Procès pour trahison du vice-président du Soudan du Sud: la menace d’une reprise de la guerre civile

Lundi s’est ouvert le procès pour trahison du Premier vice-président Riek Machar. Il intervient après un week-end sanglant au cours duquel au moins 48 personnes ont été tuées et plus de 150 blessées lors d’affrontements entre forces gouvernementales et combattants d’opposition fidèles à Machar, dans la ville frontalière de Burebiey, dans le nord-est du pays.

Selon des responsables de l’État, les forces de Machar, issues du Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM-IO), dans l’opposition, ont attaqué une base gouvernementale mais ont été repoussées par les Forces de défense du peuple du Soudan du Sud.

Le vice-président du Soudan du Sud, Riek Machar, dans son bureau, 30 juin 2012 [Photo: Hannah McNeish - VOA]

Le SPLM-IO, né à la suite des massacres de civils nuer à Juba en décembre 2013, est le mouvement armé et politique représentant le noyau dur du pouvoir de Machar. Bien qu’intégré formellement au « gouvernement d’unité » de 2018, le SPLM-IO continue de fonctionner comme une force politico-militaire parallèle.

La semaine dernière, sa direction a publié un communiqué appelant à un « changement de régime», accusant le président Salva Kiir d’avoir transformé le Soudan du Sud en dictature après la révocation de Machar et son inculpation pour trahison à la suite d’une attaque présumée à Nasir, en mars, qui aurait fait plus de 250 morts parmi les soldats. Peu après, Machar a été suspendu de ses fonctions de vice-président et placé en résidence surveillée à Juba. Le SPLM/IO a dénoncé des accusations « fabriquées ».

Nasir, à la frontière éthiopienne, constitue un bastion stratégique pour les partisans nuer de Machar. Les Nuer, deuxième groupe ethnique du pays après les Dinka, représentent une part importante de la population de l’Upper Nile et du Jonglei. Traditionnellement pasteurs et éleveurs de bétail, les Nuer se sont heurtés à leurs voisins — en particulier les Dinka — pour l’accès aux pâturages, des conflits exacerbés par la politique coloniale du « diviser pour régner » et par les élites de l’après-indépendance.

En 1991, Machar a rompu avec le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) de John Garang à Nasir, créant sa propre faction et plongeant le mouvement dans une guerre fratricide qui a fait des milliers de morts, dont le massacre de Bor, au cours duquel environ 2 000 Dinka ont été tués.

Le président Salva Kiir s’est largement appuyé sur les combattants issus de sa base dinka, le plus grand groupe ethnique du pays. Ces forces formaient l’épine dorsale de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA) puis, après l’indépendance, de l’armée nationale. Kiir s’est constamment reposé sur les milices et commandants dinka pour consolider son pouvoir, renforçant ainsi les divisions ethniques.

Le procès de Machar a brisé le fragile accord de paix de 2018, qui avait mis fin à cinq années de guerre civile ayant fait 400 000 morts, où le viol fut utilisé comme arme de guerre, la famine délibérément infligée, et plus de quatre millions de personnes déplacées. Il rappelle l’explosion du conflit en décembre 2013, lorsque le président Kiir avait limogé Machar de son poste de vice-président et renvoyé l’ensemble de son cabinet, concentrant entre ses mains des pouvoirs quasi dictatoriaux. En écartant Machar et d’autres représentants nuer du gouvernement, Kiir transforma une lutte politique pour le pouvoir en confrontation ethnique, déclenchant des massacres à Juba et plongeant le pays dans une guerre civile à grande échelle.

Le Soudan du Sud est né de l’Accord de paix global de 2005 entre le gouvernement soudanais d’Omar el-Béchir et le SPLM. Sous la pression des États-Unis, Khartoum accepta la tenue d’un référendum sur l’indépendance en 2011, au cours duquel 99 % des Sud-Soudanais votèrent pour la sécession. Les médias occidentaux saluèrent alors la « naissance de la liberté », tandis que le président américain Barack Obama y voyait « une étape inspirante dans le long chemin de l’Afrique vers la démocratie et la justice ».

Charles R. Snyder, représentant spécial des États-Unis pour le Soudan, informe la presse étrangère sur l’Accord de paix global à Washington, D.C., le 12 janvier 2005 [Photo: United States Department of State]

Le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) pabliste en France s’est joint à cet enthousiasme. Son spécialiste de l’Afrique, Paul Martial, a écrit que « le nouvel État risque d’être rapidement confronté à de terribles difficultés… mais la liberté retrouvée et la dynamique des révolutions dans les pays arabes peuvent changer beaucoup de choses ».

Le référendum fut l’aboutissement de décennies d’intrigues au cours desquelles Washington et ses alliés ont soutenu le SPLM comme force supplétive contre Khartoum. Comme en avertissait le WSWS en 2011, «le référendum n’a rien à voir avec l’autodétermination, la paix ou la démocratie. Il est dicté par les efforts des États-Unis pour obtenir un avantage stratégique face à la Chine, qui domine l’industrie pétrolière soudanaise». Son objectif était « la création d’un État fantoche… la séparation du Sud ne fera que perpétuer les conflits religieux et ethniques, avec pour issue la plus probable une reprise de la guerre ».

Deux ans plus tard, alors que le SPLM se fracturait et que le pays sombrait dans la guerre, le WSWS concluait: «la partition a produit un nouvel État non viable, dirigé par des factions rivales inféodées à l’une ou l’autre grande puissance, n’apportant que misère à tous, sauf à une infime couche à Juba ».

Depuis l’indépendance, l’élite sud-soudanaise a détourné des milliards. Une enquête des Nations unies, Plundering a Nation, a révélé que les revenus pétroliers — 25,2 milliards de dollars depuis 2011, dont 8 milliards depuis 2018 — ont été siphonnés dans des réseaux de clientélisme liés à Kiir et Machar. Les dépenses de santé en 2024 ne s’élevaient qu’à 7,9 millions de dollars pour 12 millions d’habitants, soit moins que le budget alloué à l’équipe nationale masculine de basketball, tandis que l’Unité médicale présidentielle, réservée à Kiir et à son entourage, recevait davantage que l’ensemble du système de santé national. Le PIB s’est effondré à un quart de son niveau d’avant l’indépendance.

Les conséquences sont catastrophiques. Le Soudan du Sud se classe avant-dernier en matière de couverture sanitaire mondiale. Un enfant sur dix meurt avant l’âge de cinq ans, dont les trois quarts de maladies évitables. La mortalité maternelle est la plus élevée au monde. L’espérance de vie stagne à 55 ans. Les deux tiers de la population sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë, dont 2,3 millions d’enfants souffrant de malnutrition sévère et 1,2 million de femmes. Des régions entières sont au bord de la famine.

Ce pillage est intrinsèque à l’État né du partage impérialiste. Une économie de rente, fondée sur le pétrole et l’aide étrangère, entretient une élite parasitaire dont la survie dépend du pillage et des factions armées.

La descente du Soudan du Sud dans la guerre civile s’inscrit dans une désintégration régionale plus large. Au nord, la guerre civile au Soudan, qui fait rage depuis deux ans, a tué des dizaines de milliers de personnes, déplacé 12 millions d’habitants à l’intérieur du pays et poussé 4 millions d’autres à l’exil.

En Éthiopie, la guerre de deux ans avec le Front populaire de libération du Tigré s’est terminée en 2022 après des centaines de milliers de morts et des déplacements massifs. Des affrontements armés persistent en Oromia et en Amhara, tandis que l’Égypte attise les tensions avec l’Éthiopie au sujet du Grand barrage de la Renaissance.

Grand barrage de la Renaissance [Photo: Prime Minister Office Ethiopia]

En Somalie, les insurgés d’Al Shabab poursuivent leur offensive, tandis que le Somaliland négocie avec l’Éthiopie pour un accès à la mer et avec Washington pour accueillir des Palestiniens expulsés de Gaza en échange d’une reconnaissance étatique.

Au sud, le Kenya a été secoué par des manifestations contre l’austérité et l’effondrement du niveau de vie, auxquelles le gouvernement a répondu par une répression meurtrière.

La catastrophe du Soudan du Sud est l’aboutissement de plus d’un siècle de prédation impérialiste et des trahisons commises par toutes les factions de la bourgeoisie nationale. La domination coloniale a concentré les ressources dans le nord, autour de Khartoum, tout en laissant le sud dans le sous-développement. Cela a jeté les bases du ressentiment et de deux guerres civiles désastreuses.

L’élite de Khartoum a oscillé entre des alliances avec Washington, Moscou et Pékin, mais l’État est resté un bastion de la domination capitaliste. Dans les années 1970, l’aide militaire américaine a afflué vers le Soudan pour contrer l’influence soviétique dans les pays voisins, l’Éthiopie et la Libye, avant que les relations ne s’effondrent dans les années 1980. Lorsque le président Nimeiry a imposé la loi islamique en 1983, déclenchant la Deuxième guerre civile soudanaise, Washington a transféré son soutien au Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM) et à son bras armé, l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA).

Bien que le SPLM ait employé une rhétorique socialiste, il s’agissait d’un mouvement nationaliste dirigé par John Garang, formé aux États-Unis, dont le programme se limitait à obtenir une part de la richesse pétrolière du Soudan pour une élite dans le sud. Soutenu par Washington, Tel-Aviv et Kampala, le SPLM a été armé et financé comme une force mandataire afin d’affaiblir Khartoum et de contrecarrer l’influence chinoise. Israël considérait le SPLM comme un élément de sa stratégie régionale visant à saper les États arabes hostiles et à sécuriser l’accès à la mer Rouge.

Alors que Pékin s’imposait comme principal partenaire économique du Soudan dans les années 1990 et 2000, contrôlant 75 % de la production pétrolière, Washington accéléra sa stratégie de partition du pays. La sécession de 2011 priva Khartoum des trois quarts de ses réserves de pétrole, laissant le nouvel État dépendant et non viable.

Le stalinisme a facilité ces trahisons. Le Parti communiste soudanais, autrefois l’un des plus puissants d’Afrique, a subordonné ouvriers et paysans à des alliances avec les nationalistes bourgeois, rejoignant le régime de Nimeiry en 1969 pour être anéanti l’année suivante. À travers l’Afrique, les partis soutenus par le stalinisme et le maoïsme se sont liés aux manœuvres de la bureaucratie soviétique et de Pékin, bloquant la révolution socialiste au nom d’une « révolution nationale démocratique » et ouvrant la voie à la domination impérialiste par le biais d’élites locales corrompues.

L’histoire du Soudan et du Soudan du Sud confirme le principe central de la théorie de la révolution permanente de Trotsky: dans les pays à développement capitaliste tardif, la bourgeoisie est incapable d’accomplir les tâches démocratiques ou nationales de libération. Liée à l’impérialisme, elle gouverne par la répression, la manipulation ethnique et le pillage. Seule la classe ouvrière, à la tête des masses opprimées, peut mener ces tâches dans le cadre de la lutte internationale pour le socialisme. La création de nouveaux États-nations sous le capitalisme ne fait qu’ouvrir la voie à des seigneurs de la guerre, à la kleptocratie et à la dépendance de l’impérialisme. Le destin sanglant du Soudan du Sud en est la démonstration tragique.

(Article paru en anglais le 23 septembre 2025)

Loading