Les travailleurs belges ont fait grève mardi lors de la troisième et plus grande grève générale de l'année contre les propositions de la coalition de droite belge visant à réduire les dépenses publiques alors qu'elle finalise le budget de l'année prochaine.
Afin d'économiser des milliards d'euros, le gouvernement du Premier ministre Bart De Wever veut relever l'âge de la retraite à 67 ans d'ici 2030 et augmenter le nombre de jours travaillés par an avant d'y avoir droit. Selon les estimations du service des pensions d'octobre 2025, ce changement entraînerait une perte moyenne de 318 € par mois sur la pension de retraite des salariés.
Un autre élément clé des coupes budgétaires est la limitation des allocations chômage à deux ans. D'autres réductions, notamment des allocations familiales et du financement des soins de santé, sont prévues, ainsi qu'une hausse de la TVA.
Des attaques contre les protections sur le lieu de travail et un gel de l’indexation des salaires sont également prévus, qui frappent massivement la classe ouvrière, en particulier les travailleurs les moins bien payés et ceux qui travaillent en équipes.
Le gouvernement cherche à réduire les dépenses publiques de 10 à 20 milliards d'euros d'ici 2029 afin de ramener le déficit fédéral sous l'objectif de 3 pour cent fixé par l'Union européenne. De Wever a déclaré que 10 milliards d'euros de réduction seraient « le minimum requis » par la Commission européenne, même si « davantage serait préférable, si possible».
Le gouvernement refuse d’augmenter les impôts des super-riches et des plus aisés.
La Belgique souhaite également augmenter ses dépenses militaires afin de respecter ses engagements envers l'OTAN. En juillet, le gouvernement a annoncé un programme de dépenses militaires de 33,8 milliards d'euros couvrant la période 2026-2034. Ce programme a fait exploser son précédent objectif, qui était de porter les dépenses militaires à 2 pour cent du PIB d'ici 2029, contre 1,3 pour cent lors de l'arrivée au pouvoir de la coalition.
Le gouvernement, composé de cinq partis menés par le nationaliste flamand De Wever, est arrivé au pouvoir début février après des mois de négociations de coalition suite aux élections de juin dernier. La « coalition Arizona », ainsi nommée en raison de la couleur des partis qui rappelle celle du drapeau de cet Etat américain, regroupe trois partis de la Flandre néerlandophone: la N-VA conservatrice de De Wever, les chrétiens-démocrates centristes et le Vooruit (En avant) social-démocrate. Sont également présents les chrétiens-démocrates Les Engagés et le Mouvement réformiste de droite de la Wallonie francophone.
Le programme de guerre de classe du gouvernement a rencontré une opposition soutenue, avec au moins 88 journées de grève déjà organisées cette année. Parmi celles-ci, de grandes grèves nationales ont eu lieu les 21 février, 31 mars (grève générale), 29 avril (grève générale), 22 mai et 25 juin.
La grève de mardi a été appelée par les trois plus grandes centrales syndicales: la Confédération des syndicats chrétiens (ACV/CSC), la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB/ABVV) et la Confédération générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB/ACLVB). Leurs effectifs cumulés s'élèvent à environ 3,5 millions.
Selon Politico, cette grève était la plus grande manifestation des travailleurs en Belgique depuis une décennie ; depuis la grève de 2014 où 100 000 personnes étaient descendues dans la rue. Si cette fois-ci les trains circulaient, la plupart des lignes de métro, de bus et de tram bruxelloises étaient à l'arrêt. Les perturbations du réseau de transport en Wallonie et en Flandre étaient également généralisées.
Tous les transports maritimes ont été suspendus à Anvers, deuxième port d'Europe. La BBC a rapporté que « plus de 100 navires attendaient en mer du Nord l'autorisation d'accoster dans trois ports, selon les services maritimes et côtiers belges MDK ».
Les aéroports ont été touchés: tous les départs et près de la moitié des arrivées prévues à l'aéroport international de Bruxelles ont été annulés. À l'aéroport de Charleroi Bruxelles-Sud, tous les vols ont été annulés.
L'Agence flamande pour les services éducatifs a indiqué que près de 10 000 (9 873) enseignants et personnels de soutien flamands ont participé à l'arrêt de travail. Les éboueurs ont fait grève et les services administratifs ont été impactés. Si les tribunaux de Bruxelles, Bruges et Anvers ont pu fonctionner, les procès ont été reportés dans plusieurs autres agglomérations, notamment à Malines, Louvain et Termonde, en raison du manque de personnel.
Jusqu'à 140 000 personnes ont manifesté à Bruxelles pendant la journée. Politico rapporte : « Plusieurs manifestants portaient des pancartes et des banderoles sur lesquelles était inscrit « boucherie », un jeu de mots avec le nom de Georges-Louis Bouchez, chef du parti libéral francophone belge, dont le Mouvement réformateur (MR) de centre-droit fait partie de la coalition gouvernementale. D'autres ont présenté le Premier ministre De Wever et Bouchez comme des bouchers armés de couteaux. »
Un groupe de grévistes portait une grande banderole sur laquelle on pouvait lire : « Santé sociale : vitale ».
Des grévistes portaient une pancarte inspirée d'un panneau de limitation de vitesse, avec le chiffre 67 barré d'une ligne rouge, pour protester contre le relèvement de l'âge de la retraite. La BBC a interrogé Anaïs, 29 ans, une gréviste qui a déclaré : « 65 ans, c'est suffisant. 67 ans, c'est trop tard. On nous demande de travailler plus, de faire plus d'heures. Ce n'est pas juste. Il est temps de s'unir […] C'est toujours la même partie de la population qui doit se serrer la ceinture ».
Les manifestants ont été confrontés à une répression policière virulente, des dizaines d'arrestations ayant eu lieu. La police a déployé des gaz lacrymogènes et des canons à eau sur le boulevard Pachéco, un quartier huppé.
Politico a rapporté que Rafael, un employé des postes, les yeux rougis par le gaz, a déclaré : « Nous marchions pacifiquement et soudain, il y a eu des fumigènes et la police. Je ne comprends pas. Pour une dizaine de fauteurs de troubles […] ils ont aspergé toute la foule de gaz lacrymogènes, les personnes âgées, les enfants […] C'était honteux, une véritable honte. »
« Au lieu de régler le problème, ils préfèrent intoxiquer à la lacrymogène toute la population qui exerce son droit de grève », a déclaré un autre participant.
Des associations d’aide aux sans-abris et aux demandeurs d'asile, confrontés à des coupes budgétaires drastiques, ont participé à la manifestation.
La grève a reçu un large soutien parmi les jeunes, le Brussels Times notant : «Des étudiants à l'intérieur du bâtiment universitaire de l'IHECS ont affiché joyeusement leur soutien aux manifestants alors qu'ils descendaient la rue des Alexiens. »
Le journal cite les commentaires d'Izabella (19 ans) et de Nora (21 ans), « dans le cortège des jeunes manifestant aujourd'hui » à Bruxelles. « Elles se sentent ‘bloquées’ financièrement, notamment pour leurs études. ‘Ce n'est pas le moment d'abandonner […] car nous devons garder espoir en l'avenir, car nous sommes l'avenir’, a déclaré Nora ».
Le mouvement combatif de la classe ouvrière belge s'inscrit dans une riposte continentale. Ces dernières semaines, des grèves générales et des manifestations de masse ont eu lieu en Grèce , en Italie , en Espagne , en France , en Allemagne et au Royaume-Uni , traduisant une opposition massive qui se développe contre les gouvernements qui imposent l'austérité, soutiennent le génocide à Gaza et s’apprêtent à gaspiller de vastes ressources sociales pour des guerres de conquête.
Dans tous les pays, la bureaucratie syndicale s’efforce désespérément de contenir le mécontentement social explosif, allant jusqu’à appeler à des grèves générales limitées pour permettre à la colère montante de se dissiper.
Politico rapporte encore les commentaires de bureaucrates syndicaux inquiets que le gouvernement ne reconnaisse pas leur rôle traditionnel dans la répression de la lutte des classes. Alexandre Sutherland, porte-parole de la CGSLB, a déclaré: « Le gouvernement n'écoute personne et agit à sa guise sans consulter les travailleurs. Et, bien sûr, c'est inacceptable dans un pays comme la Belgique, qui fonctionne de manière collaborative depuis très longtemps. »
(Article paru en anglais le 15 octobre 2025)