Perspective

Derrière la réaction de l’administration Trump à l’assassinat de Charlie Kirk

La crise sociale qui alimente l’effondrement de la démocratie aux États-Unis

Un campement de sans-abri dans une rue du centre-ville de Los Angeles [AP Photo/Richard Vogel]

Au lendemain du meurtre de l'idéologue d'extrême droite Charlie Kirk, l'administration Trump a promis de « démanteler », « cibler » et « détruire » toute opposition politique nationale. Ces déclarations et actions hystériques et démentielles donnent l'impression d'un gouvernement et d'un appareil d'État complètement hors de contrôle. Mais derrière cette frénésie se cachent des processus plus profonds. Ce qui se passe n'est pas simplement une folie politique, mais un réalignement violent de la politique américaine dans des conditions où les intérêts fondamentaux de l'oligarchie capitaliste ne peuvent plus être conciliés avec les besoins et les aspirations de la société dans son ensemble.

Mardi, le World Socialist Web Site écrivait dans sa rubrique « Perspective » : «Les paroles et les actes de l'administration Trump ne peuvent être réduits à la personnalité fasciste de l'actuel occupant de la Maison-Blanche. En dernière analyse, Trump est le représentant d'une oligarchie capitaliste dont les politiques et les actions sont une réponse aux crises convergentes auxquelles est confronté le capitalisme américain. »

Que se passe-t-il en Amérique en dehors de la frénésie qui règne au sein de la superstructure politique, et qui l’alimente ? Sous la surface, les contradictions de classe fondamentales de ce que Léon Trotsky appelait «l'agonie du capitalisme » se manifestent.

L'inflation érode fortement le niveau de vie, tandis que les travailleurs et leurs familles sont accablés par des niveaux d'endettement records. Les premières vagues de coupes massives dans les programmes sociaux se font sentir, parallèlement au démantèlement accéléré de l'enseignement public. Dans le même temps, les conditions de travail dangereuses continuent de faire des victimes chaque jour, des milliers de travailleurs étant tués chaque année sur leur lieu de travail, dans ce qui s'apparente à un abattoir social.

La pandémie de COVID-19 en cours, totalement ignorée par les médias et l’establishment politique, continue de faire des victimes, alors même que les vestiges de l'infrastructure de santé publique sont démantelés et que les protections les plus élémentaires, y compris les vaccins, sont supprimées.

L'un des principaux porte-parole des grandes entreprises, le Wall Street Journal, a donné un aperçu de cette crise qui s'aggrave dans un article publié mercredi sur son site web sous le titre « L'économie à deux vitesses est de retour alors que les Américains à faibles revenus perdent du terrain ». L'article est publié dans l'édition papier du journal de jeudi sous le titre «L'économie américaine divergente se divise davantage ».

« Il existe actuellement deux économies aux États-Unis, et elles évoluent dans des directions différentes », commence le commentaire, soulignant que les Américains à revenus élevés « continuent de dépenser sans compter », tandis que pour la plupart des travailleurs, la croissance des salaires « s'est essoufflée ». L'article poursuit : « Ces travailleurs réduisent leurs dépenses et, dans certains cas, ont du mal à trouver un emploi. » Le chômage touche particulièrement les Afro-Américains et les jeunes, tandis que les prix de l'immobilier et les loyers montent en flèche.

« Le fossé entre riches et pauvres aux États-Unis peut sembler être une vieille histoire », reconnaît le Journal, mais « il se creuse à nouveau ». La croissance des salaires du tiers inférieur des travailleurs a été la plus faible en août depuis 2016, et ces travailleurs n'ont pu dépenser que 0,3 % de plus qu'il y a un an. Avec une inflation de près de 3 % et des prix de nombreux biens essentiels augmentant beaucoup plus rapidement, cela signifie une baisse de la consommation réelle.

Le fossé entre les familles de la classe ouvrière qui comptent chaque dollar et la vie confortable de la classe moyenne supérieure et des véritables riches n'a jamais été aussi grand. Le Journal cite un rapport de Moody's Analytics selon lequel les 10 % des ménages les plus riches représentent désormais une part plus importante que jamais des dépenses totales, soit 49,2 %, ou près de la moitié de toutes les dépenses, au deuxième trimestre de 2025.

La hausse du chômage est un facteur majeur de cette polarisation sociale. Le taux de chômage des jeunes diplômés a atteint 6,5 %, bien au-dessus du taux de 4,3 % pour l'ensemble des travailleurs. Le taux de chômage des travailleurs noirs est désormais de 7,5 %, contre 6,1 % il y a un an.

Plusieurs autres rapports publiés ce mois-ci documentent le fossé croissant entre la grande masse de la population, la classe ouvrière, et l'oligarchie financière qui contrôle les deux partis politiques, les grands médias et la vie économique dans son ensemble.

Selon la Fair Isaac Corporation (FICO), les cotes de crédit des emprunteurs ont baissé pour la deuxième année consécutive, 2024 affichant la plus forte baisse depuis 2009, année du krach de Wall Street. Les jeunes adultes (génération Z) ont enregistré la plus forte baisse, en partie à cause de la reprise des signalements de défauts de paiement sur les prêts étudiants, qui avaient été suspendus pendant les premières années de la pandémie de COVID.

« Les taux de défaut de paiement sur les prêts automobiles, les cartes de crédit et les prêts personnels ont atteint ou presque atteint leur plus haut niveau depuis 2009, pendant la Grande Récession, et correspondent davantage à une économie en récession qu'à une économie encore en expansion », observe le rapport de la FICO.

Un rapport de l'Institute for Policy Studies sur ce qu'il appelle les « Low-Wage 100 », c'est-à-dire les 100 entreprises du classement Fortune 500 qui versent les salaires moyens les plus bas à leurs employés, a révélé que la rémunération des PDG avait augmenté de 34,7 % entre 2019 et 2024, soit plus du double de l'augmentation de 16,3 % du salaire médian des employés, ce qui représente en réalité une baisse des salaires si l'on tient compte de l'inflation. Le PDG moyen des Low-Wage 100 a gagné 17,2 millions de dollars, soit 632 fois le salaire moyen des employés.

L'écart le plus important était de loin celui de Starbucks, avec une proportion stupéfiante de 6666 pour 1, le nouveau PDG Brian Niccol empochant 95,8 millions de dollars, contre un salaire médian de 14 674 dollars. Chez Lowe's, chaîne de magasins de bricolage et de matériaux de construction, l'entreprise a dépensé 46,6 milliards de dollars en rachats d'actions entre 2019 et 2024, soit environ trois fois le montant de sa masse salariale annuelle. Home Depot a dépensé 37,9 milliards de dollars en rachats d'actions, soit un million de fois son salaire médian de 35 196 dollars.

Au début du mois, deux oligarques du monde des affaires ont obtenu des rémunérations personnelles records. Le PDG de Tesla, Elon Musk, s'est vu attribuer plus de 900 milliards de dollars de gains « incitatifs » futurs liés au cours de l'action de l'entreprise. Et le PDG d'Oracle, Larry Ellison, a engrangé 100 milliards de dollars en une seule journée, profitant d'une hausse de 40 % du cours de l'action, dépassant temporairement Musk en tant qu'homme le plus riche du monde.

Cette inégalité colossale et en hausse est éclipsée par le spectre d'un défaut de paiement sur les marchés financiers, la dette des particuliers, des entreprises et des gouvernements atteignant des niveaux stratosphériques et la spéculation effrénée dans des véhicules d'investissement opaques ou sans valeur comme les cryptomonnaies. Un éditorial récent du Wall Street Journal sur l'effondrement de Tricolor, un concessionnaire automobile qui s'adresse aux jeunes travailleurs à faibles revenus et aux immigrants, a exprimé la crainte que les pressions exercées sur les emprunteurs à faibles revenus ne déclenchent un effondrement beaucoup plus large :

Un problème plus général du marché est que les prêteurs automobiles ont, ces dernières années, prolongé la durée des prêts afin de maintenir les mensualités à un niveau abordable. Éprouvés par des années d'inflation, les emprunteurs à faibles revenus prennent du retard dans leurs paiements et beaucoup sont en situation de surendettement. Ils doivent plus que ce qu'ils pourraient obtenir en échangeant ou en vendant leur voiture.

De nombreux jeunes ont emprunté pour acheter une voiture pendant la pandémie, alors qu'ils n'avaient pas à rembourser leur prêt étudiant. Aujourd'hui, ils ont du mal à rembourser les deux. Les défauts de paiement et les saisies de voitures se rapprochent des niveaux de la récession de 2009. Pourtant, les investisseurs continuent d'acheter des créances automobiles à risque.

Dans ces conditions, les politiques de l'administration Trump ont pris un caractère de plus en plus imprudent et incendiaire. Ses barrières tarifaires, adoptées et modifiées de manière apparemment aléatoire, dévastent le commerce mondial, moteur de la croissance économique mondiale. Sa politique étrangère encourage les conflits militaires à travers le monde, qui menacent de déboucher sur une troisième guerre mondiale menée avec des armes nucléaires.

Ce n'est là qu'un portrait partiel de la crise sociale aux États-Unis. Les conditions qui alimentent l'effondrement actuel n'ont pas été créées par Trump, mais son gouvernement, agissant au nom de l'oligarchie financière et des grandes entreprises, accélère considérablement des processus qui se développent depuis des décennies sous les administrations démocrates et républicaines. Ces mêmes processus s'expriment, sous différentes formes, dans tous les pays du monde.

Il est impossible de comprendre le virage violent vers la dictature dans la politique américaine en dehors de cette réalité sociale. Et il est impossible de s'opposer sérieusement à la dictature sans le développement d'un mouvement de masse de la classe ouvrière, dirigé contre la richesse de l'oligarchie et le système capitaliste sur lequel elle repose.

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