La chute du gouvernement, sur fond de crise budgétaire historique et de mobilisation organisée sur les réseaux sociaux le 10 septembre, a révélé la crise du régime capitaliste. Alors que les pays de l’OTAN intensifient leurs dépenses militaires et leur hystérie antirusse, la France et d’autres Etats européens sont au bord de la faillite. La grande question est comment la classe ouvrière peut stopper des attaques sociales massives et l’escalade continue de la guerre.
La crise révèle également les mécanismes utilisés par l’establishment politique pour démobiliser l’opposition ouvrière — notamment, le parti La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon. Dans son billet de blog sur le 10 septembre, intitulé «Mille coupures ouvrent une brèche», Mélenchon affirme qu’il suffit de lancer quelques appels à la destitution du président haï, Emmanuel Macron. Une révolution citoyenne se déroulerait alors spontanément:
Il nous suffit de laisser mûrir. Deux gouvernements sont déjà tombés, prouvant le niveau de déstabilisation de ceux d’en haut. Avec un bon plan d’action, nous avons fourni une simple poussée pour y parvenir. …
Inutile de se fatiguer à en faire davantage. [Ceux d’en haut] s’aveuglent eux-mêmes et se montrent donc incapables d’affronter la réalité qui se dessine toute seule contre eux. La révolution citoyenne qui mûrit dans les esprits s’apparente davantage à une force élémentaire de la nature plutôt qu’à n’importe quel complot imaginé par des vieux bourgeois tremblant devant leur télé.
C’est une tentative irresponsable et réactionnaire d’endormir les travailleurs. Une explosion élémentaire de colère politique de masse approche, mais la classe ouvrière doit se préparer aux défis révolutionnaires que cela impliquera. La contre-révolution bourgeoise luttera sans merci, en mobilisant non seulement les forces de répression, mais aussi le pouvoir des banques et, surtout, le rôle démobilisateur des bureaucraties syndicales liées à LFI.
Le rôle de ces bureaucraties a été illustré en 2023 pendant la lutte contre la réforme des retraites massivement impopulaire. Des millions de personnes ont fait grève, des émeutes ont éclaté à travers la France, mais les sommets syndicaux ont épuisé la mobilisation et mis fin aux grèves quand Macron a promulgué sa réforme en loi. En retournant à leur «conclave» avec le nouveau Premier ministre Sébastien Lecornu, les bureaucraties syndicales reprennent ce même chemin.
La classe ouvrière a besoin de ses propres organisations indépendantes de lutte—des comités de base dans les lieux de travail, parmi les étudiants et dans les quartiers populaires—afin de prendre le contrôle de ses luttes aux mains des bureaucraties. La crise du régime capitaliste ne peut être résolue par une «révolution citoyenne» dans les urnes en France, comme dit LFI. Seule une révolution socialiste, expropriant l’oligarchie capitaliste à l’échelle européenne et internationale, peut empêcher un effondrement des conditions de vie et de nouvelles escalades militaires.
Mélenchon tourne en dérision la «prétendue crise de la dette» dans son billet de blog, mais une crise du capitalisme existe bel et bien en Europe. La dette souveraine atteint 114 pour cent du PIB en France, 150 en Italie, 104 en Espagne, 102 au Royaume-Uni. Si l’Allemagne consacre comme prévu 1.000 milliards d’euros à la remilitarisation, cela pourrait faire grimper sa dette à 90 pour cent du PIB. Les États européens paient des centaines de milliards d’euros aux banques pour les intérêts de la dette, tout en appelant à dépenser des centaines de milliards de plus sur leurs armées.
La crise budgétaire française illustre ce que signifie cette crise européenne pour les travailleurs. Sur des recettes fiscales de 330 milliards d’euros, l’État français consacre 100 milliards au service de sa dette, 50 milliards à l’armée, et promet d’augmenter encore les dépenses militaires de 100 milliards pour atteindre 5 pour cent du PIB. Si on permet à la bourgeoisie de poursuivre ses plans de guerre et de versements massifs aux banques, elle démantèlera l’État providence. Comme l’a expliqué la déclaration du Parti de l’égalité socialiste (PES),
Deux alternatives se présentent: soit l’oligarchie capitaliste construit une dictature pour écraser les travailleurs, soit la classe ouvrière mène une lutte révolutionnaire pour exproprier les oligarques. Il faut briser le carcan des bureaucraties syndicales et construire de véritables organisations de la base pour mener la lutte des classes.
L’Alliance ouvrière internationale des comités de la base ( The International Workers Alliance of Rank-and-File Committees : IWA-RFC ) appelle au transfert du pouvoir des bureaucraties syndicales aux travailleurs sur tous les lieux de travail. De telles formes nouvelles d’organisation de classe, unissant les travailleurs en France et de toute l’Europe, sont nécessaires pour organiser la résistance et vaincre le programme de fascisme, de génocide et de guerre de l’oligarchie capitaliste.
L’appel de Mélenchon à une «révolution citoyenne» et à juste «laisser mûrir» la situation est une manœuvre pour renforcer l’emprise des bureaucraties et entraver toute mobilisation authentique de la classe ouvrière. Il vise à discréditer la lutte pour le socialisme et le pouvoir ouvrier. Mélenchon réprimande ses alliés de la bureaucratie stalinienne de la CGT, pour avoir dénoncé les mobilisation des « gilets jaunes » contre l’inégalité sociale.
Il pousse les appareils syndicaux à adopter une posture verbalement favorable à la mobilisation qui cacherait leurs réunions avec Lecornu pour planifier des attaques sociales et qui limiterait l’opposition ouvrière aux bradages syndicaux des luttes. L’action du 10 septembre, écrit-il par euphémisme,
ne règle pas tous les problèmes posés par la coupure maintenue entre l’action syndicale et l’action populaire de masse. L’implication rapide de Solidaires dans l’action du 10, renforcée aussitôt par plusieurs fédérations CGT déterminantes et de très nombreuses Unions locales et Union départementales a évidemment réduit la fracture creusée pendant l’épisode Gilets jaunes. …
Cette fois-ci, la CGT soutint le 10 septembre. Mais en co-signant pour une action le 18, une concurrence a affaibli la convergence. Heureusement, elle n’a pas empêché le succès de la journée du 10 ni le caractère massif de ses rassemblements. Chacun devrait méditer cela.
En réalité, la leçon que les travailleurs doivent tirer de la collusion des bureaucraties syndicales avec Lecornu et de leur hostilité à la révolution, c’est la nécessité d’une lutte pour construire des organisations indépendantes de lutte, totalement en dehors du système politique existant, à travers l’Europe et au-delà.
Mélenchon se dit favorable l’auto-organisation ouvrière, mais il précise ensuite que LFI ne fera rien pour aider les travailleurs à la réaliser. En réalité, il cherche à rassurer ses lecteurs que LFI ne représente aucune menace révolutionnaire. En appelant à une «stratégie spontanée», il indique que malgré son évocation de «l’auto-organisation», il compte se laver les mains de la lutte pour bâtir des comités de la base, pour mieux défendre l’ordre et la tranquillité:
L’auto-organisation, comme on le sait, est le chemin privilégié par la vision Insoumise de l’action de masse. De leur côté, les fachos ont des séances dans les bois et s’entraînent en bandes impunies contre les noirs et les arabes … Les cinq cents membres du service d’ordre national des Insoumis n’ont aucun plan comparable. Ils sont exclusivement voués à la tranquillité de nos réunions et à la sécurité rapprochée de nos porte-paroles.
Mais l’auto-organisation ouvrière—la construction d’organisations de lutte de base, totalement en dehors du système politique existant—ne se fera qu’à travers une âpre lutte. Par la voix de son dirigeant, LFI déclare qu’elle ne mènera pas cette lutte. Ceci reflète aussi l’optique de diverses formations petite-bourgeoises qui ont soutenu le Nouveau Front populaire de LFI avec les sociaux-démocrates, Verts et staliniens. Tous ces partis appellent à faire pression sur les directions syndicales pour qu’elles leur fournissent un «plan de bataille».
Les éléments les plus dévoués et les plus combatifs parmi les travailleurs et la jeunesse doivent donc emprunter une voie indépendante, luttant pour bâtir l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (International Workers Alliance of Rank and File Committees, IWA-RFC) au sein de la classe ouvrière. L’organisation politique quil faut bâtir en France pour fournir une direction à cette lutte n’est pas LFI, mais le Parti de l’égalité socialiste, la section française du Comité international de la IVe Internationale.