Le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a fait adopter sous bâillon une loi spéciale qui impose aux quelque 20.000 médecins omnipraticiens et spécialistes du Québec un nouveau mode de rémunération basé sur des objectifs de performance et assorti d’amendes sévères en cas de résistance.
Le Premier ministre François Legault affirme que l’objectif du projet de loi 2 – dont le titre officiel invoque «l’amélioration de l’accès aux services médicaux» – est d’offrir un médecin de famille à 1,2 million de Québécois. C’est un mensonge.
Si plus d’un million de citoyens (sur une population de 9 millions) n’ont pas accès à un médecin de famille, ce n’est pas la faute des omnipraticiens, mais des décennies d’austérité capitaliste imposées par les gouvernements successifs du Parti libéral du Québec, du Parti québécois et de la CAQ, ainsi que par les gouvernements libéraux et conservateurs au niveau fédéral.
De plus, l’état lamentable du réseau de la santé, comme en éducation et ailleurs, a été exacerbé par la gestion catastrophique de la pandémie de COVID-19 par la classe dirigeante québécoise et canadienne qui a fait passer les profits de la grande entreprise avant la santé et les vies humaines.
Le véritable objectif du gouvernement Legault – et de toute l’élite dirigeante – a toujours été de faire porter le fardeau de la crise du réseau aux travailleurs de la santé (préposés aux bénéficiaires, infirmières, techniciens, etc.) qui sont déjà surmenés, épuisés et mal payés. C’est un sort qu’il veut désormais imposer aux médecins qui oeuvrent sur le plancher dans des conditions de travail difficiles, mais qui jouissaient jusqu’ici d’une situation matérielle plus confortable. Ces professionnels font maintenant face à un processus de «prolétarisation».
À l’entrée en vigueur du PL2 le 1er janvier, 15% de la rémunération des médecins sera retenue et liée à d’arbitraires «cibles de performance» régionales et provinciales dans le but de forcer les médecins à prendre plus de patients en charge. Un nouveau système de «paiement par capitation» sera introduit, c’est-à-dire en fonction du nombre de patients inscrits sur leur liste et de leur niveau de vulnérabilité.
La loi rend illégal sur-le-champ le boycott de l’enseignement aux futurs médecins, le principal moyen de pression employé par les médecins durant leur long conflit avec le gouvernement Legault. Les deux fédérations des spécialistes et omnipraticiens du Québec (FMSQ et FMOQ) exhortent le gouvernement de retirer le projet de loi, mais demandent à leurs membres d’arrêter toute action collective.
Dans un acte flagrant d’intimidation et de répression, la loi menace de sévères amendes toute action «concertée» de protestation qui impliquerait «trois médecins ou plus», tel un boycott d’enseignement, un refus de travail ou une démission coordonnée. Les amendes iraient de 4.000$ à 20.000$ par jour pour les médecins impliqués, et de 100.000$ à 500.000$ par jour pour les fédérations. «En cas de récidive», précise le document législatif de 113 pages, les montants «sont portés au double».
Dans l’espoir de freiner un exode des médecins, la loi prévoit des pénalités pour ceux qui quitteraient le réseau public afin d'aller pratiquer à l’extérieur du Québec, puis des amendes supplémentaires et des pertes d'années de pratique pour ceux qui voudraient ensuite réintégrer le réseau.
C’est la huitième fois en sept ans que ce gouvernement majoritaire a recours au bâillon pour imposer des lois réactionnaires et impopulaires.
La classe ouvrière, à commencer par les travailleurs de la santé, doit prendre énergiquement la défense des médecins, parmi lesquels se trouvent des alliés importants dans la lutte pour la défense des services publics.
Cela demande une rupture avec la position des directions syndicales qui ont relayé pendant des années la propagande gouvernementale visant à faire des médecins les boucs émissaires d’une crise causée par des vagues successives de compressions budgétaires et d’abolitions de postes. La présidente de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Caroline Sennevile, déclarait par exemple en mai 2024 que «le fond du problème» de l’accès aux services de santé était «le mode de rémunération des médecins».
En rejetant cette posture des appareils syndicaux, qui aide le gouvernement Legault dans ses plans pour démanteler le réseau public et accélérer la privatisation des soins de santé avec la mise en place de l’agence Santé Québec, les travailleurs doivent comprendre que les méthodes autoritaires utilisées contre les médecins seront aussi employées contre les masses ouvrières qui entrent de plus en plus en confrontation avec l’oligarchie financière et l’État capitaliste.
Le programme de coupures sociales est incompatible avec des formes démocratiques de gouvernement. Le PL2 est une des nombreuses lois autoritaires visant à supprimer les droits de la classe ouvrière à travers le Canada, notamment le droit de grève.
Le projet de loi 89 – qui devrait entrer en vigueur fin novembre – donne des pouvoirs étendus au gouvernement pour sévèrement limiter le droit de grève dans tous les secteurs. De plus, celui-ci pourra nommer un arbitre à sa guise pour dicter les conventions collectives dans le cas où les travailleurs refusent les offres patronales.
Avec le projet de loi 3, Legault veut miner la capacité des syndicats à utiliser les cotisations syndicales pour mener des contestations judiciaires ou participer à des «mouvements politiques et sociaux». Le PL3 donne à l’État le pouvoir de superviser les votes de grève et de ratification de convention collective.
Au niveau fédéral, le gouvernement libéral – d’abord sous Justin Trudeau, puis sous l’ancien banquier d’affaires Mark Carney – a utilisé une réinterprétation frauduleuse de l’article 107 du Code du travail canadien pour criminaliser une série de grèves militantes des cheminots, des débardeurs et des postiers. Le Premier ministre Carney utilise maintenant la guerre commerciale lancée par Trump pour justifier le démantèlement des services publics et un financement massif de l’appareil militaire meurtrier de l’impérialisme canadien.
En essence, Legault et Carney n’agissent pas différemment de l’aspirant dictateur Donald Trump au sud de la frontière. Comme Trump, Macron en France, Starmer en Grande-Bretagne ou Merz en Allemagne, ils sont les représentants politiques de la mince couche de super riches qui exigent que l’État piétine les droits démocratiques et augmente l’exploitation des travailleurs pour mousser ses profits déjà faramineux et se préparer à la guerre mondiale.
En voulant défendre leurs conditions d’existence, les travailleurs entrent dans une lutte de classe qui est fondamentalement politique. Ils font face non pas à un simple employeur, mais à tout l’État capitaliste et à son appareil répressif (lois spéciales, tribunaux, police, etc.).
Pour s’armer adéquatement dans cette guerre de classe, les travailleurs ont besoin d’une nouvelle perspective et d’une nouvelle stratégie: l’unité à travers des comités de base, contrôlés par et pour les travailleurs, indépendamment des appareils syndicaux. Voilà l’une des leçons centrales à tirer des récentes luttes ouvrières, et en particulier de l’expérience des travailleurs du secteur public.
Lors des dernières «négos» de 2023-24, les syndicats ont systématiquement isolé leurs 600.000 membres dans un cadre strictement «québécois», refusant de faire appel aux travailleurs dans le reste du Canada qui sont confrontés aux mêmes attaques patronales.
Le Front commun, la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ) et la Fédération autonome de l’Enseignement (FAE) ont limité une des plus grandes grèves de l’histoire du pays à une simple négociation pour un contrat de travail respectant les contraintes fiscales établies par le gouvernement. Ils ont refusé d’en faire le déclencheur d’un mouvement d’opposition politique plus large contre Legault et tout le programme d’austérité de la classe dirigeante québécoise et canadienne.
Contrairement au mythe promu par l’establishment et par les syndicats (qui facilitent la tactique «diviser pour régner» de Legault), les médecins ne pensent pas qu’à leurs gros salaires. La pandémie de COVID-19 a démontré qu’un nombre important d’entre eux prennent la science au sérieux et les enjeux de santé publique à cœur. D’ailleurs, dans leur lutte, les médecins dénoncent le fait que la nouvelle loi va créer une médecine «fast food» minant la qualité des soins de santé pour la population.
Le nombre croissant de grèves ouvrières pointe vers la résurgence de la lutte des classes non seulement au Québec, mais à travers le Canada et internationalement. Un comité de base des travailleurs de la santé, en alliance avec des médecins progressistes, serait en mesure de se tourner vers cette puissante force sociale qu’est la classe ouvrière: la seule capable de contrer le programme d’austérité et de guerre de l’élite dirigeante et la seule prête à réorganiser la société sur la base des besoins humains et non des profits privés.
