Aux élections municipales en Rhénanie-du-Nord–Westphalie, le Land le plus peuplé d’Allemagne, le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a pu exploiter la colère et la frustration suscitées par des décennies de politiques menées par les partis traditionnels, triplant presque sa part de voix. Dans certaines régions de l’ancien cœur industriel de la Ruhr, il est désormais le premier parti.
Le scrutin de dimanche était le premier vote d’envergure depuis les élections fédérales de février, et était donc perçu comme un test de l’état d’esprit politique du pays. Sur environ 13,7 millions d’électeurs inscrits, 56,8 % ont voté. Le taux de participation le plus élevé pour des élections municipales en Rhénanie-du-Nord–Westphalie depuis 1994, année où les élections fédérales avaient eu lieu en même temps.
L’Union chrétienne-démocrate (CDU) est parvenue à rester le premier parti à l’échelle du Land avec 33,3 %, mais de justesse, reculant de 1 point par rapport aux dernières élections municipales de 2020. Le Parti social-démocrate (SPD) a encore perdu 2,2 points par rapport à son résultat déjà médiocre d’il y a cinq ans. Dans son bastion traditionnel – souvent qualifié de «cœur battant» du SPD – il n’a obtenu que 22,1 %. L’AfD a presque triplé sa part de voix, atteignant 14,5 % (+9,4 points).
Les deux partis actuellement au pouvoir en Allemagne (CDU et SPD) ont enregistré leurs pires résultats à des élections municipales en Rhénanie-du-Nord–Westphalie depuis la fondation du Land en 1946. Les Verts ont également subi de lourdes pertes, ne recueillant que 13,5 % (-6,5 points), tandis que le Parti libéral-démocrate (FDP) a sombré dans l’insignifiance avec 3,7 % (-1,9 point).
Ce résultat est la conséquence directe de la dévastation sociale provoquée par ces partis au cours des trois à quatre dernières décennies, en particulier dans la région de la Ruhr, et qui s’est récemment accélérée. Au niveau national, le précédent gouvernement SPD–Verts–FDP dirigé par le chancelier Olaf Scholz (SPD) avait proclamé une «nouvelle ère» en 2021, injecté 100 milliards d’euros dans le réarmement et la guerre, et fait payer cette politique aux travailleurs par des coupes dans la protection sociale, dans les infrastructures publiques, par des licenciements et des baisses de salaires. Le gouvernement actuel, dirigé par Friedrich Merz (CDU) et Lars Klingbeil (SPD), a décidé de répondre à l’aggravation de la crise capitaliste et à l’élection de Donald Trump aux États-Unis en intensifiant cette redistribution des richesses vers le haut.
Mille milliards d'euros vont être consacrés à la guerre et au réarmement. Les attaques sociales qui en découleront seront immenses, frappant des services déjà ravagés, notamment dans la Ruhr: piscines et bibliothèques fermées, manque de places dans les crèches, système de santé vidé de sa substance, institutions culturelles démantelées, et services municipaux réduits. Le délabrement de nombreuses villes, en particulier dans les grandes agglomérations le long du Rhin et de la Ruhr, va encore s’aggraver.
L’AfD exploite cette politique et la frustration qu’elle a engendrée au sein d’une partie de la classe ouvrière. Pendant des décennies, la domination des industries minières et sidérurgiques dans la Ruhr allait de pair avec celle du SPD. Avec le déclin du charbon et de l’acier, les villes se sont appauvries, et le SPD a imposé des coupes massives au niveau local. Le taux de chômage et celui de la pauvreté sont aujourd’hui les plus élevés du pays.
Dimanche, à Gelsenkirchen, l’AfD a recueilli 29,9 % des voix, juste derrière le SPD (30,4 %), et son candidat participera au second tour pour la mairie. À Duisbourg, le parti d’extrême droite a obtenu 21,2 % ; à Hagen, 22,4 % (là aussi, l’AfD accède aux seconds tours). Dans certains bureaux de vote, l’AfD a remporté plus de la moitié des suffrages – par exemple à Duisbourg-Obermeiderich (59 % avec une participation de 21,4 %) et à Gelsenkirchen-Scholven (53,6 % avec une participation de 34 %).
La montée de l’AfD a deux causes principales. Premièrement, elle est consciemment encouragée par la classe dirigeante. Les attaques historiques contre l’emploi, les salaires et la protection sociale, ainsi que la préparation à la guerre commerciale et militaire, ne peuvent être mises en œuvre par des moyens démocratiques. Comme aux États-Unis, où l’administration Trump construit une dictature fasciste, on pose dans chaque pays les fondements de gouvernements autoritaires.
En Allemagne, l’AfD est issue des franges néolibérales et réactionnaires de la CDU, du FDP et de leur entourage, et a été progressivement intégrée au système politique officiel. Le prétendu «cordon sanitaire contre l’extrême droite» n’est que pur bavardage. L’AfD siège dans toutes les commissions parlementaires, en préside plusieurs, et collabore étroitement avec les partis de l’establishment. Au parlement, avant les élections législatives, Merz a lui-même scellé un pacte contre les migrants avec l’AfD. Par ailleurs, une faction croissante au sein de la CDU appelle ouvertement à une coalition avec le parti d’extrême droite.
De plus, la politique de l’AfD est mise en œuvre par l’ensemble des partis au niveau fédéral, régional et municipal. Tandis que le gouvernement fédéral CDU-SPD démantèle le droit d’asile, instaure des contrôles aux frontières et supprime les droits sociaux et démocratiques des migrants, le gouvernement régional CDU-Verts de Rhénanie-du-Nord–Westphalie multiplie les campagnes de loi et d’ordre. Tout récemment, le ministre de l’Intérieur Herbert Reul (CDU) a annoncé que les statistiques criminelles incluraient désormais la nationalité de tous les suspects, et non plus seulement celle des ressortissants allemands. L’AfD a applaudi. Le maire SPD de Duisbourg, Sören Link, est quant à lui tristement célèbre pour ses propos anti-migrants, ouvrant ainsi la voie à l’AfD.
Alors qu’elle canalise la colère et le désespoir dans des slogans xénophobes et racistes, l’AfD défend un programme explicitement fasciste. Elle se positionne pour imposer brutalement la guerre et les coupes sociales face à une résistance croissante, afin de protéger les profits des grandes entreprises et la richesse des élites, au détriment de la classe ouvrière. Ce n’est pas un hasard qu’Elon Musk, le deuxième homme le plus riche du monde, soutienne les partis d’extrême droite et fascistes comme l’AfD.
La deuxième cause principale de la montée de l’AfD est le SPD, qui a depuis longtemps rompu tout lien avec la classe ouvrière. Le SPD est rempli de carriéristes, d’opportunistes et d’apparatchiks qui organisent les attaques contre la population. Ils ne peuvent agir ainsi que parce qu’ils sont étroitement liés aux syndicats. Tandis que le SPD impose sans relâche des coupes sociales dans les villes de la Ruhr, chaque fermeture d’usine et chaque accord supprimant des milliers d’emplois industriels porte la signature d’un responsable syndical – généralement issu d’IG Metall ou de l’IG BCE (mines, chimie, énergie). Au cours des 50 dernières années, depuis 1975, les 200 000 emplois restants dans le charbon et les 400 000 dans la sidérurgie ont été éliminés rien que dans la Ruhr. Aujourd’hui, près de 10 000 postes supplémentaires chez Thyssenkrupp et HKM (Hüttenwerke Krupp Mannesmann) sont menacés – des suppressions déjà validées par IG Metall.
En soutenant chaque attaque contre les conditions de vie des travailleurs et en réprimant la lutte des classes, les syndicats créent les conditions dans lesquelles l’AfD peut prospérer.
En plus de cela, les partis et organisations qui prétendent parler au nom des travailleurs ou des «gens ordinaires» défendent l’appareil syndical et sa politique de dévastation. Cela vaut avant tout pour Die Linke (Parti de gauche) et pour le parti qui en est sorti, l’«Alliance Sahra Wagenknecht» (BSW). Partout où ils en ont l’occasion, ils soutiennent eux aussi la destruction des services sociaux menée par le SPD. De nombreux membres influents de Die Linke sont eux-mêmes des responsables syndicaux.
Il est urgent que la classe ouvrière se libère de l’emprise des syndicats et engage une véritable lutte pour défendre les emplois, les salaires et les droits sociaux. Cela affaiblirait rapidement l’extrême droite et transformerait fondamentalement la situation.
Mais pour cela, les travailleurs doivent s’organiser de manière indépendante dans des comités d’action de la base, dans les lieux de travail, les usines, les bureaux et les quartiers. Ils doivent s’unir quelque soit leur nationalité ou leur origine contre ceux qui dominent l’économie et la politique. Il faut utiliser toutes les ressources de la société dans l'intérêt de ceux qui les produisent – pour avoir de bon salaires, retraites, soins de santé, éducation et vie culturelle, et non pour faire la guerre et pour l’exploitation au profit des banques, des trusts, de leurs riches actionnaires et de leurs larbins politiques. C’est ce que défend le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste), la section allemande du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI).