Perspective

Zohran Mamdani canalise l’opposition dans le cul-de-sac du Parti démocrate

Le candidat démocrate à la mairie de New York, Zohran Mamdani, s'exprime lors d'un rassemblement électoral à New York, le lundi 13 octobre 2025. [AP Photo/Ted Shaffrey]

Dans trois semaines, le mardi 4 novembre, le démocrate Zohran Mamdani devrait être élu prochain maire de New York.

Mamdani a remporté les primaires démocrates en juin, créant la surprise en battant le favori de l'establishment du parti, l'ancien gouverneur de New York Andrew Cuomo. La victoire de Mamdani est l'expression d'un mouvement significatif d'une grande partie de la population vers la gauche.

Cependant, au cours des quatre mois qui ont suivi sa victoire aux primaires démocrates, Mamdani s'est livré à un « strip-tease » politique systématique, reniant ses positions antérieures, qui allaient du « définancement » de la police à la fin du contrôle des super-riches sur la ville, en passant par le soutien au slogan « mondialiser l'intifada », synonyme de mobilisation de l'opposition populaire au génocide israélien à Gaza dans le monde entier.

Mamdani a tenu une série de réunions à huis clos, au cours desquelles il a discuté avec des représentants des magnats de l'immobilier, de la bourse et des grandes banques, et il a engagé des conseillers clés de l'establishment du Parti démocrate pour donner l'assurance que l'administration qui remplacera l'ancien capitaine de police Eric Adams, escroc détesté et larbin de Trump, n'aura rien de radical.

Ces actions ont entraîné un changement d'attitude de la part de certains secteurs de la classe dirigeante et de l'establishment du Parti démocrate. Le New York Times n'a toujours pas pris de position officielle sur l'élection depuis son éditorial « n’importe qui, sauf Mamdani » publié en juin. Mais ses pages d'actualités et d'opinions sont devenues un véritable centre de campagne en faveur du candidat démocrate.

Ce phénomène a atteint son apogée au cours des trois derniers jours, lorsque le Times a publié une demi-douzaine d'articles et de chroniques totalisant près de 25 000 mots – soit la longueur d'un court roman – présentant Mamdani comme une figure brillante, charismatique et historique.

Quelques remarques s'imposent au sujet du plus long de ces articles, un reportage en couverture du New York Times Magazine signé Astead Herndon, sous le titre enthousiaste « Inside the Improbable, Audacious and (So Far) Unstoppable Rise of Zohran Mamdani » (Dans les coulisses de l'ascension improbable, audacieuse et (jusqu'à présent) imparable de Zohran Mamdani).

Herndon fournit des détails sur les efforts déployés par Mamdani pour se faire bien voir de l'establishment du Parti démocrate et cite la réponse de Robert Wolf, collecteur de fonds de longue date pour le Parti démocrate :

« Pour moi, Zohran est plutôt un capitaliste progressiste », m'a dit Wolf, ajoutant qu'il était convaincu, d'après leurs interactions en privé, que Mamdani comprenait l'importance de la prospérité du secteur privé à New York. « C'est quelqu'un qui veut trouver comment utiliser le gouvernement de manière appropriée pour favoriser l'égalité et aider les personnes défavorisées. »

Herndon poursuit en observant que Mamdani a « modifié » ses positions au cours de cette adaptation politique, ce qui est un euphémisme :

Il a clairement indiqué qu'il souhaitait soutenir les locataires, et non punir les propriétaires. Il souhaite soutenir l'éducation publique, et non s'attaquer aux écoles spécialisées qui recrutent des élèves issus de l'élite. Il soutient les droits des Palestiniens ; il n'est pas antisioniste. Il a fait des concessions importantes en matière de maintien de l'ordre. Il a surtout clairement indiqué qu'il était ouvert au compromis concernant sa proposition d'impôt sur les millionnaires. Appelons cela Mamdani 2.0.

En d'autres termes, Mamdani promeut la fiction selon laquelle il n'y a pas de divisions fondamentales dans la société capitaliste, pas de conflits irréconciliables entre les intérêts sociaux. Il est possible de soutenir les travailleurs sans s'opposer aux oligarques qui les exploitent, de soutenir les Palestiniens sans s'opposer à l'État qui les assassine, de soutenir les immigrants sans s'opposer aux institutions qui les emprisonnent, les torturent et les expulsent.

Le rejet par Mamdani des conflits entre les intérêts sociaux signifie la subordination continue de la classe ouvrière aux intérêts de la classe capitaliste, par le biais du mécanisme du Parti démocrate. C'est là la fonction essentielle, non seulement de la campagne de Mamdani, mais de tous les efforts de la « gauche » du Parti démocrate, y compris Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez et les Socialistes démocrates d'Amérique (DSA).

La réponse de Mamdani à la conspiration de Trump pour établir une dictature présidentielle est la réfutation la plus accablante de son programme de « capitalisme progressiste ». Trump a déjà commencé à parler de « New York communiste », et si Mamdani est élu maire, il sera immédiatement la cible d'attaques féroces. Trump a menacé d'intervenir directement contre New York si Mamdani était élu, et il reste à voir si l'oligarchie tolérera, quelles que soient les circonstances, l'installation d'une figure même en apparence de gauche libérale à la tête du centre financier du capitalisme mondial.

Dans ces conditions, Mamdani a pris la décision très consciente et délibérée d'affirmer que Trump « mériterait d'être félicité » si le cessez-le-feu à Gaza tenait. Cela a été dit à propos d'un individu qui, à la suite de Biden, a armé et supervisé le massacre de dizaines de milliers de Palestiniens et qui est actuellement engagé dans un projet néocolonial de nettoyage ethnique et de domination impérialiste sous la bannière d'un « cessez-le-feu ».

À l'instar de Sanders, d'Ocasio-Cortez et du magazine Jacobin – l'organe officieux des DSA –, Mamdani a gardé un silence quasi total sur les mesures prises par l'administration Trump pour établir une dictature policière et militaire aux États-Unis.

Lors d'un rassemblement électoral lundi soir à Washington Heights, Mamdani est apparu aux côtés de la ministre de la Justice de l'État de New York, Letitia James, mise en accusation la semaine dernière par l'administration Trump sur la base de fausses accusations de fraude hypothécaire, en représailles à sa victoire dans un procès civil contre la Trump Organization pour falsification de documents fiscaux et immobiliers.

Au cours de son discours, Mamdani ne s'est pas décrit comme un « socialiste démocrate » et n'a fait aucune référence au socialisme (ni au capitalisme). Il n'a mentionné la classe ouvrière qu'une seule fois. Et il n'a rien dit sur l'envoi par Trump de l'armée dans des villes comme Chicago, Los Angeles et Portland, ni sur ses menaces de faire de même à New York. Il n'a pas non plus fait référence aux menaces de Trump d'invoquer la Loi sur l'insurrection ou de qualifier l'opposition de gauche de « terrorisme ».

Interrogé directement par des journalistes à d'autres occasions, Mamdani a déclaré que sa réponse au déploiement de troupes contre la population de New York serait d'engager 200 avocats et d'intenter des poursuites judiciaires – en s'appuyant sur un système judiciaire où toutes les voies mènent à une Cour suprême contrôlée par l'extrême droite, dont trois des neuf membres ont été personnellement sélectionnés par Trump.

La politique de Mamdani est celle des Socialistes démocrates d'Amérique (DSA), qui fonctionnent comme une fraction du Parti démocrate. La rhétorique « de gauche » des DSA cache leur véritable fonction : désarmer et démobiliser la classe ouvrière face au plus grand danger pour les droits démocratiques dans l'histoire moderne des États-Unis.

Analysant la signification de la victoire de Mamdani aux primaires en juin, le WSWS a noté qu'elle avait brisé le mythe selon lequel le socialisme est «toxique » pour les travailleurs et les jeunes américains et que la réélection de Trump marquait un virage à droite de la population américaine. Elle a également réfuté l'affirmation selon laquelle critiquer le génocide perpétré par Israël à Gaza est « antisémite » ou politiquement suicidaire, puisque Mamdani a remporté la majorité des voix parmi les jeunes électeurs juifs.

Cependant, l'enthousiasme pour Mamdani combine naïveté politique et manque de connaissances historiques de base. La description de ce semi-réformiste de la classe moyenne assez conservatrice et aisée comme «socialiste » reflète le très faible niveau de conscience politique. En fait, même selon les normes des démocrates de la Grande Société et des républicains progressistes des années 1960, le programme de Mamdani est plutôt conservateur et certainement pas « socialiste ». Ses diverses manœuvres avec les oligarques et les magnats de l'immobilier ne font que préparer le terrain pour qu'il abandonne inévitablement ses promesses et ses principes après les élections.

Le virage de la classe dirigeante américaine vers la dictature – incarné par la volonté ouverte de Trump d'instaurer un régime présidentiel-militaire et le refus des démocrates de s'y opposer – révèle l'impossibilité de concilier les besoins de la grande majorité avec les intérêts du capital financier. Le programme et la perspective de Mamdani se sont déjà révélés caducs avant même qu'il n'ait pris ses fonctions.

Une démagogie populiste creuse, combinée à des assurances données à Wall Street qu'il ne représente aucune menace pour l'ordre existant, et un silence sur la menace mortelle que représente l'administration Trump pour la démocratie. Telle est la campagne de Zohran Mamdani. Les travailleurs et les jeunes de New York et d'ailleurs doivent se débarrasser de toute illusion et se préparer à lutter pour la véritable solution socialiste au capitalisme, représentée par le Parti de l’égalité socialiste.

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