Ce discours a été prononcé par Peter Schwarz, membre du comité de rédaction international du WSWS, le 2 novembre lors d'un événement organisé par Mehring Verlag à la Foire littéraire de gauche de Nuremberg.
La ville de Nuremberg avait auparavant menacé d'interdire l'événement si la description des actions d'Israël à Gaza comme un « génocide » et la condamnation de la politique de guerre du gouvernement allemand n'étaient pas retirées du texte annonçant la réunion. Mehring Verlag a protesté contre cette décision en distribuant un tract à tous les visiteurs de la Foire du livre. La réponse a été impressionnante. Environ 120 visiteurs se sont entassés dans la salle de cinéma complètement bondée pour écouter la conférence et protester contre la censure. Les éditeurs présents à la Foire du livre ont également adopté à l'unanimité une résolution contre la censure.
Il y a 80 ans, le 20 novembre 1945, le procès des principaux criminels de guerre nazis s'ouvrait au palais de justice de Nuremberg, à seulement trois kilomètres d'ici. Des personnalités politiques, des militaires et des fonctionnaires de premier plan du régime nazi ont été jugés par le Tribunal militaire international, spécialement créé à cet effet, pour crimes contre la paix (pour avoir planifié et mené une guerre d'agression), crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
Ce procès a ouvert une nouvelle voie juridique : le principe « Nulla poena sine lege », selon lequel un acte ne peut être puni que si sa criminalité était déjà établie par la loi au moment où il a été commis, a été partiellement suspendu. Cette décision semblait toutefois inévitable, compte tenu de l'ampleur des crimes commis par les nazis.
Les procès avaient pour but de dénoncer ces crimes au monde entier et de garantir que rien de similaire ne se reproduise jamais. D'importants principes du droit pénal international, qui ont ensuite été inscrits dans la Charte des Nations unies et le droit international, trouvent leur origine dans les procès de Nuremberg.
La plaque commémorative qui se trouve aujourd'hui devant la salle d'audience porte l'inscription suivante :
À Nuremberg, le Tribunal militaire international a mis en œuvre pour la première fois l'idée d'une « Cour pénale internationale ». Les principes élaborés à cette époque sont devenus connus sous le nom de « principes de Nuremberg » et ont constitué la base de la justice pénale internationale moderne. Cependant, ce n'est qu'avec le Statut de Rome de 1998 et la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye que la demande d'une autorité juridique permanente pour le droit pénal international a été satisfaite [...]
Nous savons bien sûr que cette loi est restée largement lettre morte. Les crimes de guerre impunis n'ont pas manqué au cours des 80 dernières années. Il suffit de penser à la guerre du Vietnam ou à la guerre en Irak. Néanmoins, il faut dire que l'ampleur de ces crimes a pris une nouvelle dimension.
Comme Katja Rippert l'a mentionné au début, la ville de Nuremberg a censuré le texte annonçant notre réunion et a menacé de l'interdire si nous ne supprimions pas les expressions « génocide à Gaza » et « crimes de guerre du gouvernement allemand ». L'une des raisons invoquées était que la description des actions d'Israël à Gaza comme un « génocide » relativisait les crimes historiques. C'est pour le moins un argument étrange.
La ville n'aborde pas la question de savoir si les actions d'Israël contre les Palestiniens constituent un génocide. Elle ignore les faits, les avis juridiques et les déclarations d'organisations de défense des droits humains et d'institutions internationales renommées qui le prouvent. Au lieu de cela, elle déclare que cette question ne devrait même pas être posée – et on devrait encore moins y répondre – car cela relativise l'Holocauste.
Cela renverse complètement la signification des procès de Nuremberg. Ces derniers avaient pour but de garantir que le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre ne soient plus jamais commis et que les responsables de tels crimes soient sévèrement punis.
Aujourd'hui, la ville de Nuremberg affirme que ces crimes ne doivent pas être nommés ni poursuivis, car cela reviendrait à relativiser les crimes des nazis. Elle transforme ainsi les procès de Nuremberg, qui étaient une arme contre les crimes de guerre, en une amnistie générale pour ces derniers. Un crime ne peut plus être qualifié de crime, car cela relativise un autre crime.
Génocide à Gaza
Le fait que le gouvernement israélien commette un génocide à Gaza est incontestable aux yeux de la grande majorité de la population mondiale. Des millions de personnes sont descendues dans les rues de Londres, Jakarta, New York, Berlin et des centaines d'autres villes pour protester contre cela.
La Cour pénale internationale, que la ville décrit sur la plaque commémorative du Palais de Justice comme l'incarnation des « principes de Nuremberg » et dont l'autorité est reconnue par l'Allemagne, a lancé il y a un an un mandat d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ministre de la Défense de l'époque, Yoav Galant. Ils sont accusés de crimes de guerre graves et de crimes contre l'humanité.
Au cours des sept premières semaines du conflit, l'armée israélienne a largué 18 000 tonnes de bombes sur Gaza. Depuis lors, aucun chiffre fiable n'a été communiqué. Si ce volume est resté constant, le total s'élèverait désormais à 275 000 tonnes d'explosifs, soit l'équivalent de 18 bombes d'Hiroshima. Elles ont explosé dans une zone qui couvre à peine 1 % de la Bavière et abrite plus de 2 millions de personnes.
Des hôpitaux, des universités, des écoles et des mosquées ont été délibérément détruits ; 90 % des habitations sont en ruines ; des immeubles de plusieurs étages ont été délibérément détruits, souvent sans que les habitants aient pu les quitter à temps. Des médecins, des ambulanciers, des travailleurs humanitaires et plus de 200 journalistes ont été tués, soit plus que dans tout autre conflit armé. Les journalistes qui couvrent ces crimes depuis Gaza risquent leur vie. Les journalistes des médias internationaux ne sont pas autorisés à entrer dans la bande de Gaza.
J'ajouterai que le dernier soi-disant « accord de paix » ne change rien à cela.
Les derniers otages israéliens encore en vie ont été libérés, mais les tueries se poursuivent sans relâche. Il ne se passe pratiquement pas un jour sans qu'Israël ne bombarde des cibles à Gaza, tuant des dizaines de personnes. L'approvisionnement en nourriture et en médicaments est à nouveau restreint après une brève ouverture permettant l'entrée de denrées alimentaires.
Même si les combats devaient cesser, la « paix éternelle » annoncée par Trump ressemblerait à un cimetière : Gaza serait transformée en protectorat sous la supervision de Donald Trump et du criminel de guerre britannique Tony Blair. L'armée israélienne continuerait d'occuper la frontière et une partie importante de la bande de Gaza. Et les Palestiniens n'auraient pas le moindre droit démocratique.
Mais revenons aux actions d'Israël. Depuis l'attaque du Hamas, toute personne en Allemagne qui critique la guerre menée par Israël est qualifiée d’antisémite.
Des artistes ont été interdits de spectacle, des universitaires ont été licenciés et de nombreux manifestants ont été battus et arrêtés pour avoir manifesté leur solidarité avec la Palestine. Bien que la Loi fondamentale allemande garantisse la liberté d'expression et interdise expressément la censure, il y a – comme à l'époque de l'Empire allemand – un officier de la police politique présent à chaque rassemblement pro-palestinien pour censurer les banderoles et les tracts avant qu'ils ne soient autorisés à être distribués.
La persécution et diffamation des opposants à la guerre de Gaza sert également de levier pour éliminer les droits démocratiques en Allemagne et établir un État policier. Il n'est pas surprenant que l'AfD, qui regorge d'antisémites purs et durs, soutienne avec enthousiasme cette ligne de conduite.
Les antisémites ne sont pas ceux qui dénoncent les crimes de Netanyahou et de l'État sioniste, mais ceux qui tiennent les Juifs collectivement responsables de ces crimes. Les antisémites sont ceux qui prétendent que l'État sioniste agit dans l'intérêt du judaïsme dans son ensemble.
Ceci est réfuté par le fait que de nombreux Juifs à travers le monde participent à des manifestations en défense des Palestiniens et rejettent les crimes du gouvernement israélien. La question devient encore plus claire lorsqu'on l'examine d'un point de vue historique.
La logique du sionisme : du mythe nationaliste au génocide de Gaza
Dans ce contexte, je recommande vivement le livre La logique du sionisme : du mythe nationaliste au génocide de Gaza, que nous présentons lors de cette réunion.
L'auteur, David North, est rédacteur en chef du WSWS et président du PES aux États-Unis. Il est actif dans le mouvement socialiste depuis plus de 50 ans et a écrit de nombreux livres sur des questions politiques et théoriques.
Comme il le raconte dans ce livre, North a lui-même des racines juives. De nombreux membres de sa famille ont été assassinés pendant l'Holocauste. Avant la Première Guerre mondiale et pendant la République de Weimar, son grand-père était l'un des plus grands chefs d'orchestre et compositeurs allemands. Il a réussi à fuir à temps aux États-Unis, où il a fondé le premier orchestre classique noir. Mais sa carrière a ensuite été ruinée.
North démontre que le projet sioniste, comme il l'écrit, était « fondé dès ses origines sur une idéologie réactionnaire et un programme réactionnaire ». Jusqu'à la catastrophe allemande, une grande partie des travailleurs et des intellectuels juifs liaient leur propre émancipation au dépassement de la société de classes capitaliste et s'orientaient vers le mouvement marxiste.
Les partis sociaux-démocrates, puis communistes, comptaient une forte proportion de membres juifs. Ces partis ont également joué un rôle de premier plan dans la lutte contre l'antisémitisme, à l'instar du socialiste français Jean Jaurès dans l'affaire Dreyfus.
C'était là la véritable raison de l'antisémitisme d'Hitler. « Ce n'est pas Rothschild, le capitaliste, mais Karl Marx, le socialiste, qui a attisé l'antisémitisme d'Adolf Hitler », écrit Konrad Heiden, auteur de l'une des premières biographies d'Hitler. Pour la même raison, Hitler a mené une campagne contre la « conspiration judéo-bolchevique ».
Le sionisme développé par Theodor Herzl dans les années 1890 s'opposait directement à cette perspective socialiste. À l'internationalisme du mouvement ouvrier socialiste, il opposait la création d'un État-nation juif en Palestine.
Herzl a fait cela à une époque où l'État-nation, dont le développement était étroitement lié à la révolution bourgeoise, ne jouait plus un rôle progressiste. La Première Guerre mondiale, qui a éclaté en 1914, en était l'expression. Sa cause fondamentale était l'incompatibilité de l'économie mondiale avec l'État-nation, que les capitalistes ont tenté de surmonter par un redécoupage violent du monde.
Dès le début, il était clair pour les sionistes que leur projet d'un « État juif » nécessitait l'expulsion violente de la population palestinienne et ne pouvait réussir que s'il était soutenu par les puissances impérialistes, si une ou plusieurs grandes puissances pouvaient être convaincues qu'un État sioniste servirait leurs intérêts impérialistes dans la région.
Dans ce contexte, North cite Vladimir Jabotinsky, le leader de l'aile d’extrême droite du mouvement sioniste et mentor du futur Premier ministre israélien Menahem Begin, qui écrivait en 1934 :
Je n'ai pas besoin de m'attarder sur le truisme bien connu de l'importance de la Palestine du point de vue des intérêts impériaux britanniques ; j'ai seulement à ajouter que sa validité dépend d'une condition primordiale : à savoir que la Palestine cesse d'être un pays arabe.
La Seconde Guerre mondiale a sapé l'alliance sioniste avec l'impérialisme britannique, qui se réorientait au Moyen-Orient. Certains sionistes ont réagi par des attentats terroristes contre des institutions britanniques. En 1946, par exemple, un attentat à la bombe perpétré par l'organisation clandestine sioniste Irgoun contre l'hôtel King David, siège de la Palestine mandataire britannique, a tué 91 personnes et en a blessé des dizaines d'autres.
Le livre de North indique :
Mais l'alliance avec l'impérialisme s'est poursuivie. Après sa création en 1948, Israël a joué un rôle essentiel dans la lutte de l'impérialisme britannique et français contre la montée du nationalisme arabe. En 1956, Israël s'est joint à la Grande-Bretagne et à la France pour envahir l'Égypte dans le but de renverser le régime nationaliste dirigé par Nasser et de reprendre le contrôle du canal de Suez. Cependant, après que les États-Unis aient contraint la Grande-Bretagne et la France à mettre fin à la guerre et à retirer leurs forces d'Égypte, Israël a donné la priorité à ses relations avec l'impérialisme américain.
La fondation de l'État israélien s'est accompagnée d'une violence extrême. Les milices sionistes ont massacré plus de 100 villageois (certaines sources parlent de 250) à Deir Yassin afin de semer la peur et la terreur et de chasser 750 000 Palestiniens, soit environ la moitié de la population palestinienne de l'époque.
Depuis deux ans, l'indignation suscitée par l'attaque du Hamas ne cesse d'être attisée. Ce que l'on ignore, c'est que c'est le sionisme qui a introduit la terreur comme méthode de lutte au Moyen-Orient. Parmi les victimes de la terreur sioniste figuraient des fonctionnaires britanniques à l'hôtel King David, les habitants de Deir Yassin et de nombreux autres villages, ainsi que le médiateur des Nations unies, le comte Folke Bernadotte, assassiné en 1948. Ce meurtre a été ordonné par Yitzhak Shamir, qui a ensuite occupé le poste de Premier ministre israélien de 1983 à 1992, avec une brève interruption.
North résume :
Le maintien d'un État d'apartheid juif, réprimant violemment le peuple palestinien tout en s'orientant vers le fascisme au sein même d'Israël, est inextricablement lié à son rôle de pilier de l'impérialisme au Moyen-Orient.
Il est clair que le soutien américain à Israël n'avait rien à voir avec la sympathie pour les Juifs ou les réparations pour l'Holocauste. Les États-Unis, qui ont fermé leurs frontières aux réfugiés juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ont continué à restreindre l'admission des Juifs dans leurs universités jusqu'aux années 1960. Et il y a de nombreux antisémites dans le mouvement MAGA de Trump. Les États-Unis arment Israël – les républicains et les démocrates sont d'accord sur ce point – parce qu'ils en ont besoin et l'utilisent pour dominer le Moyen-Orient.
Il en va de même pour l'Allemagne. Nous avons récemment publié sur le WSWS une critique du livre Israël et la raison d'État allemande de l'historien Daniel Marwecki.
Marwecki montre que la coopération étroite entre l'Allemagne et Israël n'avait rien à voir avec des « réparations », une expiation pour la Shoah ou quoi que ce soit de similaire. Il s'agissait d'un accord mutuel : l'Allemagne fournissait à l'État sioniste assiégé des armes, une aide économique et financière ; en échange, le gouvernement israélien fermait les yeux sur la présence continue d'élites nazies dans l'État et l'économie de la République fédérale et l'aidait à gagner en prestige international.
Cela n'a pas changé. L'Allemagne est le deuxième fournisseur d'armes d'Israël après les États-Unis. Ces dernières années, elle a fourni environ 30 à 47 % de toutes les importations d'armes israéliennes, notamment des missiles antichars, des navires de guerre, des roquettes et des moteurs pour chars, ainsi que des composants importants pour les véhicules terrestres et les équipements navals. En contrepartie, Israël sert à l'Allemagne, comme aux États-Unis, de tête de pont pour ses intérêts impérialistes au Moyen-Orient.
Notre mouvement, le Comité international de la Quatrième Internationale, défend les travailleurs et les jeunes palestiniens dans leur lutte contre l'oppression. Mais cette oppression ne peut être surmontée par une solution à deux États.
La création d'un État purement palestinien aux côtés d'un État purement juif ne ferait que perpétuer le conflit et entraînerait une nouvelle vague d'expulsions. Un tel État serait économiquement non viable et deviendrait une marionnette entre les mains des puissances impérialistes et de leurs alliés réactionnaires en Égypte, en Arabie saoudite et dans d'autres États arabes.
Toute l'histoire des mouvements nationaux – de l'OLP en Palestine au LTTE au Sri Lanka en passant par le PKK kurde, pour n'en citer que quelques-uns – montre qu'ils n'apportent aucune solution aux masses opprimées. Ils ont soit échoué lamentablement, soit été transformés en sbires d'une puissance impérialiste ou d'une autre.
L'oppression nationale aujourd'hui – comme toute forme d'oppression – ne peut être surmontée que par la lutte indépendante de la classe ouvrière internationale avec la perspective de la révolution socialiste. Le livre de David North affirme :
Le grand paradoxe historique et politique de la situation actuelle est le suivant : la classe ouvrière israélienne ne peut défendre ses propres droits démocratiques sans lutter pour les droits démocratiques du peuple palestinien contre l'oppression sioniste. Et les Palestiniens ne peuvent réaliser leurs aspirations à la démocratie et à l'égalité sociale sans forger une alliance de lutte avec la classe ouvrière israélienne. La seule perspective viable n'est pas une « solution à deux États » mythique, mais un État socialiste unifié des travailleurs juifs et arabes.
Aussi héroïque que puisse être la lutte des Palestiniens, les conditions intolérables auxquelles ils sont confrontés ne seront pas résolues sans le développement d'un mouvement international de la classe ouvrière pour le socialisme.
C'est une tâche énorme et difficile, mais c'est la seule solution réaliste. Son importance devient plus claire lorsque l'on considère la guerre à Gaza dans son contexte international.
Sonner l’alarme : le socialisme contre la guerre
Cela m'amène au deuxième livre que nous voulons présenter aujourd'hui : Sounding the Alarm : Socialism Against War. Il contient 10 discours du Premier mai prononcés par David North entre 2014 et 2024. Ils retracent l'escalade rapide du militarisme impérialiste, le danger grandissant d'une troisième guerre mondiale et la montée de Donald Trump.
Ils montrent que les mêmes contradictions auxquelles la classe dirigeante répond par la guerre et la dictature créent également les conditions objectives pour l'intensification de la lutte des classes et pour la révolution socialiste. L'entrée de la classe ouvrière américaine et européenne dans des luttes de classe acharnées est un facteur qui va changer radicalement la situation mondiale dans son ensemble.
Le Moyen-Orient n'est qu'un front parmi d'autres dans une troisième guerre mondiale qui s'intensifie rapidement. Les autres fronts sont la guerre en Ukraine et l'encerclement de la Chine par les États-Unis et leurs alliés. La cause de ces guerres qui s'intensifient est, comme lors des Première et Seconde Guerres mondiales, l'incompatibilité de l'État-nation bourgeois avec le caractère international de l'économie mondiale. Les puissances impérialistes ne satisfont plus leur soif de matières premières, de marchés et de main-d'œuvre bon marché par une concurrence pacifique, mais par un redécoupage violent du monde.
Lénine l'avait déjà brillamment démontré dans son livre sur l'impérialisme, écrit pendant la Première Guerre mondiale. Il vaut vraiment la peine de relire ce livre aujourd'hui.
La force motrice de cette évolution vers la guerre est les États-Unis. Ils sont sortis des deux guerres mondiales comme la puissance impérialiste dominante et tentent de compenser leur déclin économique relatif en utilisant leur supériorité militaire. Depuis la dissolution de l'Union soviétique, qui avait fixé certaines limites à ses ambitions impérialistes, les États-Unis ont été en guerre pratiquement sans interruption : en Irak, en Yougoslavie, en Afghanistan, à nouveau en Irak, en Libye, en Syrie et en Ukraine.
L'ascension de Donald Trump, ce gangster issu du secteur de l'immobilier et des casinos, doit être replacée dans ce contexte. Il mène une guerre contre la classe ouvrière dans son pays et intensifie les guerres à l'étranger. Les bombes d’une tonne qu'Israël largue sur Gaza portent toutes la mention « Made in the USA ». Au total, les États-Unis ont fourni à Israël quelque 15 000 bombes au cours des deux dernières années. Israël ne pourrait pas mener la guerre un seul jour de plus sans le soutien politique, financier et militaire des États-Unis.
Washington considère la Chine comme son adversaire le plus important et se prépare systématiquement à la guerre contre elle. Le génocide à Gaza doit être vu dans ce contexte. Les Palestiniens, l'Iran et ses alliés constituent un obstacle aux efforts impérialistes visant à placer cette région riche en énergie et stratégiquement importante sous contrôle impérialiste. La Chine importe de grandes quantités de pétrole et de gaz naturel de cette région, et certaines de ses routes d'exportation les plus importantes la traversent.
Je reviendrai dans un instant sur la guerre en Ukraine.
Les États-Unis et leurs alliés sont en train de constituer la plus grande force militaire de l'histoire contre la Chine. Les dépenses militaires américaines s'élèvent désormais à 1000 milliards de dollars par an, soit 37 % des dépenses militaires mondiales. Une grande partie de ce montant est consacrée à la modernisation de l'arsenal nucléaire.
Les États-Unis ne sont pas prêts à accepter que la Chine les dépasse sur le plan économique. Ils forment un cercle d'alliés militaires autour de la Chine, comprenant le Japon, l'Australie et plusieurs pays d'Asie de l'Est. De hauts gradés de l'armée américaine ont ouvertement déclaré qu'ils s'attendaient à une guerre avec la Chine dans les cinq prochaines années. Les républicains et les démocrates sont unis sur cette question.
L'Allemagne, elle aussi, se prépare à la guerre et s'arme d'une manière inédite depuis Hitler. Elle ne le fait pas parce qu'elle est un « vassal » des États-Unis, comme le prétendent Oskar Lafontaine et le parti de Wagenknecht, mais parce qu'elle poursuit ses propres objectifs impérialistes. La classe dirigeante allemande n'a jamais accepté le fait qu'elle ait dû se mettre en retrait sur le plan militaire après l'échec de la guerre d'extermination menée par Hitler. Cela est particulièrement évident dans le cas de la guerre en Ukraine.
Comme pour toutes les guerres impérialistes, il ne faut croire aucun mot de la propagande officielle. Les médias allemands, en particulier les médias dits « publics », ont, au moins depuis la guerre en Ukraine, dégénéré en instruments de propagande d'un gouvernement qui ne tolère plus la dissidence.
Cette guerre n'a pas commencé parce qu'un monstre diabolique du nom de Poutine a d'abord occupé la Crimée, puis envahi l'Ukraine. Elle ne sert pas non plus à défendre les « valeurs occidentales » (quoi que cela puisse signifier) et la démocratie. Elle est le résultat de l'expansion continue de l'OTAN vers l'est après la dissolution du Pacte de Varsovie et de l'Union soviétique, contrairement à toutes les assurances données, et de son encerclement de la Russie. Poutine avait depuis longtemps menacé de riposter militairement si l'OTAN intégrait l'Ukraine, la Géorgie et d'autres pays dans ses structures militaires. L'OTAN le savait et a délibérément provoqué l'invasion russe.
Ce n'est pas une question insignifiante. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, Staline avait négocié une « zone tampon » contrôlée par l'Union soviétique après que la guerre d'extermination menée par l'Allemagne eut coûté la vie à 27 millions de citoyens soviétiques. Ces questions sont profondément ancrées dans la conscience collective du peuple russe. Mais alors que le gouvernement allemand ne cesse de rappeler la responsabilité de l'Allemagne dans l'Holocauste au Moyen-Orient, la responsabilité dans le siège de Leningrad, qui a coûté la vie à 1,1 million de personnes, et dans le meurtre de millions de partisans russes, de Juifs, de travailleurs forcés et de prisonniers de guerre ne semble jouer aucun rôle.
Nous savons également comment le gouvernement américain a réagi lorsque l'Union soviétique a stationné des missiles à Cuba, un pays souverain, en 1962. Il a risqué une guerre nucléaire. Et nous pouvons imaginer comment le gouvernement américain actuel réagirait si le Mexique signait un pacte militaire avec la Chine et stationnait des troupes chinoises dans le pays. Les troupes américaines traverseraient le Rio Grande le lendemain, et Mexico serait en ruines.
L'Allemagne a joué un rôle central dans la préparation et l'escalade de la guerre en Ukraine. Nous ne disons pas cela seulement aujourd'hui. En 2013, nous avons suivi de près la manière dont plus de 50 personnalités politiques, journalistes, universitaires, militaires et représentants du monde des affaires, dans le cadre d'un projet mené par l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP), affilié au gouvernement, et le groupe de réflexion German Marshall Fund (GMF), basé à Washington, ont élaboré une nouvelle stratégie de politique étrangère, qui a ensuite été mise en œuvre par le nouveau gouvernement fédéral : une grande coalition entre la CDU/CSU et le SPD.
Le document s'intitulait « Nouvelle puissance, nouvelle responsabilité. Éléments d'une politique étrangère et de sécurité allemande pour un monde en mutation ». « Avec ce document, la bourgeoisie allemande revient à une politique militariste et de grande puissance après deux guerres mondiales et des crimes horribles », écrivions-nous à l'époque.
Le renversement du président ukrainien élu Ianoukovitch, qui s'est déroulé sous les yeux de l'ancien ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier, a été le premier test pratique de cette stratégie. Ianoukovitch n'a pas été renversé par une révolution pacifique du Maïdan, mais par des milices fascistes telles que le Secteur droit, qui glorifient d'anciens collaborateurs nazis tels que Stepan Bandera et portent des insignes nazis. À l'époque, Steinmeier avait rencontré personnellement le chef du parti d'extrême droite Svoboda, Oleh Tyahnybok.
Après le coup d'État, l'armée ukrainienne s'est complètement effondrée. L'Allemagne et l'OTAN ont commencé à constituer et à armer une nouvelle armée. Pendant ce temps, les milices fascistes, financées pour la plupart par les caisses privées des oligarques ukrainiens, ont maintenu leur position dans l'est de l'Ukraine, dominé par la Russie, terrorisant la population et poursuivant la guerre. La Russie a réagi en attaquant l'Ukraine.
Avec cette guerre, l'Allemagne poursuit deux objectifs principaux qu'elle avait déjà poursuivis et n'avait pas réussi à atteindre lors des deux guerres mondiales : la domination économique en Europe de l'Est et en Ukraine, riche en matières premières précieuses. Il existe aujourd'hui de nombreux accords et traités qui ne laissent aucun doute sur les véritables intérêts en jeu. Le deuxième objectif est l'asservissement et la destruction de la Russie.
C'est pourquoi des sommes presque illimitées sont dépensées pour soutenir l'Ukraine et le réarmement militaire, dont la classe ouvrière devra finalement payer la facture. Hitler avait tenté de dominer l'Europe afin de régner sur le monde. Face à la crise mondiale du système capitaliste, à la guerre commerciale et aux conflits sociaux qui s’aggravent, la bourgeoisie allemande suit à nouveau la même voie.
Notre rejet des politiques de guerre et de l'OTAN ne signifie pas que nous soutenions Poutine. David North l'explique très bien dans son discours du Premier mai 2022 :
Le caractère impérialiste de la guerre menée par l'OTAN ne justifie pas, du point de vue de la classe ouvrière internationale, la décision du gouvernement russe d'envahir l'Ukraine. Le Comité international condamne cette invasion comme étant politiquement réactionnaire. La décision du gouvernement Poutine d'envahir le pays a tué et blessé des milliers d'Ukrainiens innocents qui ne sont en rien responsables de la politique du gouvernement corrompu de Kiev, a divisé la classe ouvrière russe et ukrainienne et fait le jeu des stratèges impérialistes de Washington. [...] Elle a donné à l'impérialisme allemand l'occasion de se réarmer massivement.
Les dangers auxquels la Russie est aujourd'hui confrontée sont, en dernière analyse, la conséquence de la dissolution de l'Union soviétique en 1991 par la bureaucratie stalinienne et de la restauration du capitalisme. [...]
Les avertissements de Léon Trotsky, brillamment développés dans son traité de 1936, La Révolution trahie, ont été confirmés. La restauration capitaliste a entraîné l'appauvrissement d'une grande partie de la population russe, le remplacement du régime bureaucratique par un régime oligarchique dictatorial et la menace imminente d'un éclatement de la Russie en petits États semi-coloniaux contrôlés par les puissances impérialistes.
Le fait que le régime de Poutine n'ait trouvé d'autre réponse aux dangers auxquels la Russie est confrontée que d'envahir l'Ukraine et de menacer aujourd'hui de riposter par l'arme nucléaire aux provocations de l'OTAN témoigne de la faillite politique du régime de restauration capitaliste. L'oligarchie capitaliste russe, dont la richesse provient du pillage systématique des biens nationalisés de l'État ouvrier, a rejeté tout ce qui était progressiste dans les fondements sociaux et politiques de l'Union soviétique. [...]
Poutine, ennemi acharné du socialisme et de l'héritage de la révolution d'octobre, est incapable de lancer un appel véritablement démocratique et progressiste à la classe ouvrière ukrainienne. Au lieu de cela, il invoque l'héritage réactionnaire du chauvinisme grand-russe tsariste et stalinien.
Nous nous opposons à la guerre de l'OTAN en luttant pour l'unité des travailleurs ukrainiens et russes et pour le renversement et l'expropriation des oligarques des deux côtés de la frontière.
Notre camarade ukrainien Bogdan Syrotiuk est emprisonné en Ukraine depuis plus d'un an, où on lui refuse même les soins dentaires essentiels, parce qu'il défend cette perspective. Le président Zelensky, dont le mandat a expiré depuis longtemps, défend la « démocratie » – c'est-à-dire le règne des oligarques corrompus – en censurant les médias, les partis et les personnes qui s'opposent à la guerre de l'OTAN. Il envoie des bandes armées dans les rues pour forcer les jeunes hommes à aller au front comme chair à canon.
Nous luttons contre la guerre de l'OTAN en mobilisant la classe ouvrière en Allemagne, aux États-Unis et dans tous les autres pays impérialistes contre celle-ci. Les conditions objectives pour cela se développent rapidement. L'attaque incessante contre les salaires, les prestations sociales, les emplois et les droits démocratiques nécessaires pour rendre la société « apte à la guerre » provoque une résistance et des luttes de classe acharnées.
Les manifestations « No Kings » aux États-Unis, auxquelles ont participé 7 millions de personnes, sont un signe avant-coureur de cette évolution. Son succès nécessite une rupture avec les démocrates américains, leur aile gauche, les DSA, le Parti de gauche allemand et toutes les autres organisations qui n'expriment qu'une critique limitée de la politique de guerre et des attaques sociales, uniquement pour créer l'illusion que la pression de la rue peut forcer la classe dirigeante à changer de cap.
La véritable tâche de ces partis et de leurs dirigeants, tels que Bernie Sanders aux États-Unis, Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne et Heidi Reichinnek ici en Allemagne, est d'absorber la résistance et d'empêcher qu'elle ne se dirige contre la société capitaliste. Lorsqu'ils arrivent au pouvoir, ces personnages, comme Alexis Tsipras en Grèce, font le sale boulot pour les capitalistes.
Le succès de la résistance à la guerre et aux coupes sociales nécessite également une rupture avec les appareils syndicaux, qui soutiennent les guerres commerciales, les politiques guerrières et le passage à la production de guerre, organisent les suppressions d'emplois et les réductions de salaire sur les lieux de travail et répriment toute résistance à leur égard.
Le Comité international de la Quatrième Internationale a pris l'initiative de créer l'Alliance ouvrière internationale des comités de base (IWA-RFC) et appelle à la création de comités d'action dans tous les lieux de travail et tous les quartiers afin d'organiser la lutte contre les coupes sociales et la répression politique.
Je voudrais conclure ma présentation par les derniers paragraphes, tirés du livre présenté ici, du discours du Premier mai 2023 :
Les dangers auxquels l'humanité est confrontée ne doivent pas être minimisés. La première responsabilité d'un véritable révolutionnaire est de dire les choses telles qu'elles sont. Mais cela exige de reconnaître que la réalité objective présente non seulement le danger d'une troisième guerre mondiale et de l'anéantissement de l'humanité, mais aussi le potentiel d'une révolution socialiste mondiale et d'un progrès prodigieux de la civilisation humaine.
Le programme de la Quatrième Internationale, le Parti mondial de la révolution socialiste dirigé par le Comité international, consiste à réaliser ce potentiel en construisant un mouvement de masse contre la guerre impérialiste et en luttant pour le transfert du pouvoir à la classe ouvrière afin de construire le socialisme dans le monde entier. C'est cette perspective qui anime, malgré toutes les difficultés et tous les dangers, la célébration du Premier mai aujourd'hui.
(Article paru en anglais le 10 novembre 2025)
