Perspective

La royauté célèbre l'oligarchie : deuxième visite d'État de Trump au Royaume-Uni

Tim Cook, PDG d'Apple (au premier plan), arrive à un banquet d'État au château de Windsor, en Angleterre, le 17 septembre 2025. [AP Photo]

La deuxième visite d'État du président américain Donald Trump en Grande-Bretagne a été un grotesque étalage de richesse, de pouvoir et de privilèges. La famille royale, l'armée et le gouvernement britanniques ont flatté l’aspirant dictateur et son entourage composé de représentants influents de l'oligarchie financière et patronale américaine.

Les fastes et le cérémonial du château de Windsor ont été conçus comme une démonstration de puissance de la part de l'aristocratie mondiale de nos jours, qui a utilisé le cadre offert par le roi Charles III et la reine Camilla pour afficher sa position de maîtresse du monde.

Trump et son épouse Melania ont eu droit, pendant deux jours, à une version féerique de la vie royale, avec des promenades en carrosse à travers le parc de Windsor – le plus ancien et le plus grand château habité du monde – et une visite de ses trésors historiques. Trump a déposé une gerbe sur la tombe de la reine Élisabeth II, dans la chapelle Saint-Georges, qui abrite le caveau d'Henri VIII.

Mais ce n'était là que prélude à l'événement principal : le banquet d'État organisé mercredi soir. Les 160 convives de ce dîner en grande pompe étaient assis à une table en acajou de 50 mètres de long, croulant sous le poids des ornements d'or, d'argent et de cristal, de la vaisselle et des couverts, ainsi que d'une composition florale digne d'un jardin botanique.

Il a fallu une semaine pour dresser la table à elle seule. Le service était organisé en 19 postes, chacun avec un page, un valet de pied, un second maître d'hôtel et un sommelier.

Charles, Camilla et le prince et la princesse de Galles ont été rejoints pour accueillir Trump par le Premier ministre travailliste Keir Starmer et son épouse Victoria, le chef du Parti conservateur Kemi Badenoch, le ministre des Affaires étrangères David Lammy et la ministre de l'Intérieur Yvette Cooper.

Sur la liste des invités dominait toutefois la propre suite d'oligarques de Trump: les magnats de la technologie Jensen Huang de Nvidia, Tim Cook d'Apple, Sam Altman d'Open AI, Satya Nadella de Microsoft, Alex Karp de Palantir, Rene Haas d'Arm Holdings et Ruth Porat d'Alphabet. S’y trouvait encore les financiers Steve Schwarzman de Blackstone, Jane Fraser de Citigroup, Larry Fink de BlackRock et Brian Moynihan de Bank of America.

Parmi les autres milliardaires et multimillionnaires invités figuraient le magnat des médias Rupert Murdoch, James Taiclet de Lockheed Martin, Leon Topalian de Nucor Steel, Kelly Ortberg de Boeing et Marc Benioff de Salesforce.

Du côté des entreprises britanniques, Pascal Soriot d'AstraZeneca, Emma Walmsley de GSK, Tufan Erginbilgiç de Rolls Royce, Paula Reynolds de National Grid plc et Charles Woodburn de BAE Systems firent une apparition.

Pour donner une idée de leur degré de richesse, la fortune personnelle cumulée de deux dizaines des personnes les plus riches présentes s'élevait à 274 milliards de dollars. Le montant moyen par personne, soit 11,4 milliards de dollars, représente plus de 67 000 fois la fortune médiane du citoyen lambda britannique. À elles toutes, elles représentaient des entreprises dont la capitalisation boursière s'élevait à 17 700 milliards de dollars, soit plus que la valeur cumulée de toutes les sociétés cotées en bourse au Royaume-Uni.

La famille royale était pauvre comparée au niveau de ses invités, représentant à peine un tiers de pour cent de la fortune personnelle de ces deux dizaines de personnes. Mais ce qu'elle apportait, c'était l'«Histoire»: une tradition de siècles de règne et de luxe, que la nouvelle aristocratie financière et patronale trouve extrêmement attrayante.

C’est ce qui a animé les chaleureux souvenirs de Trump de ses racines britanniques à travers sa mère écossaise – une royaliste convaincue – et son sentiment que le Royaume-Uni était le seul pays, outre les États-Unis, pour lequel il ressentait une attirance affective.

Le roi Charles a également prononcé un discours flatteur, commençant par décrire la guerre d'Indépendance, au cours de laquelle l'Amérique s'est libérée de la domination coloniale britannique, comme un tragique malentendu. Se vantant du chemin parcouru depuis la Déclaration d'Indépendance, qui aura 250 ans l'année prochaine, il a salué «une relation entre nos deux pays que ni Washington ni le roi George III n'auraient pu imaginer».

Trump cherche actuellement à revenir en arrière de plusieurs siècles, en éliminant tous les acquis démocratiques et sociaux obtenus grâce à la révolution de 1776 et à la guerre civile menée pour abolir l’esclavage, se plaignant récemment de ce qu’une élite «hors de contrôle» et «woke (bien-pensante) » était obsédée à dire «à quel point l’esclavage était mauvais».

Trump serait tout à fait d'accord pour dire que se débarrasser de la monarchie aurait aussi pu être une terrible erreur, préférant peut-être une double monarchie, sur le modèle de l'Empire austro-hongrois, transatlantique. Son affinité avec les monarques d'antan est telle que les manifestations de masse contre Trump aux États-Unis ont été organisées sous le mot d’ordre « No Kings (Pas de rois) ».

La représentation donnée au château de Windsor constituait un rejet ouvert de ce profond sentiment démocratique. Le partage du pain de Trump avec l'aristocratie britannique et l'oligarchie anglo-américaine, en présence de l'un des plus anciens partis sociaux-démocrates d'Europe, est un moment symbolique de la décomposition politique – une réunion de tout ce qui est pourri dans l'histoire humaine.

Tandis que la classe dirigeante britannique enviait la place de l'impérialisme américain comme puissance hégémonique mondiale, après les décennies de déclin économique et géopolitique du Royaume-Uni, la classe dirigeante américaine elle, se souvient avec tendresse de ses traditions d'arrogance et d'impunité aristocratiques, ainsi que de l'exemple rapace et sanguinaire de l'Empire britannique. Leur soif de pouvoir et de richesse les unit.

Il était donc tout à fait approprié que la visite d’État de Trump se conclue par l’accord d’investissement de 250 milliards de dollars entre les États-Unis et le Royaume-Uni, devant un public choisi de grands patrons se léchant les babines

Starmer a affirmé que c'était la preuve de ce qu’il «tenait ses promesses» pour le Royaume-Uni. Mais les travailleurs et les jeunes, s’ils ont suivi l'affaire, auront vu radicalement autre chose.

Ce qu’on a pu voir ces deux derniers jours, près de 162 ans après qu'Abraham Lincoln eut résumé le principe démocratique au cœur de la guerre de Sécession, était son absolu contraire : un gouvernement de l'oligarchie, par l'oligarchie, pour l'oligarchie. Ou, comme le voudrait la devise de la monarchie britannique, « Dieu et mon droit ».

Ces conditions confèrent aux rapports sociaux un caractère explosif. Dans tous les pays du monde, le règne d'une classe dirigeante parasitaire, sa monopolisation de la richesse sociale, engendre un désastre social.

Les guerres et les génocides se déroulent dans le contexte du vol sans précédent de richesses de la classe ouvrière qui les produit, par les riches qui en jouissent, entraînant ce que Karl Marx décrit comme «l’accumulation de richesse à un pôle » qui « signifie donc en même temps à l’autre pôle une accumulation de misère, de torture à la tâche, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité et de dégradation morale ».

Rien de tout cela n'est compatible avec la démocratie. L'instauration d'une dictature présidentielle par Trump aux États-Unis trouve un écho en Grande-Bretagne dans l'attaque sans précédent du gouvernement travailliste contre les droits démocratiques, notamment l'arrestation de milliers de personnes pour avoir défendu le droit de manifester et s'être opposées au génocide en cours à Gaza.

Ces réalités politiques soulignent l’impuissance de toutes ces tendances pseudo de gauche qui gravitent autour de l’ancien leader travailliste Jeremy Corbyn au Royaume-Uni et qui prétendent que la classe ouvrière doit à présent former un parti basé sur les vieux remèdes réformistes et nationaux du Labour comme alternative au gouvernement Starmer.

Prétendre qu'on peut s'opposer à cette offensive capitaliste brutale par un engagement en faveur de la « bienveillance », de l'« équité » et des appels à des réformes mineures désarme les travailleurs et les jeunes face à la réalité politique. La lutte contre le régime oligarchique ne peut se mener qu’à travers la mobilisation politique systématique de la classe ouvrière autour d'un programme socialiste international.

Trump et le roi Charles crachent sur l'héritage révolutionnaire de la guerre d'Indépendance américaine au nom de l'unité transatlantique. Mais c'est la révolution socialiste, menée par la classe ouvrière britannique et américaine contre leurs oppresseurs communs, qui réunira véritablement les destins des deux peuples.

(Article paru en anglais le 19 septembre 2025)

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