Une intervention publique de l’ancien Premier ministre du Québec, Lucien Bouchard, a ravivé un débat au sein du mouvement indépendantiste québécois sur l’opportunité de tenir à court terme un nouveau référendum sur la séparation de la province d’avec le Canada.
Au cours d’une entrevue accordée récemment à Radio-Canada, Bouchard a demandé au chef du Parti québécois (PQ), Paul St-Pierre Plamondon, de reconsidérer sa promesse de tenir un tel référendum d’ici 2030 si le PQ, qui mène actuellement dans les sondages, devait gagner la prochaine élection provinciale prévue à l’automne 2026.
Le PQ est le parti de la grande entreprise historiquement associé au projet d’indépendance du Québec. Lors de la course à la chefferie du parti en 2020, St-Pierre Plamondon a rallié les factions indépendantistes pures et dures, recrutées surtout parmi les éléments ultra-nationalistes des classes moyennes, en s’engageant à tenir un référendum dès son premier mandat s’il était élu Premier ministre.
Ce débat survient à un moment où d’importantes sections de l’establishment ont perdu confiance dans la capacité de l’actuel gouvernement de la CAQ (Coalition Avenir Québec) de François Legault à imposer une nouvelle vague d’austérité capitaliste et à préserver les intérêts du Québec inc. dans un contexte de crise dans les relations canado-américaines et de tensions accrues au sein de l’État fédéral canadien.
Ces sections tournent leur regard vers le PQ, qui rivalise avec la CAQ sur le terrain du chauvinisme anti-immigrants, comme une alternative viable pour réaliser leur programme de guerre de classe contre les travailleurs.
De plus, l’insatisfaction généralisée à l’égard de la CAQ et de ses politiques propatronales dans le grand public a permis au PQ de remporter une 3e élection partielle consécutive le 11 août dernier dans la circonscription d’Arthabaska-L’Érable.
Bouchard est un ancien Premier ministre péquiste (1996 à 2001) et un membre éminent du mouvement indépendantiste. Avec Jacques Parizeau, il a dirigé la campagne pour le «oui» lors du référendum sur la séparation du Québec de 1995 à titre de chef du Bloc québécois (BQ), le parti frère du PQ au niveau fédéral. Il est largement connu pour ses liens très étroits avec la grande entreprise.
Son intervention exprime des divergences de vues dans les cercles souverainistes sur la meilleure stratégie à adopter pour faire avancer leur cause. Ces divergences sont attisées par la réelle possibilité d’un retour au pouvoir du PQ.
La situation politique est explosive et les allégeances de l’électorat peuvent changer très rapidement. Certaines sections du mouvement indépendantiste craignent donc que l’intention de tenir un référendum sur l’indépendance du Québec coûte des votes au PQ, voire lui fasse perdre la prochaine élection.
Elles redoutent également, en pleine promotion hystérique du nationalisme canadien par Ottawa en réponse à la menace d’annexion du Canada et à la guerre commerciale déclenchée par le président américain Donald Trump, que le moment ne soit pas propice pour parler de souveraineté du Québec.
Elles recommandent ainsi la prudence de peur qu’une défaite du «oui» dans un éventuel référendum, un troisième après ceux de 1980 et de 1995, porte un coup potentiellement mortel au mouvement souverainiste québécois.
Des éléments plus ouvertement à droite sont, au contraire, d’avis que c’est «maintenant ou jamais» pour l’indépendance du Québec et font pression sur St-Pierre Plamondon pour qu’il maintienne sa promesse.
Ces éléments, exemplifiés par le chroniqueur aux vues fascistes Mathieu Bock-Côté du tabloïd ultranationaliste le Journal de Montréal, avancent une version québécoise de la théorie d’extrême droite du «Grand remplacement» selon laquelle la «nation» québécoise est sur le point de disparaitre en raison de l’immigration massive orchestrée par le gouvernement fédéral pour noyer les Québécois francophones dans une mer d’immigrants anglophones ou anglophiles sans attachement à la «culture québécoise» qui n’auraient aucun intérêt à voter pour l’indépendance.
Pour l’instant, St-Pierre Plamondon maintient le cap et réitère sa promesse de tenir un référendum s’il est élu Premier ministre. Cette position est le fruit de calculs électoraux, mais aussi de la sympathie du chef du PQ pour ces idées d’extrême droite, St-Pierre Plamondon ayant lui-même accusé le gouvernement fédéral d’ourdir un complot pour faire disparaitre le «peuple québécois» à l’aide de l’immigration.
Internationalisme contre nationalisme québécois ou canadien
Les travailleurs conscients doivent rejeter le programme réactionnaire du séparatisme québécois. Il est promu par des sections de la classe dirigeante au Québec qui voient la création d’un nouvel État capitaliste-impérialiste en Amérique du Nord comme une façon de mieux se positionner dans la lutte mondiale pour les marchés et les profits.
De leur point de vue, contrairement à l’État fédéral canadien qui doit concilier les demandes venant d’autres régions comme l’Ontario ou l’Ouest, un Québec indépendant serait exclusivement dédié aux intérêts de la bourgeoisie québécoise.
La séparation du Québec résulterait en l’érection d’une nouvelle structure politique et barrière étatique pour diviser encore plus les travailleurs québécois de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada et du monde.
En mettant en garde les travailleurs et les jeunes contre le piège indépendantiste, nous ne faisons aucune concession aux forces fédéralistes qui s’opposent à l’indépendance du Québec sur une base tout aussi réactionnaire que le projet séparatiste lui-même.
Ces sections fédéralistes des classes dirigeantes canadienne et québécoise s’opposent à l’indépendance du Québec dans l’objectif de protéger l’État capitaliste fédéral canadien.
Elles craignent que la séparation de la deuxième province la plus populeuse du Canada porte un dur coup à l’impérialisme canadien et mette en péril leur capacité à faire valoir leurs intérêts prédateurs sur la scène mondiale. Et ce, dans un contexte de luttes féroces parmi les puissances impérialistes pour une nouvelle division du monde qui prennent de plus en plus la forme d’une guerre à l’échelle mondiale.
L'opposition au séparatisme découle, au contraire, de la nécessité pour les travailleurs de rejeter toutes les formes de nationalisme – canadien ou québécois, favorable à un Québec indépendant ou à l’État fédéral canadien – dans le cadre d’une lutte politique pour l’unité de la classe ouvrière canadienne fondée sur une perspective socialiste internationaliste.
Cette perspective est elle-même basée sur une réalité objective, à savoir que la crise de l’État-nation canadien tire sa source dans la contradiction entre la mondialisation de la production et le système dépassé des États-nations.
La seule résolution progressiste de cette contradiction consiste à abattre les barrières artificielles des États-nations – et non à en ériger de nouvelles! C’est ce qui peut garantir un développement harmonieux et planifié de l’économie mondiale pour satisfaire les besoins sociaux des masses.
Comment expliquer la montée du PQ dans les sondages
Depuis 2020, des grèves successives ont éclaté au Québec et à travers le Canada face aux attaques patronales sur les conditions de travail et les droits démocratiques, tandis que des dizaines de milliers d’étudiants ont manifesté et protesté contre le génocide des Palestiniens de Gaza par l’État israélien avec le soutien de Washington et Ottawa.
L’opposition à l’austérité et à l’agression néo-coloniale grandit rapidement parmi les travailleurs et les jeunes. Mais ce sentiment de révolte est politiquement étouffé par les syndicats pro-capitalistes qui, avec la complicité du NPD social-démocrate et des formations nationalistes comme Québec solidaire, ont isolé et saboté une grève après l’autre, tout en appuyant le gouvernement fédéral libéral de droite.
Ne trouvant pas d’expression à gauche, la colère de la classe ouvrière et le ras-le-bol généralisé – notamment dans la jeunesse et parmi les couches opprimées des classes moyennes – sont politiquement récupérés par le PQ qui les oriente vers la droite et vers son programme réactionnaire pour l’indépendance du Québec.
Pour faciliter cette récupération, le projet d’une république du Québec est parfois enrobé de démagogie sociale en étant dépeint comme une «rupture» avec l’ordre constitutionnel existant et le statu quo. En réalité, un retraçage des frontières en Amérique du Nord laisserait l’ordre social capitaliste entièrement intact. Son seul but véritable serait d’améliorer la position de la bourgeoisie québécoise aux dépens de ses rivales et surtout de la classe ouvrière.
La trajectoire du PQ : toujours plus vers la droite
Dans ses premières années d’existence, de la fin des années 60 à l’élection du premier gouvernement péquiste en 1976, le PQ se présentait comme un véhicule pour le progrès social (sous sa formule ambiguë de «projet de société»).
Cependant, les politiques d’austérité imposées par le PQ au début des années 80 sous le second mandat de René Lévesque, puis les profondes coupes sociales des gouvernements Bouchard-Landry de 1996 à 2003 au nom du «déficit zéro», ont fait voler en éclat le mythe que l’indépendance du Québec permettrait de construire un État-providence plus généreux.
Pendant toute cette période, les indépendantistes québécois ont tenu un double discours. D’une part, ils cherchaient à vendre leurs idées séparatistes aux travailleurs en déclarant qu’avec l’indépendance «tout est possible». D’autre part, ils tenaient à rassurer la classe dirigeante que l’indépendance du Québec ne mettrait pas en péril ses privilèges et ne changerait rien aux conditions socio-économiques ou géopolitiques (le Québec serait membre de l’OTAN par exemple).
Lors du référendum de 1995 sur la séparation du Québec, le PQ se présentait comme un «rempart contre le vent de droite» venu supposément du «Canada anglais». Mais après la défaite du Oui et avec le plein appui des centrales syndicales, le PQ mettait la hache dans les réseaux de la santé et de l’éducation dans le but avoué de réunir les «conditions gagnantes» pour un prochain référendum.
Cela a entrainé une massive érosion de son soutien parmi les travailleurs et la population en général. La réponse du PQ a été de se tourner vers un chauvinisme québécois plus explicite tout en exigeant des coupes encore plus féroces dans ce qui reste des services publics.
Après que le PQ a failli être rayé de la carte politique aux dernières élections québécoises de 2022, ne faisant élire que 3 députés, son chef St-Pierre Plamondon a tiré la conclusion qu’un tournant vers la droite dure – et même l’extrême-droite – était nécessaire pour ranimer le projet indépendantiste.
Son discours politique est aujourd’hui un mélange toxique d’exclusivisme national, de chauvinisme extrême et d’agitation contre l’immigration et pour des mesures renforçant le statut privilégié de la langue française dans le domaine public. Le parti et son chef se livrent à de virulentes attaques contre les minorités religieuses (en particulier les musulmans) et accusent les immigrants d’être responsables de la crise du logement et de tous les maux sociaux et économiques.
En octobre 2024, le PQ a déposé son plan en matière d’immigration. Ce document propose de réduire drastiquement toutes les formes d’immigration. Présentant les immigrants comme une menace existentielle pour la «nation» québécoise, le PQ promet de contrôler les frontières en s’inspirant de la «Forteresse Europe» où des milliers de migrants meurent chaque année aux mains des brutales polices des frontières.
Critiquant le gouvernement fédéral de la droite, en l’accusant de permettre une immigration incontrôlée, le plan du PQ présente l’indépendance du Québec comme la seule façon de mettre en œuvre ses féroces politiques anti-immigrants. Autrement dit, le Québec devrait se séparer du Canada afin de pouvoir participer plus activement à la chasse aux sorcières fasciste contre les immigrants lancée par Donald Trump aux États-Unis et émulée ailleurs dans le monde.
St-Pierre Plamondon n’hésite pas non plus à s’associer aux forces les plus réactionnaires pour faire la promotion de l’indépendance du Québec. Après avoir accueilli avec enthousiasme une résurgence du mouvement indépendantiste albertain cultivée par la Première ministre ultra-droitière de l’Alberta Danielle Smith, le chef du PQ s’est déplacé à Calgary au début du mois de septembre pour y établir des liens avec les séparatistes albertains, réputés pour leurs positions d’extrême droite et leur sympathie envers Trump.
En matière de politique étrangère, St-Pierre Plamondon promet à la classe dirigeante que la république capitaliste du Québec, dont il serait le premier chef, serait pleinement complice des déprédations impérialistes du Canada et des États-Unis. Il a ainsi réaffirmé qu’elle serait dotée d’une armée et membre de l’OTAN et de NORAD (défense aérospatiale de l’Amérique du Nord).
Plamondon dénonce le gouvernement libéral fédéral pour des dépenses sociales «excessives» faisant gonfler le déficit. Il a affirmé que sa priorité économique serait de «rendre l’État plus efficace» en supprimant des milliers de postes de fonctionnaires, y compris en ne réengageant pas les fonctionnaires fédéraux qui travaillent au Québec (ce que le PQ avait jusqu’ici promis de faire en cas de séparation du Québec).
Pour rassurer la bourgeoisie qu’un gouvernement péquiste à la tête d’une république indépendante serait prêt à réprimer violemment toute tentative des travailleurs de s’opposer aux attaques propatronales, St-Pierre Plamondon a aussi annoncé l’embauche massive de nouveaux policiers dans le cadre d’un programme de «loi et ordre».
Guerre, austérité, chauvinisme et autoritarisme: voilà ce que le programme de l’indépendance du Québec réserve en réalité à la classe ouvrière.
La complicité des syndicats et de la pseudo-gauche nationaliste
Les forces soi-disant «progressistes» du mouvement indépendantiste jouent un rôle essentiel pour camoufler cette réalité et aider à la renaissance du PQ.
La bureaucratie syndicale nationaliste et procapitaliste supprime la lutte des classes et permet ainsi au discours ultra réactionnaire du PQ de trouver un certain accueil parmi les travailleurs et les jeunes qui sont en colère contre la misère sociale engendrée par la crise capitaliste.
Au même moment, elle cherche à renouer son alliance politique de longue date avec un PQ qui se tourne à grande vitesse vers la droite. La présidente de la FTQ (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec), Magalie Picard, a signalé que la plus grande centrale syndicale au Québec envisageait d’appuyer le PQ aux prochaines élections.
De son côté, Québec solidaire, un parti indépendantiste des classes moyennes aisées qui se prépare à rejoindre le camp du «oui» lors d’un éventuel référendum, s’efforce de donner un camouflage de gauche au PQ.
S’il soulève à l’occasion de timides critiques des positions les plus extrêmes du PQ, Québec solidaire minimise son caractère ultra-droitier en déclarant que son venimeux discours anti-immigrants n’est pas «intolérant» ou en affirmant frauduleusement que St-Pierre Plamondon ne peut pas être comparé aux politiciens d’extrême droite comme Marine Le Pen en France ou Donald Trump aux États-Unis.
Alors que l’effondrement de l’ordre capitaliste mondial met à l’ordre du jour une nouvelle période de luttes révolutionnaires, les travailleurs et les jeunes du Québec doivent définitivement rejeter le poison du nationalisme québécois ainsi que le piège mortel que représente encore le projet indépendantiste.
Ils doivent plutôt adopter une perspective internationale qui correspond au caractère intégré de l’économie mondiale, ce qui signifie au point de vue politique l’unité de tous les travailleurs du Canada – francophones, anglophones et immigrants – dans la lutte commune, aux côtés de leurs frères et sœurs de classe du reste de l’Amérique du Nord et d’outremer, contre le capitalisme en faillite et pour le socialisme.