La dernière « offre » de Postes Canada : la guerre que mène le gouvernement libéral contre les postiers en grève s’intensifie

Des postiers en grève manifestent à Ottawa le 29 septembre.

Les positions se durcissent dans la grève nationale de 55 000 employés de Postes Canada qui dure depuis près de deux semaines.

Après des semaines d’atermoiements, la société d'État a présenté vendredi dernier de nouvelles offres provocantes qui traduisent en termes contractuels les plans du gouvernement libéral visant à restructurer la poste aux dépens des postiers et du public.

Ces offres marquent une escalade spectaculaire dans la guerre que le gouvernement libéral et Postes Canada, avec le soutien sans faille des entreprises canadiennes, mènent contre les postiers. Elles vont bien au-delà des offres bourrées de reculs que les postiers urbains et ruraux ont catégoriquement rejetées au cours de l'année écoulée, établissant un cadre contractuel visant à supprimer des dizaines de milliers d'emplois à temps plein.

Les propositions de Postes Canada comprennent un programme de départ volontaire ou d’incitatif de départ destiné aux personnes proches de la retraite ou admissibles à une pension, un mécanisme visant à supprimer les postes à temps plein mieux rémunérés. Elles donneraient à la direction le droit de fermer jusqu'à 493 bureaux de poste et guichets de vente au détail en milieu rural et suburbain, actuellement dotés de membres du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP).

Plus dangereux encore, l'offre prévoit la suspension, pendant la durée du contrat, de l'article 53 du contrat des postiers urbains, qui garantit la sécurité d'emploi « à vie » aux travailleurs permanents.

Postes Canada serait libre de réorganiser unilatéralement les postes, de convertir les emplois à temps plein en emplois à temps partiel ou occasionnels, et de supprimer purement et simplement certains postes. Cela reviendrait en fait à mettre fin aux emplois permanents, car la direction insisterait pour que toute « réintroduction » de garanties d'emploi soit à sa discrétion et conforme à sa volonté constante de faire de la poste un concurrent rentable des entreprises privées de messagerie et de livraison de colis qui emploient une main-d'œuvre bon marché.

Postes Canada cherche également à apporter des changements radicaux à ses activités de distribution, conformément à la demande du gouvernement de faire passer la distribution du courrier de 5 à 3 jours par semaine et de remplacer la distribution du courrier à domicile par des boîtes aux lettres «communautaires ».

Selon ses propositions, la direction aurait toute latitude pour regrouper les itinéraires, réduire la fréquence de distribution du courrier et augmenter les tâches, grâce à l'imposition d'un « acheminement dynamique ». La fermeture de guichets, les regroupements et les réductions de services font également partie intégrante du plan de restructuration. En effet, le contrat consacrerait une offensive progressive sur plusieurs années, dans le cadre d'une opération de démantèlement visant à transformer Postes Canada en un réseau logistique minimaliste, hautement exploiteur, « Amazonisé » et axé sur le profit. Un réseau axé sur la prestation de services dans les régions éloignées où les entreprises privées refusent de livrer, car cela réduirait leurs marges bénéficiaires.

Pour couronner le tout, Postes Canada a retiré la petite prime à la signature qu'elle offrait comme « mesure incitative » dans les « meilleures offres finales » qui ont été présentées aux postiers lors d'un vote imposé par le gouvernement l'été dernier.

Une augmentation salariale de base de 13,59 % sur quatre ans est en fait remise en question par la suppression des protections de l'emploi et l'affaiblissement du statut de travailleur à temps plein. La société affirme que ses « réalités » financières exigent des concessions plus importantes, prétendant que les revendications des travailleurs entraîneraient de «nouveaux coûts importants » en cette période de crise. Or, cette crise a été provoquée par une politique gouvernementale qui refuse de gérer la société d'État comme un service public et exige que Postes Canada survive ou périsse grâce à ses propres revenus.

Le sabotage perpétré par les bureaucrates du STTP

Comme l'a expliqué le Comité de base des travailleurs des postes (CBTP) dans sa déclaration fondatrice publiée en juin 2024, il est évident que les travailleurs des postes sont confrontés à une lutte politique qui nécessite de mobiliser toute la puissance de la classe ouvrière pour défendre les services publics et le droit de grève et s'opposer au programme d'austérité, de réarmement et de guerre de la classe dirigeante.

Mais l'appareil du STTP a travaillé sans relâche pour maintenir les travailleurs confinés dans le carcan du système de négociation collective pro-patronal et réglementé par l'État, alors même que le gouvernement libéral est intervenu à plusieurs reprises en faveur de la direction.

Une grève d'un mois qui avait débuté en novembre 2024 a été « suspendue » par le gouvernement libéral du premier ministre Justin Trudeau, qui a ordonné aux travailleurs de reprendre le travail avec la complicité du STTP, en vertu des dispositions draconiennes de l'article 107 du Code canadien du travail. Cette décision était liée à la création d'une commission d'enquête sur les relations de travail (CERT) truquée, présidée par William Kaplan, médiateur et arbitre chevronné du gouvernement, qui a élaboré le plan directeur de l'actuel programme de restructuration du gouvernement et de la direction. Le STTP a faussement prétendu que la CERT donnerait une « voix » aux travailleurs, mais la base a été pratiquement exclue du processus.

Une fois que les travailleurs ont retrouvé le droit de grève en mai, le STTP a limité les postiers à une interdiction inefficace des heures supplémentaires, qui a ensuite été remplacée par une interdiction de distribuer des prospectus publicitaires. C'est finalement l'action des travailleurs de la base qui a contraint la bureaucratie du STTP à sanctionner une grève nationale.

Alors que les travailleurs des provinces atlantiques et du Manitoba se sont spontanément mis en grève en réponse à l'annonce faite le 25 septembre par le ministre de la Transformation gouvernementale, Joël Lightbound, selon laquelle le gouvernement libéral ordonnait à Postes Canada de mettre en œuvre les changements radicaux contenus dans le rapport de la CERT, la direction du STTP a appelé à la grève afin de garder le contrôle sur les travailleurs.

Le premier ministre Mark Carney, ancien gouverneur millionnaire des banques du Canada et d'Angleterre, a insisté sur la nécessité de «changements importants » et a déclaré que la perte quotidienne de 10 millions de dollars subie par Postes Canada était « intolérable ». Derrière ces déclarations se cache l'objectif du gouvernement d'utiliser les attaques radicales contre les travailleurs postaux comme point de départ d'une guerre de classe plus large. La classe dirigeante prévoit d'allouer des dizaines de milliards à l'armée, d'accorder d’immenses subventions aux entreprises et de réduire les services publics, tout cela au nom de « l'austérité et de l'investissement ».

La réponse du STTP à la dernière proposition de la direction a été tout à fait superficielle et une capitulation. « Nous avons attendu 45 jours pour recevoir des offres qui sont pires que celles que nous avons rejetées en août », ont déclaré les responsables du STTP. « Postes Canada devait savoir que nous ne pouvions en aucun cas accepter ces propositions et cherche clairement à gagner encore plus de temps. »

Ces remarques énoncent une évidence, mais n'offrent aucune solution. Le syndicat cherche à établir une distinction entre la direction et le gouvernement, comme si les deux ne fonctionnaient pas de concert. Son refus de reconnaître que la dernière offre est une provocation délibérée, destinée à intensifier la guerre contre les postiers, est une nouvelle capitulation de l'appareil syndical.

Après le vote forcé au début de l'année, la ministre de l'Emploi et de la Famille, Patty Hajdu, a déclaré qu’il fallait que les futures propositions «puissent être ratifiées ». Le fait que la direction ait présenté une proposition encore pire souligne que Postes Canada et les libéraux agissent de concert pour briser la grève. Les appels du STTP en faveur de « négociations sérieuses » reviennent à ramper devant le gouvernement et les grandes entreprises.

Les libéraux brandissent désormais deux épées au-dessus de la tête des postiers. La première consiste à rendre la grève illégale, soit en vertu de l'article 107 du Code canadien du travail, soit par le biais d'une loi parlementaire de retour au travail, bafouant ainsi le droit démocratique de grève et imposant un contrat dicté par la direction. La seconde consiste à laisser la grève s'éterniser, augmentant délibérément la pression sur les travailleurs, les petites entreprises et les communautés qui dépendent des services postaux à l'approche de la période de Noël.

L'une ou l'autre de ces approches dépend de l'isolement des travailleurs postaux que maintiennent la bureaucratie du STTP, le Congrès du travail du Canada (CTC) et d'autres organisations syndicales corporatistes. Déjà, Unifor et les Teamsters permettent les actions briseuses de grève en veillant à ce que les filiales de Postes Canada, telles que le service de livraison de colis Purolator, continuent de fonctionner.

Il existe un consensus au sein de l'élite capitaliste : le système postal doit être démantelé, totalement privatisé et transformé en une entreprise allégée, subordonnée à la logistique des entreprises et aux géants du commerce électronique. Le comité de rédaction du Globe and Mail, porte-parole traditionnel de l'élite dirigeante capitaliste, a approuvé l'offensive du gouvernement, félicitant Carney d'avoir pris des « décisions difficiles » pour éliminer les prétendues « inefficacités » de Postes Canada, c'est-à-dire pour détruire des milliers d'emplois et réduire considérablement le service postal.

Les postiers de la base ont clairement indiqué dans leurs commentaires au World Socialist Web Site qu'ils voyaient clair dans les manœuvres de la direction et du syndicat. Une travailleuse de l'Ontario a expliqué : « Ils ne veulent pas d'emplois décents et d'horaires décents. Ils veulent que nous soyons tous des travailleurs précaires. Carney veut simplement éliminer tous les bons emplois pour tout le monde. [...] Je disais récemment à mon collègue que nous avons besoin d'une révolution contre ce gouvernement. Ça suffit ! Ils nous prennent nos emplois, bon sang ! » Un autre a souligné : «Ils disent que Postes Canada devrait gagner de l'argent et être une entreprise rentable. Mais c'est un service public ! »

De tels sentiments révèlent la profondeur de la colère qui se développe parmi les postiers et la classe ouvrière en général. En Alberta, 50 000 enseignants ont déclenché lundi la plus grande grève des travailleurs de l'éducation de l'histoire de la province ; en Ontario, 10 000 employés de soutien des collèges sont en grève depuis trois semaines ; et en Colombie-Britannique, plus de 17 000 des 34 000 membres du BCGEU font désormais du piquetage dans le cadre de grèves tournantes. La grève de Postes Canada fait suite à la position de défi adoptée par les agents de bord d'Air Canada face à l'ordre de retour au travail du gouvernement, qui a finalement été trahie par le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

Les travailleurs doivent prendre la lutte en main

La question décisive qui se pose aujourd'hui aux postiers et à la classe ouvrière dans son ensemble est de savoir comment organiser une contre-offensive pour repousser l'assaut des entreprises et du gouvernement contre leurs emplois et leurs conditions de vie, un assaut qui est imposé avec la complicité des bureaucraties syndicales.

Les débrayages spontanés qui ont déclenché la grève de Postes Canada montrent que les travailleurs sont prêts à agir indépendamment de la bureaucratie syndicale. Les libéraux, la direction et l'élite des entreprises sont déterminés à imposer leur plan de restructuration. Le STTP, lié pieds et poings au gouvernement, n'offre que des paroles creuses et un isolement accru.

Lundi, il a admis pour la première fois dans un communiqué que les postiers étaient confrontés à une « lutte politique ». Cependant, ce que la bureaucratie entend par « lutte politique » n'a rien à voir avec la mobilisation des travailleurs contre la guerre de classe menée par le gouvernement Carney au nom des grandes entreprises canadiennes. Au contraire, leur « lutte politique » vise à sauver leur partenariat corporatiste avec les libéraux et les grandes entreprises au détriment des travailleurs postaux.

Pour empêcher cela, les travailleurs doivent transformer leur détermination à se battre en une mobilisation politique de masse organisée. Ce qu'il faut, c'est une rupture politique et organisationnelle consciente avec la bureaucratie syndicale et la création de nouvelles organisations, des comités de base dirigés démocratiquement dans chaque lieu de travail et chaque quartier, afin de relier les luttes des travailleurs à travers le Canada et à l'échelle internationale.

Les travailleurs postaux devraient rejoindre et construire le Comité de base des travailleurs des postes (CBTP) afin de se coordonner à l'échelle nationale et de coordonner la solidarité avec les enseignants, le personnel des collèges, les travailleurs du secteur public et au-delà.

Surtout, les postiers, comme tous les travailleurs qui entrent en lutte, ont besoin d'un programme socialiste qui rejette la priorité accordée au profit privé avant toute autre chose. Ce n'est qu'en luttant pour mettre fin au capitalisme, cause profonde de la précarité de l'emploi, des salaires de misère, des profits colossaux des dirigeants et de la privatisation des services publics, que les travailleurs postaux pourront défendre leurs droits sociaux. Le droit de grève, le droit à un emploi décent et sûr et à des services publics bien financés sont des préoccupations vitales pour tous les travailleurs. Il en va de même pour l'établissement du contrôle des travailleurs sur l'intelligence artificielle et les autres nouvelles technologies, afin de garantir qu'elles soient utilisées pour améliorer la vie des travailleurs, et non pour supprimer des emplois, accroître l'exploitation capitaliste et construire des armes de guerre plus meurtrières.

Pour lutter en faveur de la mobilisation de tous les travailleurs, les postiers doivent élargir leur grève à un mouvement social et politique visant à ce que les travailleurs prennent le pouvoir. Cela nécessite de mener la lutte pour construire le Parti de l'égalité socialiste, qui sera la direction dont les travailleurs auront besoin dans les luttes de classe à venir.

Loading