Face à la mobilisation «Génération Z», l’armée malgache renverse le régime Rajoelina

Le 14 octobre 2025, le régime du président Andry Rajoelina a été renversé par une moobilisation populaire massive, suivie par l’intervention de l’armée. Contesté dans la rue depuis fin septembre, Rajoelina a été destitué par un vote de l’Assemblée nationale, tandis que l’unité militaire CAPSAT déclarait «prendre le pouvoir» devant le palais présidentiel à Antananarivo.

Le colonel Michael Randrianirina, à la tête du CAPSAT, a déclaré la dissolution du Sénat et de la Haute Cour constitutionnelle, tout en maintenant le fonctionnement de l’Assemblée nationale. Il a annoncé la formation d’un comité militaire chargé d’assurer la présidence de transition, en attendant la mise en place d’un gouvernement civil. Cette unité militaire avait joué un rôle clé dans l’arrivée de Rajoelina au pouvoir en 2009, et son ralliement cette fois-ci aux manifestants annonce une profonde fracture au sein de l’État bourgeois malgache.

Selon plusieurs sources, Andry Rajoelina a fui Madagascar le 12 octobre à bord d’un avion militaire français, dans une opération coordonnée avec Paris et validée par Emmanuel Macron. Cette exfiltration, confirmée par RFI et France 24, révèle le rôle actif de la France dans la préservation de ses intérêts stratégiques dans une ancienne colonie où sa présence économique et militaire reste forte.

Macron a insisté sur la nécessité de préserver « l’ordre constitutionnel », sans jamais condamner la répression ni le rôle de l’armée malgache. Le silence complice de l’ancienne puissance coloniale souligne la nature impérialiste de son intervention, orientée uniquement vers la protection des intérêts du capital international.

Ce renversement militaire intervient après plusieurs semaines de mobilisation populaire, initiée par un collectif Gen Z, qui a cristallisé la colère de la jeunesse malgache autour de revendications concrètes: fin des coupures d’eau et d’électricité, lutte contre la corruption, amélioration des conditions de vie, et démission du président. Le mouvement s’est rapidement élargi, avec le soutien de confédérations syndicales, de fonctionnaires et de manifestants de tous âges.

La réponse du pouvoir a été brutale: tirs à balles réelles, gaz lacrymogènes, arrestations massives. Selon l’ONU, au moins 22 personnes ont été tuées et plus d’une centaine blessées depuis le début des manifestations.

La militarisation du gouvernement, amorcée avec la nomination du général Zafisambo comme Premier ministre le 6 octobre, n’a fait qu’aggraver la crise. Face à une population dont plus de 75 pour cent vit sous le seuil de pauvreté avec moins de 0,80 € par jour, le régime n’a pas su répondre aux revendications sociales, préférant la répression.

La contestation a rapidement dépassé le seul cadre de la jeunesse. La Solidarité syndicale malgache, regroupant une cinquantaine de syndicats, a appelé à une grève générale dès le 1er octobre, exigeant la démission de Rajoelina et une hausse des salaires gelés depuis 2022. Le SEMPAMA (syndicat des enseignants) a dénoncé le manque de moyens éducatifs et rejoint la mobilisation.

Mais leur rôle a reflété les limites, au Madagascar comme ailleurs dans le monde, du syndicalisme: ils se positionnent en soutien à l’explosion sociale, tout en invitant l’Église ou des notables au «dialogue» afin d’empêcher toute dynamique révolutionnaire. Leur orientation reste l’appel à des compromis institutionnels qui ne traitent en rien la cause structurelle de la misère–le système capitaliste–et la nécessité de l’organisation révolutionnaire indépendante de la classe ouvrière.

Plusieurs partis d’opposition ont tenté de se positionner comme alternatives au régime de Rajoelina, notamment le Tiako i Madagasikara (TIM) et le Malagasy Miara-Miainga (MMM). Mais leur rôle demeure essentiellement opportuniste: ils cherchent à canaliser la colère populaire dans le cadre limité de négociations institutionnelles, tout en protégeant les fondements du capitalisme.

Si la mobilisation de masse avance des revendications sociales qui pour être satisfaites nécessitent une lutte pour le pouvoir ouvrier et le socialisme, l’intervention de l’armée quant à elle vise à défendre l’ordre bourgeois et préserver les intérêts de l’impérialisme comme de la bourgeoisie nationale.

Une amère expérience montre que l’intervention des armées dans les révoltes populaires ne vise pas à satisfaire les aspirations des masses. En Égypte et en Tunisie en 2011, leur prétendue neutralité ou leur posture de soutien au peuple ont servi à désamorcer la mobilisation, à restaurer l’ordre bourgeois et à garantir la continuité du système capitaliste sous une nouvelle façade.

La trahison des luttes ouvrières par les syndicats et les organisations pseudo-gauches a permis à la bourgeoisie de reprendre le contrôle politique. En Égypte, cette capitulation a ouvert la voie au retour de la dictature militaire sous Abdel Fattah al-Sissi, qui dirige aujourd’hui le pays en intensifiant la répression contre les travailleurs, les jeunes et toute forme d’opposition sociale.

L’intervention du CAPSAT, déjà impliqué dans de nombreuses transitions entre régimes antidémocratiques au Masagascar, n’a pas une nature de classe fondamentalement différente. Le régime militaire malgache, soutenu par les puissances impérialistes, notamment la France, utilisera tous les moyens à sa disposition—répression, propagande, cooptation—pour étouffer l’opposition dans la jeunesse et la classe ouvrière.

Le soutien logistique apporté par Paris à l’exfiltration du président Rajoelina illustre le rôle de l’impérialisme français. Soucieux de préserver ses intérêts stratégiques dans l’énergie, les télécoms et les terres rares malgaches, il ne cherche pas à défendre la démocratie, mais à stabiliser un régime capable de contenir et d’étouffer la révolte sociale.

La révolte malgache s’inscrit dans une vague mondiale de mobilisation ouvrière et étudiante contre la dégradation des conditions sociales, la montée des régimes autoritaires et l’aggravation de la crise capitaliste. Les mouvements «Gen Z» au Maroc, les grèves massives au Pérou, les luttes ouvrières en Europe et les mobilisations à travers l’Afrique reflètent tous un rejet profond de l’austérité, du militarisme et de l’ordre social établi.

Mais sans une direction révolutionnaire socialiste, les mouvements spontanés—aussi massifs soient-ils—seront détournés, réprimés ou noyés dans des compromis institutionnels. Le collectif Gen Z, malgré sa force mobilisatrice, reste sans orientation politique claire. Si la classe ouvrière ne s’organise pas indépendamment, sur une base socialiste et internationaliste, le régime militaire finira par imposer une nouvelle forme de dictature au service du capital.

Cette explosion sociale ne peut être comprise qu’en l’inscrivant dans la crise mondiale du capitalisme: inflation persistante, endettement massif, guerres impérialistes et aggravation des inégalités. À Madagascar, comme ailleurs, la bourgeoisie nationale, étroitement liée au capital international, est incapable de satisfaire les aspirations démocratiques et sociales des masses.

La théorie de la révolution permanente, formulée par Léon Trotsky, éclaire la situation actuelle. Dans les pays dominés par l’impérialisme, la bourgeoisie nationale est incapable de réaliser les tâches démocratiques fondamentales—telles que l’éradication de la pauvreté, l’accès aux services publics ou la souveraineté populaire—car elle est organiquement liée au capital international. Seule la classe ouvrière, organisée indépendamment de toutes les forces bourgeoises et petites-bourgeoises, peut mener ces luttes à leur terme.

En prenant le pouvoir, elle doit lier les revendications démocratiques à un programme socialiste internationaliste, en s’unifiant avec les travailleurs à l’international dans une lutte commune contre le capitalisme mondial.

La lutte des travailleurs malgaches ne peut être victorieuse que si elle s’intègre dans la lutte internationale de la classe ouvrière. Les grèves en Europe, les mobilisations en Afrique et les révoltes en Amérique latine font partie d’un même mouvement mondial contre l’austérité, la dictature et la guerre, qui exige l’unification consciente des travailleurs au-delà des frontières sur la base d’un programme socialiste internationaliste.

La crise malgache n’est pas un phénomène isolé : elle est une expression de la faillite du capitalisme mondial. La jeunesse et les travailleurs de Madagascar doivent tirer les leçons des expériences passées et s’organiser indépendamment, sur une base socialiste et internationaliste. La tâche centrale est de construire des sections du Comité International de la IVe Internationale (CIQI) à Madagascar et en Afrique, pour fournir une direction révolutionnaire aux travailleurs.

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