Mardi, au moins 16 ouvriers ont péri dans l'incendie d'une usine textile du quartier de Mirpur à Dhaka, capitale du Bangladesh. Un bilan qui devrait encore s'alourdir. Cet incendie meurtrier est l'un des derniers exemples, avec la mort de 16 ouvriers d’une usine de munitions ayant explosé dans l'État américain du Tennessee, du sacrifice systématique de la vie des travailleurs sur l'autel du profit de la grande entreprise.
L'incendie de Dhaka s'est d'abord déclaré dans un entrepôt de produits chimiques adjacent, puis s'est propagé à un bâtiment de quatre étages de l'usine de confection. Il a fallu trois heures pour éteindre l'incendie, dans l'usine seulement. Mercredi, les pompiers peinaient toujours à maîtriser l'incendie de l'entrepôt de produits chimiques.
Le commandant des pompiers, le lieutenant-colonel Tajul Islam Chowdhury, a déclaré aux médias locaux que l'incendie s'était déclaré mardi vers 11 heures. «Seize corps ont été retrouvés à ce jour, mais il pourrait y avoir davantage de victimes dans l'entrepôt de produits chimiques voisin, où l'incendie n'est pas encore maîtrisé. On ignore combien de personnes se trouvaient à l'intérieur au moment des faits», a-t-il déclaré. Il a également ajouté que les victimes étaient probablement mortes sur le coup après avoir inhalé des gaz hautement toxiques produits par la combustion des produits chimiques de l'entrepôt.
«Les victimes n'ont pas pu s'échapper car la porte du toit était verrouillée», a déclaré le porte-parole des pompiers,Talha Bin Zasim. «La plupart d'entre elles sont mortes des suites de l'inhalation de gaz toxiques, plutôt que de brûlures.»
Des témoins oculaires ont donné des récits poignant de la catastrophe.
«Nous avons entendu une énorme explosion», a déclaré Russel Sheikh, un témoin. «Puis nous avons vu un incendie massif. Il s'est ensuite propagé au bâtiment proche.»
Un autre témoin a déclaré: «L'entrepôt de produits chimiques contenait de la poudre à blanchir, du plastique et du peroxyde d'hydrogène, autant de substances susceptibles d'aggraver les incendies. De plus, la combustion du plastique dégage des fumées toxiques.»
Les familles des victimes se sont précipitées à l’usine pour retrouver leurs proches disparus.
Le père de Farzana Akhter a déclaré à l'agence de presse Reuters que sa fille était toujours portée disparue: « Quand j'ai appris l'incendie, j'ai accouru. Mais je ne l'ai toujours pas retrouvée […] Je veux juste retrouver ma fille. »
Mohammad Nayeem a déclaré qu'il recherchait sa femme, Samia Akter, employée à l'usine de confection, et que les autorités lui avaient conseillé de se renseigner auprès des hôpitaux voisins. « Je suis allé deux fois au centre médical de Dhaka, mais je ne l'ai pas trouvée », a-t-il dit. « Je ne sais toujours pas où elle est. »
Le commandant des pompiers, M. Chowdhury, a déclaré que les propriétaires de l'usine n'avaient pas encore été identifiés et que la police et l'armée s'efforçaient de les localiser. Il a également précisé que ni l'usine de confection ni l'entrepôt de produits chimiques n'avaient reçu l'autorisation d'opérer sur ce site et qu'aucun plan de sécurité incendie n'était en place.
L'utilisation de tels immeubles et pièges mortels est monnaie courante. Les autorités gouvernementales ferment les yeux sur les employeurs qui ne respectent pas les conditions de sécurité élémentaires, car elles servent les intérêts capitalistes, et non les travailleurs.
Chowdhury a déclaré que selon les conclusions préliminaires l'usine de confection avait un toit en tôle et une porte grillagée verrouillée. De ce fait, les ouvriers désespérés ne pouvaient pas accéder au toit et à l'air frais. « L'explosion chimique a déclenché un embrasement généralisé, libérant des gaz toxiques qui ont fait perdre conscience à de nombreux ouvriers et les ont piégés à l'intérieur, les empêchant de s'échapper vers le haut ou vers le bas. » Les corps des victimes, a-t-il ajouté, « étaient si gravement brûlés que les tests ADN pourraient être le seul moyen de les identifier. »
Face à l'indignation populaire, le chef du gouvernement intérimaire du Bangladesh, Muhammad Yunus, a publié un message de condoléances hypocrite exprimant sa « profonde tristesse » et exhortant les autorités à « enquêter et soutenir les victimes et leurs familles ». Cependant, comme par le passé, de telles enquêtes ne changeront rien au sort des travailleurs qui seront continuellement obligés de travailler dans des conditions dangereuses.
Le Bangladesh est le deuxième exportateur mondial de prêt-à-porter (RMG), après la Chine, et représente 5 à 6 pour cent du marché mondial. Le RMG a représenté environ 81,49 pour cent des exportations totales du pays au cours de l'exercice 2024-25, pour un chiffre d'affaires de 38,48 milliards de dollars américains. Le secteur emploie plus de 4 millions de travailleurs, en majorité des femmes, qui travaillent dans des conditions épouvantables.
En octobre et novembre derniers, des dizaines de milliers d'ouvriers du textile bangladais ont participé à des manifestations et des grèves pour exiger des augmentations de salaire, passant du salaire minimum mensuel actuel de 8 000 takas (67 dollars américains) à 22 000-25 000 takas (184-209 dollars américains). Ils exigeaient également une augmentation de la prime de présence mensuelle, l'octroi de congés annuels, la rémunération des équipes de nuit et une prolongation du congé maternité pour les ouvrières. Parmi les autres revendications figuraient la réouverture des usines fermées, la réintégration des employés licenciés, la fin du harcèlement de la part de la direction et des fonctionnaires, ainsi que l'amélioration de la sécurité et des conditions de travail.
Le gouvernement intérimaire de Muhammed Yunus a réagi en déployant la police et l'armée pour réprimer le mouvement de protestation.
Les syndicats, dont le Centre syndical des travailleurs de l'habillement du Bangladesh dirigé par le Parti communiste stalinien, ont refusé d'organiser la moindre lutte contre les conditions de travail brutales et pour la sécurité des travailleurs. Ils défendent les intérêts économiques de la classe dirigeante bangladaise en crise et ceux des employeurs et des investisseurs du secteur de l'habillement.
Les conditions de travail des ouvriers du textile bangladais vont s’aggraver, le secteur étant confronté à la montée de la concurrence et des pressions économiques dans le monde. Les droits de douane de 20 pour cent imposés au Bangladesh par le président américain Trump en août, ainsi que la pression croissante des géants de la distribution H&M, Walmart, Adidas, Levi's et VF Asia pour des « prix compétitifs », ont déstabilisé le secteur. Les entreprises du textile ont réagi en intensifiant l'exploitation des travailleurs en les soumettant à des conditions de travail dignes du bagne et dangereuses.
Après l'immense vague de colère publique suscitée par l'effondrement du Rana Plaza en 2013, plusieurs marques internationales, distributeurs, syndicats et fournisseurs ont signé l'Accord bangladais sur la santé et la sécurité, aujourd'hui connu sous le nom d'Accord international sur la sécurité incendie et la sécurité des bâtiments. C'était la première fois, a-t-on affirmé, que les marques de mode internationales reconnaissaient leur responsabilité directe dans les conditions de travail de leurs chaînes d'approvisionnement.
La catastrophe de mardi démontre une fois de plus qu'il ne s'agissait que d'une opération de relations publiques. Les marques de mode et les géants de la distribution qui représentent de nombreux milliards de dollars, ne se préoccupent pas des conditions de travail ni de la sécurité de leurs salariés, mais de prix moins élevés et de l'augmentation des profits.
Si la classe ouvrière ne lutte pas contre le système de profit capitaliste et ne place pas la production sous le contrôle démocratique des travailleurs eux-mêmes, le nombre des morts au Bangladesh et dans le monde ne fera qu'augmenter. Il s'agit d'un combat mondial, comme le montre l'explosion du 10 octobre à l'usine de munitions Accurate Energetic Systems, dans le Tennessee.
Les travailleurs du textile du Bangladesh doivent créer leurs propres comités d'action dans chaque usine afin de prendre eux-mêmes en main la lutte pour leurs droits fondamentaux, notamment des salaires et des conditions de travail et de sécurité décents. Ils ne peuvent plus faire confiance aux bureaucraties syndicales qui agissent en gendarmes pour le compte des investisseurs locaux et étrangers. Ils doivent s'unir à leurs frères et sœurs de classe des autres secteurs au Bangladesh, en Asie et à l'international pour construire un mouvement mondial uni de la classe ouvrière contre des trusts qui opèrent au niveau mondial. Pour ce faire, les travailleurs du Bangladesh doivent rejoindre la lutte pour la création de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (acronyme anglais IWA-RFC).
(Article paru en anglais le 16 octobre 2025)