Le ministère américain du Travail a publié un document de 36 pages défendant l'une des élections syndicales les plus antidémocratiques de l'histoire des États-Unis : le vote de 2022-2023 pour élire les dirigeants de l'UAW. Sa « déclaration supplémentaire des motifs » du 31 octobre rejette la plainte de Will Lehman, un travailleur socialiste de Mack Trucks et candidat à la présidence de l'UAW en 2022, qui a documenté le musellement systématique du vote lors de l'élection supervisée par le gouvernement qui a porté Shawn Fain au pouvoir.
Le rapport n'a été publié qu'après qu'un juge fédéral du Michigan a ordonné à plusieurs reprises aux administrations Biden et Trump de répondre. Il justifie tous les abus commis par la bureaucratie de l'UAW. Il présente une élection à laquelle moins de 9 % des 1,1 million de membres ont voté comme le résultat des « efforts raisonnables » déployés par l'UAW pour garantir le droit de vote et le soutien aux candidats de leur choix. Le fait que 91 % des membres aient été effectivement exclus n'a pas infirmé la conclusion du ministère du Travail selon laquelle « aucune violation susceptible d'avoir influencé le résultat de l'élection n'a été constatée ».
La plainte de Lehman a révélé comment l'UAW a délibérément omis d'informer ses membres de l'élection, refusé de mettre à jour les listes de diffusion et laissé des dizaines de milliers de bulletins de vote non distribués. La réponse du ministère du Travail reprend presque mot pour mot les arguments avancés par la bureaucratie elle-même.
Dans une déclaration en réponse à la décision du ministère du Travail, Will Lehman a affirmé :
Ce rapport prouve que le gouvernement, la bureaucratie de l'UAW et les entreprises font partie d'un même système de contrôle. Le ministère du Travail admet que ce que je disais était vrai – que des dizaines de milliers de personnes n'ont jamais reçu de bulletins de vote et que seul un travailleur sur dix a voté – mais déclare que cela n'a aucune importance car cela n'aurait pas influencé le résultat. Les membres et les retraités de l'UAW reconnaîtront qu'il s'agit là d'une violation de la logique et du bon sens qui sert à ratifier les violations de leurs droits.
L'un des passages les plus remarquables du document du ministère du Travail concerne sa prétendue « enquête » visant à déterminer si les membres avaient été informés de l'élection. Au lieu d'interroger les travailleurs ou d'examiner les plus de 100 déclarations fournies par Lehman et son avocat, qui témoignaient d'une confusion généralisée et d'une privation du droit de vote, le ministère s'est entièrement appuyé sur une petite enquête téléphonique et par courrier électronique menée auprès des responsables locaux de l'UAW.
Ces responsables, dont beaucoup devaient leur poste au même appareil bureaucratique qui supervisait l'élection, ont assuré aux enquêteurs qu'ils avaient affiché des avis et discuté du vote lors de réunions. Le ministère du Travail a accepté sans broncher ces affirmations intéressées et a conclu que l'UAW avait fait « des efforts raisonnables pour tenir à jour une liste de diffusion précise, informer les membres de l'élection à leur dernière adresse connue et leur donner une possibilité raisonnable de voter ». Il a ignoré les preuves contraires accablantes présentées par Lehman, notamment les déclarations sous serment de travailleurs de tout le pays qui n'ont jamais reçu de bulletins de vote, n'ont jamais entendu parler de l'élection avant qu'elle ne soit terminée ou se sont vu dire par les responsables locaux que les employés temporaires et à temps partiel n'avaient pas le droit de voter.
En d'autres termes, le ministère du Travail a accepté la parole des responsables accusés d'avoir censuré l'élection tout en ignorant le témoignage de ceux qui ont été privés de leur droit de vote par eux. Il en résulte un document qui renverse le sens même du terme « enquête ».
Dans certaines sections locales, le taux de participation était quasi nul. Dans les sections locales universitaires de l'Université de Californie, qui représentent plus de 48 000 travailleurs diplômés et chercheurs, à peine 2 % des membres ont voté. À la section locale 4121 de l'Université de Washington, seuls 3 % ont voté. Pourtant, le ministère du Travail insiste sur le fait que ces chiffres ne prouvent rien, affirmant que « le faible taux de participation en soi ne constitue pas une violation indépendante de la LMRDA [loi sur la déclaration et la divulgation des informations relatives aux relations entre les syndicats et les employeurs] ». Il cite un précédent datant des années 1970 qui exigeait la preuve d'une « baisse significative du taux de participation par rapport aux élections précédentes », alors qu'il n'y avait jamais eu auparavant d'élection directe des responsables de l'UAW.
Le ministère du Travail soutient que quelques brèves mentions dans Solidarity Magazine, sur le site web de l'UAW et dans les avis des syndicats locaux ont constitué une élection « largement médiatisée », allant jusqu'à affirmer que « l'UAW a dépassé les exigences de la LMRDA en matière d'avis d'élection à ses membres ».
Rejetant les constats de Lehman sur les violations électorales, le ministère du Travail se cache derrière l'argument fallacieux selon lequel rien de tout cela « n'a pu influencer le résultat ». Ce sophisme rend le droit de vote insignifiant. Même si des centaines de milliers de personnes se sont vu refuser le droit de vote, le ministère affirme que le résultat doit être maintenu à moins que Lehman ne puisse prouver que le nombre d'électeurs exclus dans chaque cas de privation du droit de vote, et non pas dans l'ensemble, a dépassé l'écart entre Fain et Ray Curry (le président sortant). Selon cette logique, plus la participation est faible, plus la victoire de la bureaucratie est assurée.
La campagne de Lehman a été systématiquement entravée par les responsables de l'UAW qui ont agi comme des agents de la direction. Dans plusieurs usines – notamment les usines GM du Michigan, de l'Indiana, du Missouri et du Texas, les usines Ford du Michigan et du Kansas, les usines Stellantis de la région de Detroit, les usines de pièces automobiles de l'Ohio et du Kentucky, les usines de camions Daimler et Volvo en Caroline du Nord et en Virginie – ses partisans ont distribué des tracts de campagne sans ingérence de la direction jusqu'à ce que les responsables de l'UAW alertent la sécurité de l'entreprise, qui a alors envoyé des gardes pour les expulser.
Le ministère du Travail approuve cette collaboration, affirmant qu'« il n'y avait aucune preuve que les règles électorales ou autres règles applicables interdisaient aux représentants de l'UAW de signaler la campagne à l'employeur » ou que « les représentants de l'UAW avaient indûment provoqué l'expulsion de vos partisans des lieux de travail ».
Il affirme qu'il n'y a aucune preuve que les « membres concernés » aient été «soumis à des sanctions, des mesures disciplinaires ou des ingérences ou représailles abusives de quelque nature que ce soit », même si les responsables syndicaux ont photographié des travailleurs de la base qui s'étaient arrêtés pour parler à Lehman et à ses partisans. Le ministère cite même une jurisprudence suggérant que le harcèlement ou l'intimidation par des responsables syndicaux peut constituer un « discours protégé ».
En ce qui concerne le harcèlement des partisans de Lehman par l'UAW à l'usine Volvo New River Valley de Dublin, en Virginie, le 17 octobre 2022, le ministère du Travail déclare :
Même si le syndicat a indûment interféré avec une campagne autorisée sur la voie publique, une telle violation potentielle n'aurait pas changé le résultat de l'élection. Même si les 3918 membres de l'UAW de l'usine avaient voté pour vous en plus des 4777 voix que vous avez obtenues lors de l'élection générale, vous n'auriez pas pu dépasser les deux principaux candidats à la présidence : Curry (39 572 voix) et Fain (38 598 voix).
Au cours du débat présidentiel officiel de l'UAW, l'ancien correspondant du New York Times Steven Greenhouse, qui agissait en tant que modérateur, a faussement attribué à Lehman une citation selon laquelle il cherchait à « abolir l'UAW » plutôt que sa bureaucratie. Les avocats du ministère du Travail ont rejeté les accusations de Lehman selon lesquelles le débat était injuste, car Greenhouse n'avait attribué de fausses déclarations à aucun des candidats, déclarant sans fondement qu'« il n'y avait aucune preuve que le modérateur semblait favoriser ou défavoriser un candidat en particulier ».
Le vote de 2022-2023 s'est déroulé dans le cadre d'un décret fédéral consensuel à la suite de la révélation d'un complot de corruption et de détournement de fonds qui a envoyé deux anciens présidents de l'UAW et plus d'une douzaine de hauts responsables en prison. Son objectif déclaré était de restaurer « la démocratie et la responsabilité » par le biais d'un vote direct. En réalité, l'élection avait pour but de redorer l'image du syndicat tout en préservant intact son appareil corporatiste.
Le contrôleur de l'UAW, le ministère et les tribunaux ont fonctionné de manière à protéger la bureaucratie de toute responsabilité.
Le ministère du Travail affirme qu'il est guidé par le principe de garantir des « élections libres et démocratiques » sans « s'écarter inutilement de la politique de longue date [du Congrès] contre toute ingérence inutile du gouvernement dans les affaires internes des syndicats ». C'est un mensonge. Le véritable objectif de l'intervention du gouvernement était de préserver une caste bureaucratique sur laquelle l'État capitaliste s'appuie pour maitriser la classe ouvrière.
Le résultat a été l’ascension de Shawn Fain, bureaucrate depuis 30 ans dont la conduite depuis lors a confirmé l'objectif de l'élection. En 2023, il a orchestré la fameuse « grève debout », qui a laissé la grande majorité des travailleurs de l'automobile à leur poste et a abouti à des reculs contractuels rédigés avec la participation de l'administration Biden. Fain a fait campagne pour Biden et Harris, affirmant que les bellicistes du Parti démocrate étaient les défenseurs de la classe ouvrière et qualifiant Trump de « briseur de grève».
Après le retour au pouvoir de Trump en 2025, Fain a changé de cap sans difficulté, louant les droits de douane et la politique guerrière de l'administration et s'engageant à faire de l'UAW « un partenaire dans la reconstruction de l'industrie américaine ». Alors que Trump déploie des troupes dans les villes américaines et qualifie les immigrants et les grévistes d'« ennemis intérieurs », Fain est devenu l'un de ses alliés les plus fiables pour faire respecter la discipline syndicale sous la bannière du nationalisme économique et de l'unité en temps de guerre.
Sous Biden, l'UAW et d'autres syndicats ont été appelés à contrôler la main-d'œuvre en pleine grève et à faire respecter la « paix sociale » pendant la campagne de réarmement menée par l'administration. Sous Trump, le même appareil est indispensable pour imposer son programme de guerre commerciale et la dictature de « guerre totale » exigée par l'impérialisme américain.
Dans sa déclaration en réponse à la décision du ministère du Travail, Lehman a expliqué :
Les travailleurs se sont vu refuser leur droit de vote, d'entendre un programme d'opposition et de s'organiser de manière indépendante. Ceux qui se sont battus pour le transfert du pouvoir à la base ont été calomniés, censurés et chassés des portes des usines. La décision du ministère du Travail s'inscrit dans le cadre d'une répression plus large des droits démocratiques actuellement menée par l'administration Trump avec le soutien total de l'appareil syndical.
Lehman a appelé à se tourner vers la classe ouvrière elle-même :
La véritable démocratie ne viendra pas des tribunaux ou du ministère du Travail. Elle passe par l'abolition de la structure bureaucratique qui impose la domination du patronat. Les travailleurs doivent créer des comités de base pour contrôler la production et la sécurité, défendre leurs emplois et relier leurs luttes à l'échelle internationale.
Il a souligné que l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) fournit le cadre de cette lutte :
Les usines sont aujourd'hui gérées comme des dictatures capitalistes, imposées par la bureaucratie de l'UAW. Pour briser cette dictature, les travailleurs doivent développer l'IWA-RFC, s'unir au-delà des frontières et construire un mouvement socialiste contre la guerre, les inégalités et le système capitaliste que les deux partis défendent.
