Joe Parnarauskis, combattant ouvrier pour le socialisme, est décédé le 23 octobre à Duluth, dans le Minnesota, après une longue lutte contre une forme agressive de démence. La cause immédiate de sa mort fut le COVID-19, contracté dans la maison de retraite où il vivait depuis deux ans. Il avait 71 ans.
Les lecteurs de longue date du World Socialist Web Site se souviendront surtout de sa candidature au Sénat de l’État de l’Illinois en 2006. Parnarauskis et les partisans du Parti de l’égalité socialiste (Socialist Equality Party - SEP) avaient alors résisté aux manœuvres du Parti démocrate de l’Illinois qui tenta d’empêcher son nom de figurer sur le bulletin de vote, parti dont le membre le plus éminent était alors le sénateur de cet État, Barack Obama.
Parnarauskis et le SEP remportèrent cette bataille et, avec un budget quasi inexistant, recueillirent 1 894 voix, soit environ 3,4 % des suffrages exprimés dans la 52ᵉ circonscription de l’Illinois. Celle-ci comprenait Champaign, Urbana et le campus de l’Université de l’Illinois ainsi que Danville, site d’une fonderie abandonnée de General Motors, des zones rurales et une série d’anciennes villes minières, dont sa ville natale de Westville.
Pour obtenir le droit de figurer sur le bulletin de vote, Parnarauskis et ses partisans ont recueilli près de 5 000 signatures. Les responsables du Parti démocrate ont tenté d'en invalider, à tort, plus de la moitié.
Cette campagne électorale, ainsi que celle menée par l'auteur de ces lignes pour la Chambre des représentants de l'Illinois en 2004, ont été des expériences importantes pour le SEP et la classe ouvrière. Elles démontrèrent que l’hostilité acharnée de la classe dirigeante aux droits démocratiques n’était pas l’apanage du Parti républicain dont la victoire dans l’élection Bush-Gore de 2000 avait reposé sur l’arrêt du dépouillement en Floride. Ces campagnes montrèrent que le Parti démocrate était lui aussi prêt à piétiner les droits démocratiques de milliers de signataires de pétitions afin d’empêcher des candidats socialistes de figurer au bulletin de vote.
Parnarauskis a joué un rôle central dans les deux campagnes menées dans l'Illinois. Comme il l’expliqua lui-même dans une adresse à ses partisans, après avoir repoussé les tentatives du Parti démocrate de l’écarter du scrutin :
Ce combat portait sur des principes démocratiques essentiels. Un citoyen ordinaire a-t-il le droit de se présenter à une élection pour défendre les intérêts des travailleurs, ou bien seuls ceux qui sont personnellement riches ou soutenus par des sommes colossales de capitaux patronaux en ont-ils le droit ? Le peuple a-t-il le droit de voter pour le candidat de son choix ?
En surface, l’affrontement entre le Parti démocrate et le SEP pouvait sembler inégal. Les démocrates disposaient d’une puissante machine politique, de millions et de millions de dollars, et d’avocats grassement rémunérés.
Mais dans notre lutte, nous nous sommes appuyés sur les intérêts de l’immense majorité de la population — les travailleurs et la jeunesse de l’Illinois, des États-Unis et du monde entier —, privés de toute représentation politique par des partis qui parlent au nom du grand capital. Nous savions que, malgré leurs ressources, ces partis reposent sur une base sociale de plus en plus étriquée, et que le soutien qui leur reste dans la population en général est sapé par leur politique belliciste et pro-patronale.
Notre victoire montre dans un microcosme la force que la classe ouvrière peut exercer lorsqu’elle s’appuie sur un programme socialiste et internationaliste. Au cours de cette lutte, des dizaines de lettres de protestation furent envoyées depuis l’Illinois, depuis plus d’une dizaine d’autres États américains et depuis de nombreux pays — la Grande-Bretagne, Singapour, l’Australie, Taïwan, le Japon, le Canada, l’Allemagne et le Sri Lanka.
Joseph J. Parnarauskis est né le 15 mars 1954 à Danville, dans une famille ouvrière. Son père, Joe Sr., vétéran de la Seconde Guerre mondiale, travaillait comme réparateur de télévisions. Sa mère, Irene, était infirmière à l’Administration des anciens combattants. Du côté paternel, la famille était issue de mineurs de charbon lituaniens installés dans l’Illinois. Du côté maternel, elle descendait de mineurs de fer et de cuivre slovaques de la péninsule supérieure du Michigan. Ces deux régions furent, au début du XXᵉ siècle, le théâtre de luttes de classes historiques où les immigrés jouèrent un rôle central et où l’influence du socialisme était forte.
Joe faisait entrer dans sa compréhension des problèmes de son temps une partie de ce qu’avaient vécu ces générations antérieures. Comme beaucoup de jeunes de son âge, il fut radicalisé par la guerre du Vietnam — allant jusqu’à s’emparer du système de sonorisation du lycée de Westville pour dénoncer la guerre devant l’ensemble des élèves, ce qui lui a valu une suspension! Mais contrairement à beaucoup de membres de cette génération, Joe n'a jamais perdu sa haine de l'impérialisme américain et de ses crimes de guerre.
Après avoir travaillé plusieurs années dans le chargement de marchandises, il a suivi une formation pour devenir infirmier diplômé, obtenant un diplôme d'associé en 1984, puis une licence de sciences. Il a commencé à exercer comme infirmier en 1984. Durant les 27 dernières années de sa carrière, il a travaillé dans le domaine physiquement et mentalement exigeant des soins infirmiers psychiatriques, avant de prendre sa retraite du Provena Covenant Medical Center à Urbana en 2018.
Joe était un professionnel dévoué, très admiré de ses collègues. Il se portait souvent volontaire pour les quarts de nuit afin que les infirmières ayant de jeunes enfants puissent travailler pendant la journée. Ancien joueur de football américain au poste d'attaquant, Joe était souvent chargé des tâches les plus difficiles physiquement à l'hôpital. Il devait souvent s'occuper de patients souffrant des effets brutaux de la toxicomanie qui touchait tant de villes du ‘Rust Belt’. Les pressions liées à son travail ont eu leur effet.
Joe a également été confronté aux difficultés liées à l'intolérance envers les homosexuels dans les années 1980. Son compagnon, Mark Haun, que Joe décrivait souvent comme «l'amour de ma vie», est décédé de l’épidémie de sida.
Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires à Westville en 1972, Joe suivit brièvement des cours à l’Université de l’Illinois, à Champaign-Urbana. C’est là qu’il fut attiré par la politique radicale de contestation, caractéristique des villes universitaires américaines. Dans les années 1980, il s’engagea activement contre les «sales guerres» menées par Washington en Amérique centrale.
Avec le temps, Joe se montra de plus en plus critique envers la politique protestataire et d’identité dont il constata qu’elles n’avaient résolu aucun des problèmes contre lesquels il se battait.
Puis, l'invasion américaine de l'Irak l'a une fois de plus radicalisé, et il s'est «réengagé», comme il le dit lui-même. À la recherche d'une perspective, Joe a commencé à lire régulièrement le WSWS à l'approche de l'invasion de 2003, a pris contact avec le SEP cette année-là et a décidé de rejoindre le mouvement trotskyste mondial. Cela a marqué le début d'une décennie intense d'activité politique. Non seulement Joe a contribué à mener la lutte pour l'obtention du statut électoral du SEP dans l'Illinois en 2004 et 2006, il est encore intervenu activement dans des grèves et a distribué des tracts sur les lieux de travail et dans les universités, tout en participant régulièrement aux réunions nationales, aux écoles et aux rassemblements du SEP.
Joe s'est progressivement éloigné de l'activité politique peu avant de prendre sa retraite d'infirmier en 2018. Peu de temps après, on diagnostiqua chez lui une démence. Il a alors déménagé à Cloquet, dans le Minnesota, pour vivre avec sa sœur Rita, qui s'est occupée de lui pendant ses dernières années.
Ses camarades se souviendront de Joe pour son dévouement et son esprit combatif, ainsi que pour son sens de l'humour, sa générosité et sa chaleur humaine.
