Le gouvernement du Parti conservateur uni (PCU) de l'Alberta mène une offensive brutale contre les droits démocratiques de plus de 51 000 enseignants et travailleurs de l'éducation des écoles publiques. Au petit matin du mardi, après seulement une demi-journée de débat, il a adopté une loi draconienne – le projet de loi 2, intitulé Back to School Act – qui rend illégale une grève de trois semaines dans les écoles publiques de la province (ordinaires, catholiques et francophones) et impose aux enseignants un contrat de travail de quatre ans truffé de reculs, qui a déjà été rejeté à une écrasante majorité le mois dernier.
La loi invoque, pour la deuxième fois seulement dans l'histoire de l'Alberta, la « clause dérogatoire » antidémocratique du Canada. Celle-ci permet aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada d'adopter des lois qui violent les droits démocratiques censés être garantis par la Charte des droits et libertés, notamment le droit de grève et le droit de négociation collective.
En vertu du Back to School Act, les enseignants sont légalement tenus de retourner dans leurs classes mercredi matin. Tout enseignant qui refuse de se conformer à cette loi s'expose à une amende de 500 dollars par jour. L'Association des enseignants de l'Alberta (ATA) et d'autres syndicats sont menacés de sanctions pouvant atteindre 500 000 dollars s'ils soutiennent une grève « illégale ».
Conscient du large soutien dont bénéficient les enseignants et leur lutte pour l'amélioration du financement et du personnel dans l'éducation, le ministre des Finances de l'Alberta, Nate Horner, a promis lundi qu'il y aurait des « conséquences » pour tous les travailleurs qui se joindraient à des grèves de solidarité en faveur des enseignants.
Une guerre de classe à l'échelle de l'Amérique du Nord
L'attaque contre les enseignants de l'Alberta s'inscrit dans le cadre d'une guerre de classe menée par les élites dirigeantes contre la classe ouvrière dans toute l'Amérique du Nord. Aux États-Unis, l’aspirant dictateur Donald Trump est en train d'ériger une dictature présidentielle pour démanteler les droits des travailleurs, comme le montrent la fermeture actuelle du gouvernement qui a licencié des centaines de milliers de travailleurs et le projet de laisser expirer les bons alimentaires dont dépendent des dizaines de millions de personnes.
La classe dirigeante canadienne a réagi aux droits de douane « America First » de Trump et à ses menaces d'annexion du pays en se déplaçant massivement vers la droite. Au cours de l'année écoulée, les gouvernements libéraux de l'ancien premier ministre Justin Trudeau et de l'actuel premier ministre Mark Carney ont criminalisé les grèves des travailleurs des transports et de Postes Canada sur la base d'une « réinterprétation » inventée de toute pièce d'une clause obscure du Code du travail canadien. Suivant l'exemple d'Ottawa, le Québec a adopté une loi (projet de loi 89) qui prive les travailleurs des secteurs privé et public du droit de grève en élargissant la définition des « services essentiels » et en donnant au ministre du Travail le pouvoir de déclarer unilatéralement illégales les grèves.
Au Canada et aux États-Unis, les gouvernements à tous les niveaux réduisent drastiquement les dépenses sociales pour financer le réarmement, la guerre et l'enrichissement de l'oligarchie financière.
Carney a promis d'imposer un budget de réduction des coûts impitoyable le 5 novembre sous la bannière « austérité et investissement ». L'ancien banquier central cite désormais le plan soutenu par le gouvernement visant à supprimer jusqu'à deux tiers des 55 000 emplois de Postes Canada comme référence pour le type de restructuration brutale prévue dans tous les domaines économiques, mais en particulier dans les services publics tels que l'éducation, les soins de santé et l'aide sociale.
L'intensification de la lutte des classes au Canada, soulignée par la multiplication des grèves, et les manifestations de masse qui éclatent aux États-Unis contre Trump mettent en évidence la force sociale capable de défendre les droits démocratiques et de s'opposer à l'austérité capitaliste et à la guerre : la classe ouvrière nord-américaine.
Comme toujours lorsque les gouvernements s'attaquent aux travailleurs de l'éducation, la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, a prétendu agir dans l'intérêt des écoliers et des parents en difficulté en imposant sa loi anti-grève. Bien que son gouvernement ait refusé de négocier le plafonnement de la taille des classes, elle a insisté sur le fait qu'il reconnaissait les préoccupations des enseignants et qu'il mettrait en place un « groupe de travail sur la taille et la complexité des classes » pour y répondre, alors même qu'elle utilisait le pouvoir de l'État pour priver les enseignants du droit de lutter pour des classes moins nombreuses, une augmentation des effectifs et un salaire décent.
Smith n'était pas présente lors du vote final sur le projet de loi. Elle était déjà partie en mission commerciale au Moyen-Orient, où elle rencontrera les hauts responsables de la monarchie absolue d'Arabie saoudite, un cadre tout à fait approprié pour une première ministre qui vient de promulguer l'une des lois les plus antidémocratiques de l'histoire moderne du Canada.
La critique la plus virulente que Naheed Nenshi, chef de l'opposition du Nouveau Parti démocratique (NPD) de l'Alberta, ait pu formuler a été de qualifier Smith de « lâche » pour avoir « bafoué les droits des travailleurs », alors qu'elle avait manqué le vote final pour prendre son avion à destination de l'Arabie saoudite. Nenshi et son parti espèrent pouvoir revenir au pouvoir dans la province en surfant sur la vague de colère des travailleurs, sans pour autant avoir l'intention de répondre aux revendications des enseignants. Sous l'ancienne première ministre néo-démocrate Rachel Notley, de 2015 à 2019, les commissions scolaires de toute la province ont subi des coupes budgétaires effectives dans le financement par élève, des pénuries de personnel de soutien, une augmentation de la taille des classes et une réduction des services.
Les enseignants ont fait preuve d'une détermination extraordinaire dans leur lutte contre le gouvernement d'extrême droite de Smith. Leur grève a été motivée par l'explosion de la taille des classes, le manque chronique de personnel, des charges de travail épuisantes et des salaires réels qui se sont érodés année après année.
Le mois dernier, les enseignants ont voté à plus de 89 % contre une entente de principe proposée conjointement par le gouvernement et la bureaucratie de l'ATA. Cet accord, que le gouvernement impose désormais par des moyens autoritaires, prévoyait une augmentation salariale de 12 % étalée sur quatre ans, bien en deçà de ce que les enseignants ont perdu et perdront en termes réels en raison de l'inflation ; il ne répondait manifestement pas à la crise des classes surchargées et à la grave pénurie d'assistants pédagogiques et de soutien en santé mentale.
Les enseignants ont rejeté cet accord malgré l'insistance des dirigeants syndicaux qui affirmaient qu'il représentait « la meilleure entente possible ». Grâce à ses ressources énergétiques, l'Alberta est la province la plus riche du Canada, mais le financement par habitant pour les élèves des écoles publiques y est le plus bas du pays.
La criminalisation de la grève des enseignants par le gouvernement conservateur et l'invocation de la « clause dérogatoire » autoritaire pour la protéger de toute contestation judiciaire sont une réponse au fait indéniable que les éducateurs de la base ont montré qu'ils étaient prêts à mener un combat sérieux.
La classe dirigeante craint que cette lutte ne devienne le catalyseur d'un mouvement plus large de la classe ouvrière à travers le Canada.
Le PCU de Smith est une formation d'extrême droite, étroitement liée aux magnats du pétrole de la province et à d'autres intérêts corporatifs, et dont la base militante est composée de fondamentalistes chrétiens, de séparatistes albertains et du mouvement réactionnaire anti-santé publique «Convoi de la liberté » qui a menacé le Parlement et bloqué les postes-frontières en 2022. Smith a ouvertement appelé Donald Trump à exempter l'Alberta de ses mesures de guerre commerciale contre le Canada, lui offrant de mettre à sa disposition les richesses pétrolières et gazières de la province pour établir une « domination énergétique » mondiale. Son projet politique s'inscrit pleinement dans la volonté de l'extrême droite mondiale de détruire les services publics, d'éliminer toutes les restrictions réglementaires sur les profits des entreprises, de réprimer toute lutte de la classe ouvrière et de criminaliser la dissidence.
Sentant la colère de la masse, la Fédération du travail de l'Alberta (AFL) et le Congrès du travail du Canada (CTC) ont promis une « action collective sans précédent » en réponse à la loi de retour au travail du PCU et à l'invocation de la clause dérogatoire.
Le président de l'AFL, Gil McGowan, a déclaré lundi soir sur les réseaux sociaux que l'ensemble du mouvement syndical se préparait à intervenir, et la présidente du CTC, Bea Bruske, se rendra mercredi en Alberta pour «promettre un soutien national ». Mais ces manifestations de solidarité supposée ne visent pas à mobiliser les travailleurs, mais à contenir et à désamorcer la lutte. Elles ont pour but de ramener les enseignants dans le giron de la politique et des structures de l'establishment capitaliste : contestations judiciaires sans issue, manifestations symboliques, négociations en coulisses et campagnes électorales du NPD pour des élections qui ne sont pas prévues avant octobre 2027.
Immédiatement après l'adoption du projet de loi 2, l'ATA a signalé sa soumission à l'ordre de retour au travail. Dans une déclaration écrite, elle a déclaré : « Notre message au gouvernement est simple [...] Notre lutte pour atteindre nos objectifs légitimes se poursuivra par d'autres moyens », ajoutant qu'elle « explorera toutes les avenues légales ». En d'autres termes, les enseignants seront contraints de retourner en classe sous la menace d'amendes exorbitantes, tandis que le syndicat traînera en longueur des procédures judiciaires symboliques qui prendront des années et n'aboutiront à rien.
La bureaucratie syndicale a agi à maintes reprises en tant que principal exécutant des interdictions de grève imposées par le gouvernement, notamment contre les postiers, les cheminots, les débardeurs et les travailleurs du secteur public.
À deux reprises, lorsque la pression exercée par les travailleurs de la base a contraint les dirigeants syndicaux à sanctionner à contrecœur le non-respect des décrets de retour au travail, ceux-ci ont comploté en coulisses pour poignarder les travailleurs dans le dos à la première occasion. Ce fut le cas pour 55 000 travailleurs du soutien à l'éducation en Ontario en 2022, qui, après avoir courageusement défié l'interdiction de grève et précipité un mouvement en faveur d'une grève générale à l'échelle de la province, ont été renvoyés au travail dans le cadre d'un accord avec le gouvernement de droite de Ford qui ne répondait à aucune de leurs revendications. Moins d'un mois plus tard, le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) a imposé aux travailleurs une convention collective truffée de reculs.
C'est également le sort qu'ont connu les travailleurs d'Air Canada en août dernier. Après avoir défié l'interdiction de grève du gouvernement libéral, ils ont été trahis sans ménagement, les dirigeants syndicaux s'étant entendus avec les responsables gouvernementaux et les dirigeants d'Air Canada pour leur imposer une convention collective qui maintient les pratiques de travail non rémunéré et d'horaires épuisants. En vertu de l'accord négocié par le SCFP, les travailleurs se sont vu refuser le droit de voter sur la plupart des clauses de la convention collective et ont été privés du droit de grève.
La solution pour les enseignants
La question cruciale est maintenant de savoir comment les enseignants de l'Alberta peuvent défier l'interdiction autoritaire de grève du gouvernement Smith. Ils doivent d'abord reconnaître qu’une attitude de défi nécessite une lutte de classe politique qui mobilisera le pouvoir politique et social de la classe ouvrière, car ils ne contesteraient pas seulement l'ordre réactionnaire de retour au travail de la législature, mais aussi l'ensemble du programme des entreprises canadiennes et de leurs porte-parole politiques.
Les conditions sont favorables à la construction de ce mouvement. Des centaines de milliers de travailleurs ont participé à des grèves à travers le Canada au cours des derniers mois, et des millions d'autres luttent contre la stagnation des salaires, la précarité de l'emploi et la destruction des services publics dont ils dépendent. Lutter pour élargir le mouvement en s'appuyant sur ce soutien de masse permettrait de créer les bases d'une contre-offensive menée par les travailleurs pour briser le pouvoir de l'oligarchie financière et établir des gouvernements ouvriers dédiés à des politiques socialistes qui donneraient la priorité aux besoins sociaux de la grande majorité et aux droits des travailleurs, et non à l'accumulation de profits toujours plus importants pour les entreprises et à la conduite de guerres impérialistes.
Pour que leur attitude de défi envers le gouvernement Smith soit le catalyseur de cette lutte, les enseignants ont besoin de nouvelles organisations démocratiques : des comités de base, dirigés par les travailleurs de l'éducation dans chaque école et chaque district. Ces comités doivent coordonner des grèves de masse, lancer un appel aux infirmières, aux postiers, aux travailleurs de l'automobile, au personnel universitaire et à tous ceux qui sont confrontés à des attaques similaires, organiser des manifestations de masse dans toute la province et promouvoir des revendications pour de réelles augmentations salariales, des écoles publiques entièrement financées, des classes moins nombreuses et des services de soutien élargis.
Avant tout, ils doivent étendre la lutte au-delà des frontières provinciales de l'Alberta en s'unissant aux travailleurs de l'éducation, aux travailleurs des secteurs public et privé de tout le Canada et aux travailleurs américains qui luttent contre des attaques similaires contre leurs moyens de subsistance.
La solution consiste à construire un réseau d'organisations de base reliées entre elles au-delà des lieux de travail, des provinces et des frontières nationales. Un tel mouvement dispose déjà d'un cadre dans l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC), qui lutte pour unir les travailleurs du monde entier dans un combat contre l'austérité, les inégalités et la guerre.
