Conférence de Jacobin sur « le socialisme à notre époque : la politique de la démoralisation au service du Parti démocrate

Conférence de Jacobin le 13 septembre 2025

Jacobin, principale publication liée aux Socialistes démocrates d'Amérique (initiales anglaises DSA), a organisé une conférence à New York le 13 septembre pour célébrer son 15e anniversaire, sur le thème « Le socialisme à notre époque ». Cet événement, qui a rassemblé environ 200 participants, a illustré le pessimisme, la démoralisation et la paralysie politique entretenus par les DSA pour remplir une fonction politique précise : canaliser l'opposition aux inégalités et à la guerre derrière le Parti démocrate, dont les DSA sont une faction.

Durant les dix heures de réunion, Jacobin n'a guère dressé de bilan de la situation politique aux États-Unis. Au lieu de clarifier l'ampleur de la crise ou d'esquisser une perspective de lutte, la conférence a cherché à cultiver la résignation et à réduire les attentes.

Jacobin sur la « stabilité extraordinaire » du capitalisme

La déconnexion entre la conférence et la crise politique et sociale aux États-Unis a été illustrée par une table ronde intitulée « Existe-t-il une voie social-démocrate vers le socialisme ? » Dans son discours d'ouverture, Paul Heideman, chroniqueur à Jacobin, a rejeté l'idée que les crises du capitalisme créent des opportunités de révolution socialiste par ces mots: « Il s'avère que la structure sociale du capitalisme n'est pas très instable. Elle est même plutôt stable. »

«Le capitalisme démocratique, en particulier, est un système social extraordinairement stable, considéré dans la longue histoire de l'humanité », a déclaré Heideman. «Un effondrement de l'État, tel que celui qui a été nécessaire à la Révolution russe et à la Révolution chinoise, est quasiment inédit dans les sociétés capitalistes démocratiques.»

La déclaration de Heidaman sur la «stabilité extraordinaire» du «capitalisme démocratique », qui ne fut pas contestée, intervenait alors que l’gouvernement Trump se préparait à exploiter le meurtre de Charlie Kirk afin de sanctifier un agitateur fasciste comme héros national, de criminaliser l’opposition et de démanteler les derniers vestiges de gouvernement constitutionnel.

Aucun des intervenants n’a parlé de ce que signifiait le gouvernement Trump – son déploiement de l’armée dans les villes américaines, sa campagne fasciste contre les immigrants et son rejet ouvert des limites constitutionnelles – ou des processus plus profonds entraînant l’effondrement du régime démocratique: des inégalités sans précédent, le déclin de la position mondiale de l’Amérique, une dette massive, la rupture des alliances d’après-guerre et l’accélération de la guerre, dont le génocide à Gaza et le conflit entre puissances nucléaires.

Dans ses pages, Jacobin dissimule constamment les actions du gouvernement Trump. Il n'a rien publié sur le rassemblement fasciste organisé le week-end dernier en mémoire de Kirk. Il faut nier la réalité de la dictature car Jacobin s'oppose de façon inconciliable à ce qui en découle : la nécessité d'une réponse révolutionnaire.

Pour les couches de la classe moyenne supérieure qui dominent Jacobin, l'impossibilité du socialisme, imprégnée d'une totale complaisance, est le fondement même de leur politique. Lors de la séance d'ouverture, Bhaskar Sunkara, cofondateur de Jacobin, a plaisanté en disant que lorsqu'il a rejoint les DSA, c'était comme si le mouvement avait disparu. Son mentor aux DSA, David Duhalde, a rappelé que la vision dominante était celle d'une « absence d'alternative au néolibéralisme ».

La croissance ultérieure des DSA, ont-ils expliqué, était en grande partie un «heureux accident» du fait que Bernie Sanders se soit qualifié de socialiste démocrate et ait presque remporté la nomination présidentielle démocrate en 2016, bien que Duhalde ait souligné que l'intégration des DSA dans la campagne de Sanders leur avait permis de tirer parti de l'opposition une fois Trump entré en fonction.

Lors d'une table ronde ultérieure, le rédacteur en chef de Jacobin, Micah Uetricht, a admis qu'il ne pouvait pas même imaginer que Zohran Mamdani, membre des DSA, remporte la primaire démocrate pour le poste de maire de New York, jusqu'au moment où Andrew Cuomo avait finalement concédé sa défaite.

L'expression la plus claire de la vision dominante ce jour-là est peut-être venue de Neal Meyer, journaliste à Jacobin et Left Notes, qui a déclaré à l'auditoire : « Je présente mes excuses aux organisateurs de la conférence pour leur titre très optimiste : ‘Le socialisme à notre époque’. Je pense que l'essentiel de ce que nous disons tous, c'est que le titre devrait plutôt être quelque chose comme : ‘Le socialisme à un moment donné dans le futur, point d'interrogation’. Nous n'aurions probablement pas eu autant de monde ici, mais cela aurait peut-être été plus honnête intellectuellement. »

Plus tard dans la discussion, Meyer est revenu sur le thème selon lequel le socialisme est un objectif lointain et inaccessible. «Nous ignorons combien de siècles nous séparent d'un ordre économique différent», a-t-il déclaré.

L'idée que des siècles seront nécessaires avant de réaliser le socialisme, si jamais il advient, n'a pas empêché Jacobin d'organiser une table ronde intitulée « Le projet : le socialisme après le capitalisme ». Ben Burgis, intervenant, a défendu l'élaboration de tels projets utopiques, même s'ils ne se concrétisaient jamais, comme un moyen de convaincre les citoyens de l'intérêt du socialisme. Pourtant, même dans cet exercice, les intervenants ne parvenaient pas à imaginer le socialisme au-delà du cadre de réformes mineures, s'appuyant sur les « outils que le keynésianisme nous a donnés ».

La combinaison de ces deux idées apparemment contradictoires – que le socialisme est hors de question dans un avenir proche et qu'il est néanmoins nécessaire d'élaborer un plan pour le socialisme – n'est pas propre à Jacobin et obéit à une logique bien définie. Le président du comité de rédaction international du WSWS, David North, dans une polémique écrite deux ans avant la fondation de Jacobin, expliquait :

La tâche du mouvement marxiste n'était pas d'encourager les travailleurs avec le mirage d'une utopie illusoire, mais plutôt de développer, au sein des sections avancées de la classe ouvrière, une compréhension scientifique de l'histoire comme processus régi par des lois, une connaissance du mode de production capitaliste et des rapports sociaux qu'il engendre, et une compréhension de la nature réelle de la crise actuelle et de ses implications historiques mondiales [...] Cette conception est combattue par ceux ‘‘qui ne voient aucun fondement au socialisme dans les conditions objectives créées par le capitalisme même, qui ont été démoralisés par l'expérience des défaites et des revers, et qui ne comprennent pas la nature de la crise capitaliste ni ne perçoivent le potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière...’’

Jacobin, qui a annoncé sa conférence avec une affiche de Karl Marx, est en réalité farouchement hostile au marxisme, en particulier à l'insistance de son fondateur pour que la classe ouvrière s'organise indépendamment de toute faction de la bourgeoisie. Pour Jacobin et les DSA, il n'y a pas de crise du capitalisme et donc pas de base objective pour le socialisme, et certainement pas de nécessité de mobiliser la classe ouvrière contre le Parti démocrate et la classe dirigeante.

La politique du Parti démocrate dans la campagne de Mamdani

Ce rôle de canaliser le sentiment de gauche pour le faire aller dans l’impasse du Parti démocrate a été le plus clairement exprimé dans l’atelier intitulé «Le socialisme municipal et ses limites: le moment Mamdani à New York».

Alors que Zohran Mamdani est sur le point de devenir maire de New York, en novembre, les DSA auront probablement l'un des leurs à la tête de la plus grande ville du pays et du centre du capital financier mondial. Mamdani a gagné des voix grâce à sa promesse de s'attaquer à la vie chère et à cause du rejet populaire de l'establishment démocrate pro-grand patronat et de sa capitulation face à Trump. Mais depuis son investiture démocrate en juin, il a tout fait pour rassurer la direction du parti et l'élite du monde des affaires et de la finance sur la confiance qu'on peut lui accorder pour servir leurs intérêts – un signe clair de ce qui va se produire en janvier et après.

La prémisse non formulée du panel Jacobin était l'acceptation de la fraude centrale de la campagne de Mamdani selon laquelle le Parti démocrate pouvait être transformé en véhicule pour la classe ouvrière, tout en justifiant les capitulations de Mamdani sur la base de la supposée faiblesse de la gauche.

Eric Blanc, chroniqueur de Jacobin et universitaire dans le domaine des études sur le travail, a déclaré qu'idéalement, les DSA auraient passé des décennies à se constituer une base avant de prendre le pouvoir. Mais dans le contexte actuel, il s'agissait de « réorganiser un mouvement de masse », Mamdani donnant l'impulsion à un tel mouvement, ce qui donnerait à celui-ci la marge de manœuvre politique nécessaire pour mettre en œuvre son programme.

L'objectif d'une telle mobilisation, a déclaré Blanc, serait de faire pression sur l'establishment du Parti démocrate: «À moins qu'ils ne craignent d'être évincés du pouvoir, ils ne mettront pas en œuvre ces politiques et ne voteront pas sur son programme [celui de Mamdani]».

La nécessité de contenir l'opposition grandissante a été un thème récurrent lors du panel, soulignant le rôle politique perfide de Jacobin. Uetricht a déclaré: «Nous avons besoin d'une gauche suffisamment mature pour ne pas s'en prendre à Mamdani» après les élections. Karen Narefsky, directrice de cabinet de Phara Souffrant Forrest, députée de l'État de New York et membre des DSA, a souligné qu’il était « impératif pour nous de trouver comment gérer les conflits et les tensions majeurs entre nos élus et des organisations comme les DSA.» Elle a ajouté: «La réponse ne peut pas se résumer à poster des insultes sur Twitter. Ça ne marche pas. Nous ne pouvons pas gâcher cette occasion.»

Les DSA et Jacobin s'efforcent délibérément d'empêcher les travailleurs et les jeunes de tirer les conclusions politiques nécessaires. Ils insistent pour dire qu'il n'y a pas de rupture viable avec Parti démocrate, même si, selon Narefsky, l'échec de Mamdani était une «question existentielle» pour l'establishment du parti. Pour les Démocrates, le rôle de Mamdani est de canaliser l'opposition derrière le Parti démocrate; Jacobin et les DSA présentent cela comme la preuve qu'il existe encore une « place » pour une lutte politique au sein du parti.

Il s'agit là d'une fraude totale qu'il faut rejeter. Le programme de Jacobin est taillé sur mesure pour servir les intérêts de la classe moyenne supérieure aisée. Son objectif est d'enchaîner les travailleurs et la jeunesse au Parti démocrate, de paralyser l'opposition et d'empêcher que se développe une véritable lutte contre le capitalisme et la dictature.

Comme le soulignait la déclaration du Parti de l'égalité socialiste samedi dernier : « Les démocrates, les syndicats et les médias cultivent le mythe d'un gouvernement tout-puissant tout en insistant pour dire que rien ne peut être fait. C'est un mensonge. Ce qui manque, ce n'est pas une opposition de masse, mais bien plutôt une stratégie politique pour guider et organiser la lutte contre l'attaque de Trump sur les droits démocratiques. [...] Notre programme ne s'adresse pas aux pessimistes, aux sceptiques et aux démoralisés, mais aux militants parmi les travailleurs, les étudiants, les jeunes, les professionnels, les artistes et les intellectuels. Il n'y a pas de temps à perdre. »

(Article paru en anglais le 25 septembre 2025)

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