l’étaient, appartient au passé. Ce qu’il écrit à propos de Gatsby est clairement destiné à avoir une application plus large :
Il était venu de bien loin sur cette pelouse bleue, et son rêve devait lui paraître si proche qu’il ne pourrait manquer de le saisir avec sa main. Il ignorait qu’il était déjà derrière lui, quelque part dans cette vaste obscurité au-delà de la ville, où les champs obscurs de la république se déroulaient sous la nuit.
En vérité, comme l’écrit également Fitzgerald à propos d’un visiteur qui arrive à l’une des réceptions de Gatsby longtemps après la mort de son hôte, « C’était probablement un dernier hôte venu des confins de la terre, qui ignorait que la fête était finie. »
Gatsby le Magnifique conserve son mordant. Un article publié en 2019 observait que, selon « l’American Library Association, Gatsby le Magnifique arrive en tête de la liste des livres qui ont été contestés ou ont fait l’objet d’interdictions potentielles au fil des ans ». De nombreux groupes, en particulier des organisations religieuses, « ont critiqué le langage, la violence et les références sexuelles ». Cependant, ce qui dérange vraiment les détracteurs de droite et autres censeurs potentiels, c’est que le roman « dépeint le rêve américain sous un jour négatif en décrivant un homme qui, même après avoir atteint la richesse et la célébrité, n’est pas heureux. Il montre que la richesse et la renommée peuvent conduire à certains des pires résultats imaginables, ce qu’un pays capitaliste ne veut pas voir se produire. » (thoughtco.com)
Étudiants à l’université ou au secondaire, travailleurs et jeunes, nous avons tous besoin de Gatsby le Magnifique. Les artistes eux-mêmes, enlisés dans le marécage de la politique identitaire à une époque de falsification officielle de l’histoire, en ont également besoin. Ce n’est pas une œuvre qui se prête à une interprétation unique, mais elle montre les riches tels qu’ils sont, tels qu’ils sont nécessairement dans le système qui les a créés et élevés, et les conséquences qui découlent lorsqu’on s’en remet à eux ou on les flatte.
Comme l’écrivait Fitzgerald quelques mois après la publication du roman, dans l’une de ses plus belles nouvelles, Le Garçon riche (The Rich Boy) :
Laissez-moi vous parler des riches. Ils sont différents de vous et moi. Ils possèdent et jouissent tôt dans la vie, ce qui n'est pas sans effet sur eux ; cela les rend tendres là où nous nous endurcissons, cyniques là où nous sommes, nous, confiants, d'une manière difficile à comprendre lorsqu'on n'est pas né riche. Au fond d’eux-mêmes, ils pensent qu’ils sont meilleurs que nous parce que nous avons dû découvrir par nous-mêmes les compensations et les refuges de la vie. Même lorsqu’ils pénètrent profondément dans notre monde ou sombrent plus bas que nous, ils continuent de penser qu’ils sont meilleurs que nous. Ils sont différents.
(Article paru en anglais le 29 août 2025)