La chute du gouvernement français lundi, dû à son incapacité à faire passer au Parlement un programme d'austérité pour faire face à la hausse de la dette publique, est la très nette manifestation sur le plan politique d’une crise de la dette qui se développe dans toutes les grandes économies.
Depuis la crise financière mondiale de 2008, les gouvernements ont accumulé des dettes à un rythme accéléré, en particulier après le début de la pandémie de COVID-19, en accordant des renflouements aux banques et aux trusts et de fortes baisses d’impôts aux entreprises et aux riches
La France illustre parfaitement ce processus. Le gouvernement Bayrou visait des coupes dans les dépenses de 44 milliards d'euros. Or, selon des calculs rapportés par le New York Times, les recettes fiscales sont tombées à 51 pour cent du PIB, contre 54 pour cent en 2017, année de l'arrivée au pouvoir du président Macron. Selon une estimation, ces réductions d'impôts ont entraîné une perte de recettes publiques annuelle de 50 milliards d'euros.
La France a une dette publique de 3,350 milliards d’euros, qui devrait représenter 116 pour cent du PIB cette année.Le gouvernement français, comme beaucoup d'autres, a pu accumuler des dettes à des niveaux sans précédent grâce au maintien des taux d'intérêt à zéro ou proches de zéro pendant une quinzaine d'années après la crise de 2008, suivie de celle de l'euro en 2012. Mais à présent, on récolte ce qu’on a semé et la hausse des taux d’intérêts depuis 2022 a fait exploser la facture à payer pour les intérêts de la dette. Dans le cas de la France, elle est passée de 26 milliards d'euros en 2020 à 66 milliards d'euros aujourd'hui.
La crise financière française est l'expression d'une tendance mondiale en pleine expansion. Selon le Fonds monétaire international, le montant de la dette en pourcentage de la production économique annuelle a doublé depuis 2007 pour atteindre 80 pour cent. Le FMI a estimé que la dette publique pourrait atteindre 100 pour cent du PIB mondial d'ici la fin de la décennie. La CNUCED, agence des Nations Unies, a indiqué que la dette publique mondiale atteindrait environ 102 000 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 5 000 milliards de dollars par rapport à l'année précédente.
La facture des intérêts sur la dette publique mondiale s’est élevée à 2,720 milliards de dollars l’année dernière, soit une augmentation de 11,2 pour cent par rapport à l’année précédente.
L’augmentation de la dette publique a entraîné une forte hausse des marchés obligataires mondiaux, en particulier à long terme.
Au Royaume-Uni, le taux d’intérêt des obligations à 30 ans a atteint 5,75 pour cent, son plus haut niveau depuis 1998. L'année prochaine, la charge d'intérêts sur la dette publique devrait atteindre l'équivalent de 150 milliards de dollars, soit près du double des dépenses militaires. La dette représente désormais 100 pour cent du PIB et, si la tendance actuelle se maintient, elle augmentera rapidement dans les années à venir.
Selon Ruth Gregory, économiste en chef adjointe pour le Royaume-Uni chez Capital Economics, dont les propos ont été cités par le Wall Street Journal (WSJ) : « Le Royaume-Uni n'est pas seul dans cette situation. Il y a un scenario commun dans de nombreux pays du G7 qui semble être en place pour une crise budgétaire potentielle, même si cela ne signifie pas qu'elle soit imminente ou inévitable. »
Elle a toutefois averti que le Royaume-Uni était une «poudrière potentielle» où une crise du marché intérieur ou extérieur pourrait entraîner un bond dans les taux d’intérêt.
Le Royaume-Uni a déjà connu un tel événement. En 2022, la tentative du gouvernement conservateur éphémère de Liz Truss de financer des baisses d'impôts pour la grande entreprise par la dette a provoqué une crise du marché obligataire, dans laquelle la Banque d'Angleterre a dû intervenir par une opération de sauvetage. Il est significatif que cette crise ait eu une origine totalement inattendue, puisqu'elle concernait les fonds de pension.
Depuis, la situation financière générale s’est aggravée parce que l’économie britannique ne croît pas assez vite pour générer les revenus nécessaires pour couvrir la dette et équilibrer le budget.
Résumant l’importance de la situation au Royaume-Uni – le «canari dans la mine de charbon», une appellation de plus en plus utilisée – Stephen Innes de SPI Asset Management écrit que «l’air se raréfie dans les mines de la dette souveraine».
«La première toux ne vient pas des fragiles marchés émergents habituels, mais du cœur du monde développé. Les obligations d'État britanniques – autrefois instruments sages et respectueux de la prudence britannique – chantent désormais une mise en garde qui s’entend bien au-delà de la Banque d’Angleterre.»
Il souligne que même le Japon, où les obligations d’habitude «dormaient tranquillement», avait été «secoué et réveillé» alors que les rendements des obligations à 30 ans atteignaient des records. «Le Canada, l’Allemagne, nommez votre État – la tension est omniprésente ».
La crise de la dette est particulièrement grave aux États-Unis, cœur du système capitaliste mondial. La dette publique atteint 37 000 milliards de dollars et la facture des intérêts, de mille milliards de dollars par an, rivalise avec les dépenses budgétaires consacrées au poste le plus important, les dépenses militaires. Si les États-Unis n'ont pas encore atteint le niveau de la France ou du Royaume-Uni, c'est uniquement parce que le dollar est la monnaie mondiale qui leur confère des « privilèges exorbitants ».
Mais le rôle du dollar est remis en question. Tout au long de l'année, sa valeur a chuté sur les marchés internationaux – elle a baissé de 10 pour cent depuis le début de l'année – et l'inquiétude grandit quant à la stabilité des institutions financières américaines, qui constituent le fondement du système financier mondial.
Dans un commentaire publié dans le WSJ, Ken Griffin, PDG d'un fonds spéculatif de nombreux milliards de dollars, a mis en garde quant à la stabilité de l'inflation et à la durabilité des finances publiques étant donné l'attaque menée contre la Réserve fédérale (Fed) par le président Trump.
« La stratégie du président consistant à critiquer publiquement la Fed, à suggérer la révocation de gouverneurs et à faire pression sur la banque centrale pour qu'elle adopte une position plus permissive face à l'inflation a un coût très élevé. Ces actions augmentent les anticipations d'inflation, accroissent les primes de risque du marché et sapent la confiance des investisseurs dans les institutions américaines. »
Il a déclaré que si les États-Unis bénéficiaient d'une « crédibilité » accumulée au fil des décennies, celle-ci n'était pas illimitée. « Si elle s'érode, les marchés exigeront des taux bien plus élevés pour la dette à long terme. »
L'érosion de la confiance envers les États-Unis et le dollar se reflète dans la hausse du prix de l'or. Lundi, il a atteint 3 600 dollars l'once, contre 3 500 dollars une semaine auparavant.
Dans ce que le Financial Times a qualifié de «performance fulgurante», de prix de l’or est monté de 9 pour cent dans les trois dernières semaines et de 37 pour cent depuis le début de l'année. Les analystes financiers estiment que sa hausse va se poursuivre – il pourrait même atteindre 4 000 dollars d'ici la fin de l'année – à mesure que la demande étrangère délaisse les obligations du Trésor américain au profit de l'or et perd confiance dans les États-Unis.
Les fluctuations du marché obligataire indiquent qu'on est arrivé à un tournant. Comme l'a récemment souligné Allison Schrager, chroniqueuse chez Bloomberg, les grandes économies n'ont «aucun moyen de rembourser l'intégralité de leur dette».
«Les dernières décennies de taux bas ont incité les investisseurs, les entreprises et les gouvernements à croire qu'ils pouvaient continuer à emprunter sans avoir à supporter aucun coût – qu'ils pouvaient en substance vivre dans un monde sans contreparties économiques. La hausse des taux marque la fin de cette ère de croyance en la magie.»
Elle n'a pas précisé ni détaillé quelles seraient ces «contreparties». Mais celles-ci apparaissent déjà au grand jour. Elles impliquent des attaques massives contre la position sociale de la classe ouvrière et contre tous les acquis de l'après-guerre, attaques accompagnées pour être imposées d'une escalade de formes de pouvoir autoritaires et fascistes, dont le développement est déjà bien avancé.
(Article paru en anglais le 10 septembre 2025)