Unifor crache son poison nationaliste alors que Stellantis et GM suppriment des emplois dans l'industrie automobile canadienne

Le premier ministre Mark Carney avec la présidente d'Unifor, Lana Payne [Photo: Mark Carney]

La réaction du syndicat canadien Unifor à l'annonce faite la semaine dernière par la société automobile transnationale Stellantis de transférer la production du nouveau modèle Jeep Compass – initialement prévu pour son usine d'assemblage de Brampton, dans l'Ontario – vers l'une de ses installations américaines, révèle une fois de plus la faillite totale des politiques nationalistes réactionnaires du syndicat, qui n'ont cessé de décimer le niveau de vie des travailleurs de l'automobile depuis des dizaines d'années.

Les 3200 ouvriers de l'usine de Brampton, ainsi que des milliers d'autres travaillant dans le réseau des pièces détachées et des fournisseurs, sont en chômage technique depuis le début de l'année 2024. On leur a dit qu'ils devaient s'attendre à une fermeture d'environ 18 mois pendant que l'usine était réaménagée pour la Jeep Compass de la prochaine génération. Mais en février 2025, Stellantis a annoncé qu'en raison de «l'environnement dynamique actuel», le rééquipement serait «suspendu» pour une durée indéterminée. L'entreprise, qui a empoché des centaines de millions de dollars de subventions publiques, était contractuellement tenue de rouvrir l'usine et avait évoqué un redémarrage à la mi-2026. Aujourd'hui, même cette estimation a été mise de côté.

La décision de Stellantis intervient dans le contexte de l'escalade de la guerre commerciale déclenchée par le régime tarifaire protectionniste «America First» du président américain Donald Trump et fait suite à ce que le PDG de Stellantis, Antonio Filosa, a qualifié de «discussions très productives avec l'administration Trump.» Stellantis prévoit d'investir 13 milliards de dollars sur quatre ans dans ses activités aux États-Unis, une réorientation financée par la destruction d'emplois au Canada. Le président de l'UAW, Shawn Fain, l'un des plus fervents défenseurs de la politique tarifaire de Trump, a rendu un nouvel hommage au président fasciste, saluant Stellantis pour avoir «ramené de bons emplois en Amérique.» Ses commentaires soulignent l'alignement total de la bureaucratie de l'UAW sur le programme nationaliste et anti-ouvrier de Trump, qui oppose les travailleurs américains à leurs frères et sœurs de classe au Canada, au Mexique et dans le monde. Les emplois «ramenés» aux États-Unis, contrairement à ce que prétend Fain, ne seront pas bien rémunérés et sûrs. Au contraire, les concessions massives imposées par l'UAW aux travailleurs de l'automobile au cours des quatre dernières décennies garantissent qu'il s'agira d'emplois précaires et mal rémunérés, permettant à Stellantis d'augmenter les profits des entreprises aux dépens des travailleurs.

Les retombées s'étendent bien au-delà de Stellantis. Une semaine seulement après l'annonce de Brampton, General Motors a déclaré mardi qu'elle mettrait fin à la production dans son usine d'assemblage CAMI à Ingersoll, en Ontario, supprimant ainsi plus de 1000 emplois. L'usine a été réaménagée en 2021 pour un coût de 2 milliards de dollars – dont la moitié a été financée par les gouvernements fédéral et provincial – afin de construire des camionnettes de livraison électriques BrightDrop. Invoquant une «baisse de la demande», la direction de GM a décidé de fermer l'usine pour une durée indéterminée. Cette décision, comme celle de Stellantis, est étroitement liée aux droits de douane imposés par Trump et à la stratégie plus large de «relocalisation» de l'industrie automobile, qui vise à déplacer la production aux États-Unis. Les emplois de 200 autres travailleurs de l'usine de batteries Ultium de GM à Ingersoll restent en suspens.

L'impact de la guerre commerciale américaine touche les principales industries canadiennes, avec des droits de douane imposés sur plus de 100 milliards de dollars d'exportations annuelles : 50 % sur l'acier et l'aluminium, 35 % sur le cuivre semi-fini et 35 % sur tous les produits non conformes aux règles commerciales de l'accord commercial ACEUM. Mercredi, le fabricant américain de camions PACCAR a annoncé l'arrêt de la production pour le marché américain dans son usine de Sainte-Thérèse, au Québec, entraînant la suppression de 300 emplois. Des droits de douane de 25 % sur les camions fabriqués en dehors des États-Unis devraient entrer en vigueur le 1er novembre. Le capitalisme canadien, fortement dépendant du marché américain, est ébranlé par cette série de mesures.

L’alliance Unifor et Carney pour la guerre commerciale

Quelle a été la réponse d'Unifor et du gouvernement libéral du premier ministre Mark Carney ? Outre des déclarations superficielles de «déception», la présidente d'Unifor, Lana Payne – une partisane enthousiaste des libéraux et d'«Équipe Canada» – a demandé à Carney d'utiliser l'«effet de levier» du Canada pour faire respecter les obligations contractuelles de Stellantis. Vito Beato, président de la section locale 1285 d'Unifor à Brampton et partisan du premier ministre de droite de l'Ontario, Doug Ford, a dénoncé l'appel téléphonique «impersonnel» de l'entreprise aux travailleurs pour leur annoncer la décision. La ministre fédérale de l'Industrie, Mélanie Joly, a brandi de vagues menaces de poursuites judiciaires, tandis que Carney a assuré aux journalistes que Stellantis pourrait envisager «un modèle différent» pour Brampton après la conclusion des négociations de l'ACEUM (pacte commercial entre les États-Unis, le Canada et le Mexique). Il a même suggéré que certains travailleurs de Brampton pourraient «déménager» à l'usine d'assemblage de Stellantis à Windsor, en Ontario, à quatre heures de route, pour y occuper les postes vacants, avec des plans pour la reprise d'une troisième équipe en 2026 après des années d'activités réduites et de licenciements à long terme.

Pour Unifor, le Congrès du travail du Canada (CTC) et l'ensemble de l'establishment politique et patronal, les droits de douane ne sont acceptables que lorsqu'ils sont brandis au nom du capital canadien. «Nous ne pouvons pas abandonner l'avenir de la production de VE aux constructeurs automobiles étrangers», a récemment affirmé Payne. Des droits de douane de 100 % sur les VE chinois, moins chers et mieux conçus, et des droits de 25 % sur l'acier et l'aluminium chinois sont ainsi défendus comme une «stratégie industrielle» patriotique. Les droits de douane sur la Chine s'inscrivent dans le cadre d'un accord entre Trump et Carney visant à affaiblir la Chine tout en augmentant massivement les dépenses militaires en vue d'une future guerre.

Dans une déclaration particulièrement grandiloquente, Payne a fait remarquer : «Nous ne pouvons pas permettre à Trump de dresser les provinces les unes contre les autres, les secteurs les uns contre les autres et les travailleurs les uns contre les autres. Nous devons nous unir et demander des comptes à l'entreprise». Quelle baliverne ! Toute l'approche des relations du syndicat avec les patrons de l'automobile a consisté à monter sans complexe les travailleurs canadiens contre leurs homologues de l'industrie automobile américaine et mexicaine. Cette politique nationaliste, ancrée dans la scission, en 1985, des Travailleurs unis de l'automobile (TUA) en contingents canadiens et américains concurrents, reste la pièce maîtresse des syndicats de l'automobile de part et d'autre de la frontière.

La décision prise en 1985 d'abandonner toute lutte contre les concessions au sein de l'UAW et de rompre l'unité des travailleurs de l'automobile nord-américains a ouvert la voie à une vague de concessions supplémentaires aux États-Unis. Elle a permis aux trois grands de l'automobile de dresser de plus en plus les travailleurs canadiens et américains les uns contre les autres dans une série de menaces de fermeture d'usines et de réduction des salaires. Les bureaucrates de l'UAW et des Travailleurs canadiens de l'automobile (le prédécesseur d'Unifor) ont réagi en tant que partenaires juniors loyaux de leurs «propres» patrons de l'automobile en poursuivant toujours plus explicitement une guerre d'enchères aux dépens des travailleurs, chacun essayant d'éclipser l'autre en offrant des coûts de main-d'œuvre plus bas et des profits plus élevés aux constructeurs automobiles, dans une course sans fin vers le bas. Depuis lors, des dizaines de milliers d'emplois dans le secteur de l'assemblage automobile ont été supprimés dans les deux pays, les salaires et les avantages sociaux ayant été réduits de manière générale.

D'autre part, les conditions pour les bureaucrates au sommet n'ont jamais été aussi bonnes. La promotion d'un nationalisme nauséabond est allée de pair avec le développement de relations corporatistes avec les constructeurs automobiles et les gouvernements à tous les niveaux. Les appareils d'Unifor et de l'UAW ont de plus en plus consolidé des intérêts matériels qui dépendent de l'intensification de l'exploitation des travailleurs qu'ils prétendent représenter et des avantages financiers, des postes dans les comités et des autres faveurs qui leur sont accordées par l'élite patronale et ses porte-parole politiques.

La vague de nationalisme et de corporatisme déclenchée par la scission n'est pas «de l'histoire ancienne». En 2023, alors que pour la première fois depuis de nombreuses décennies, les travailleurs de l'automobile étaient confrontés à des expirations de conventions collectives presque simultanées, les responsables d'Unifor ont tout fait pour séparer les travailleurs canadiens de leurs collègues des trois constructeurs de Detroit aux États-Unis. Aux États-Unis, l'UAW a également poursuivi sa propre perspective nationaliste-corporatiste. Au Canada, cela s'est traduit par les déclarations répétées de Payne selon lesquelles le syndicat «traçait sa propre voie». Afin d'empêcher toute action commune des travailleurs américains et canadiens, Unifor a négocié des contrats de trois ans, dissociant ainsi l'expiration des contrats au Canada et aux États-Unis dans les années à venir. Les conventions collectives des deux côtés de la frontière ont maintenu les immenses reculs qui sont devenus la norme pour l'UAW et Unifor.

Cette approche nationaliste et protectionniste a été succinctement exprimée par les représentants de l'UAW et d'Unifor le mois dernier, lorsque GM a transféré la production de la Chevrolet Silverado d'une troisième équipe de son usine d'Oshawa (Ontario) à une usine de Fort Wayne (Indiana). Rich LeTourneau, président des négociations de l'usine de l'UAW, s'exprimant comme un larbin de l'entreprise, a déclaré sans ambages : «Lorsque l'entreprise vient me voir pour augmenter le volume, je ne vais pas non plus lui dire non, parce qu'il s'agit de la sécurité de l'emploi pour mon personnel et que, si je peux accaparer le marché, je le ferai». Jeff Gray, président de la section locale d'Unifor à Oshawa, a réagi de la même manière à la déclaration de LeTourneau. La suppression d'emplois est tout simplement une décision commerciale astucieuse. «Et si nous avions la possibilité d'augmenter notre volume au Canada ou d'obtenir d'autres investissements ? Bien sûr, c'est ce que nous chercherions à faire», a déclaré Gray. Aucun des deux responsables n'a voulu mentionner les années de réduction des salaires, d'accélération de la cadence et de licenciements qui ont frappé les travailleurs des deux usines au fil des ans, conséquence directe de la guerre d'enchères réactionnaire menée par les syndicats pour «sécuriser» les investissements et les produits.

L'arrêt de l'usine CAMI de GM n'est que le dernier produit de cette course vers le bas qui dure depuis des décennies. Après que la grève de 2017 de l'usine a été trahie par Unifor par la promotion d'un chauvinisme anti-mexicain, la main-d'œuvre a diminué d'un tiers. Une réouverture de contrat en 2021 – imposée sans consultation de la base – a permis à GM d'avoir les mains libres sur les effectifs et les conditions en échange de vagues promesses de «sécurité de l'emploi» liées au réoutillage pour les véhicules électriques. Les travailleurs ont enduré des années de licenciements par rotation, de réduction des équipes et de dépendance à l'égard des banques alimentaires. La «transition verte» présentée comme une bouée de sauvetage par Unifor, GM et les gouvernements fédéral et ontarien a au contraire entraîné la ruine économique.

À l'usine Ford d'Oakville (Ontario), la production de véhicules électriques a été reportée à 2027, après que les travailleurs ont été informés, lors de la ratification de la convention collective, qu'ils ne devaient s'attendre qu'à une fermeture de huit mois. L'accord pour 2023 a été adopté de justesse, la majorité des travailleurs d’Oakville ayant voté «non» ainsi que ceux des métiers spécialisés. À GM St-Catharines, les effectifs ont été divisés par deux, tandis que l'activité de Stellantis à Windsor, promise à trois équipes complètes, a été reportée au début de l'année 2026.

La solution : l'unité internationale de la base contre la guerre commerciale et le nationalisme

L'agitation d'Unifor en faveur de représailles de guerre commerciale et d'incitations à l'investissement « d'abord canadien » est le miroir politique de la cour que le gouvernement Carney fait à Trump. Les deux représentent la même politique de classe : protéger les profits capitalistes par des tarifs douaniers et le militarisme aux dépens du niveau de vie de la classe ouvrière. Le nationalisme canadien n'est pas une défense des travailleurs, mais un mécanisme pour les subordonner aux intérêts de «leur propre» classe dirigeante.

Les travailleurs n'ont aucun intérêt à soutenir la rhétorique «jouer du coude» adoptée par le conservateur Pierre Poilievre et les nationalistes de la soi-disant «gauche». On ne peut pas non plus se fier à l'approche de plus en plus conciliatrice de Carney en ce qui concerne les relations avec l'administration Trump. Quoi que fasse Carney, qu'il soutienne les efforts des puissances impérialistes européennes pour étendre la guerre contre la Russie en Ukraine ou qu'il cherche à négocier un « nouvel accord économique et de sécurité » avec le fasciste Trump, il cherche à promouvoir les intérêts de l'impérialisme canadien.

Les travailleurs ne peuvent combattre Trump et tout ce qu'il représente que sur la base d'un programme de lutte de classe en opposition à tous les camps de la bourgeoisie canadienne et en forgeant une unité de combat avec la classe ouvrière aux États-Unis. En effet, les travailleurs, que ce soit en Amérique du Nord ou à l'échelle internationale, ne peuvent pas défendre leurs emplois et leurs moyens de subsistance en pleine guerre commerciale mondiale – qui plus est, fait partie d'une guerre mondiale impérialiste en développement – en s'alignant sur leur « propre » classe dirigeante.

La classe ouvrière des marchés profondément intégrés des États-Unis, du Canada et du Mexique doit tracer sa propre voie commune et indépendante.

Ils doivent unir leurs forces dans un mouvement unifié de la classe ouvrière nord-américaine, en développant des comités de base, indépendants de l'appareil syndical, dans le cadre de l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC). Ces comités organiseront l'opposition aux demandes de suppressions massives d'emplois, aux concessions et à la destruction des services publics et des programmes sociaux. En outre, l'opposition à la guerre commerciale et à ses effets désastreux sur la classe ouvrière doit être imprégnée d'un programme internationaliste socialiste à travers le monde, dont les principes clés sont l'opposition à la guerre impérialiste, au chauvinisme anti-immigrés et à la destruction des droits démocratiques.

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