Conférence 6 de l'école d'été 2025, 2e partie

Révisionnisme, espionnage et camouflages: les origines de l'enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale

Voici la deuxième partie de la conférence «La violation de la sécurité du parti par Wohlforth-Fields et la réponse du Comité international», présentée par Kathleen Martin et David Rye à l’École d’été 2025 du Parti de l’égalité socialiste (États-Unis) sur l’histoire de l’enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale. En complément de cette conférence, le WSWS publie d’autres extraits de «Comment la GPU a assassiné Trotsky», ouvrage paru initialement en 1981, qui rassemble des documents de la première année de l’enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale.

Cette partie de la conférence sur la violation de la sécurité du parti par Tim Wohlforth et Nancy Fields et la réaction du Comité international examinera comment la question de la sécurité a été soulevée après la défection de Wohlforth de la Workers League en septembre 1974, et l'intervention subséquente de Joseph Hansen, du SWP (Socialist Workers Party), en sa faveur. Je présenterai le contexte et analyserai les réponses du WRP (Workers Revolutionary Party) à l'attaque de notre mouvement par Hansen.

Les livres ou documents qui constituent la base de cette conférence sont: Trotskysme contre révisionnisme Volume 7: La Quatrième Internationale et le renégat Wohlforth, la réponse du WRP au texte de Hansen «Le secret de la dialectique de Healy» (dans Comment la GPU a assassiné Trotsky) et la correspondance proposant une commission de contrôle paritaire suite au lancement officiel de l’enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale en 1975, il y a 50 ans.

La majeure partie de la conférence est consacrée à l'examen de cas spécifiques d'espions et de provocateurs qui ont été révélés ou démasqués au cours de la période précédant la création officielle de la Sécurité et de la Quatrième Internationale, y compris trois cas internationaux que Hansen a cherché à dissimuler ou pour lesquels il a tenté de donner une couverture politique.

Le contexte de ces cas précis est essentiel pour comprendre les origines politiques de La Sécurité et la Quatrième Internationale. À ce moment de la longue histoire, Hansen était reconnu comme un révisionniste, un adepte de la politique de factions et adversaire malhonnête du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI). Il n'était pas accusé d'emblée d'être un agent ou le complice d'agents.

L'attaque de la Workers League par Wohlforth et son retour au SWP

«Je suggérerais que l’endroit où trouver des agents dans la Workers League est parmi ceux qui répandent des scandales visant les dirigeants de la Workers League, et non parmi ceux qui sont victimes de calomnies. Il en était ainsi du temps de la Quatrième Internationale sous Trotsky.» Cette déclaration de Tim Wohlforth figure parmi ses premières attaques contre le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI). Ce thème sera plus tard repris de manière provocatrice par Hansen dans sa correspondance avec le CIQI et dans les articles d'Intercontinental Press.

Tim Wohlforth et Nancy Fields

Dans le cadre des travaux de la commission mise en place à la suite du camp éducatif d'été de la Workers League en 1974 et approuvés par Wohlforth et Fields, Fred Mazelis a écrit à Wohlforth au nom de la commission,

Je te demande, notamment au vu de cette déclaration [que «c’est parmi ceux qui répandent des scandales contre les dirigeants de la Ligue qu’on trouve des agents»], de comparaître devant la commission d’enquête et de présenter toutes les informations dont tu disposes à ce sujet. Si, comme tu le dis, notre mouvement, celui auquel tu as consacré tant d’années, est en danger, alors il est de ta responsabilité politique de contribuer à ce que la lumière soit faite.

Wohlforth ne comparut pas devant la commission d'enquête, qui recommanda finalement sa réintégration à la Workers League et stipula qu'il était éligible pour se présenter au poste de secrétaire national lors du prochain congrès. Fields fut autorisée à redevenir membre, à condition de ne pas occuper de fonctions dirigeantes pendant deux ans. Cette proposition resta sans réponse de la part de Wohlforth et Fields, qui désertèrent du mouvement.

Wohlforth rédigea ensuite un récit falsifié des circonstances de son départ de la Workers League et de la nature des liens de Fields avec la CIA. Ce document, intitulé «La Workers Leaugue et le Comité international», fut publié en janvier 1975 dans Intercontinental Press, la publication du SWP pabliste dirigé par Hansen. Ce dernier, approuvant la diatribe de Wohlforth, écrivit que «la sincérité de ce dernier est indéniable et on ne peut que lui souhaiter bonne chance pour sa prochaine entreprise».

L'attaque lancée par Wohlforth contre la Workers League et le Comité international présentait des arguments qui ont été répétés sous différentes formes depuis, notamment dans les récents efforts malhonnêtes d'Aidan Beatty. Wohlforth soutenait que le dirigeant de la SLL (Socialist Labour League) Gerry Healy réagissait en tyran aux critiques limitées qu'il avait formulées et qu'il s’était emparé des liens familiaux de Fields avec la CIA pour l'exclure sans cérémonie du parti.

Wohlforth rejoignit alors le SWP et fut accueilli avec enthousiasme par Hansen. Les membres de la Workers League reconnurent cela comme un reniement des principes politiques pour lesquels Wohlforth s'était battu pendant les quatorze années précédentes. Il s'était fermement opposé à la politique opportuniste de Hansen depuis 1960; or, soudain, ils se tombaient dans les bras. En effet, cela avait lieu moins d'un an après la publication par Wohlforth d'une série d'articles au titre cinglant: «Un menteur vieillissant colporte sa marchandise», visant nul autre que Joseph Hansen.

La Workers League répondit à l'affirmation que Wohlforth avait été chassé du parti dans une déclaration que l'on retrouve dans le volume 7, qui explique qu'au contraire,

Wohlforth n'a pas été «renvoyé», ni «purgé». Il a démissionné. Il a quitté le mouvement dont il était membre fondateur. Les circonstances de sa démission, telles que présentées par James Robertson (de la Ligue spartakiste) et Wohlforth lui-même, sont un tissu de mensonges. Ils expliquent que la question était de savoir si Nancy Fields, ancienne dirigeante de la Workers League et proche collaboratrice de Wohlforth, était ou non un agent de la CIA. Ce n’était pas la question.

… Nous estimons que Wohlforth avait la responsabilité politique de porter ces liens à l'attention des dirigeants de la Workers League et de ses collaborateurs au sein du CIQI.

L'attaque par Hansen du CIQI et de Gerry Healy

Les attaques lancées par les révisionnistes contre le CIQI s'attardaient souvent sur Gerry Healy de la SLL en tant qu‘individu, et tournaient autour de deux affirmations principales:

1. Healy et le CIQI étaient d’«ultra-gauche» et «sectaires», et avaient besoin de boucs émissaires pour justifier les échecs de l'organisation.

2. Le CIQI était une dictature contrôlée par Healy qui employait en matière de sécurité ce que Hansen appelait des méthodes «staliniennes» ou tenant de la «chasse aux sorcières», contrairement à l'attitude désinvolte qui prévalait au sein du SWP et du Secrétariat unifié (USFI).

Dans son ouvrage «Le secret de la dialectique de Healy», Hansen tenta de corroborer cette attaque en évoquant et en falsifiant les cas de divers dissidents petits-bourgeois du Comité international (CIQI). À chaque fois, Hansen présenta ces cas comme des exemples de la «tyrannie» organisationnelle de Healy, usant de déformation, de plaisanteries de mauvais goût et d'une argumentation malhonnête de bout en bout pour diffamer le Comité international. Sur le plan politique, Hansen était incapable de discuter une seule des questions en jeu et s'efforçait d'ensevelir Healy et le CIQI sous un amas d'absurdités, de ragots et sous des histoires larmoyantes de renégats.

«Le secret de la dialectique de Healy» contient l’«argument» central de la campagne de Hansen contre la sécurité, et ce commentaire tristement célèbre, à juste titre, dans notre mouvement:

Wohlforth qualifie la performance de Healy de «folie». Ne serait-il pas préférable, et peut-être plus précis, d'utiliser un terme moderne comme «paranoïa» ?

Si le terme convient, alors la véritable explication des obsessions de Healy concernant les agents de la CIA, de la police et les complots contre sa vie, de même que de ses accès de rage, de ses «réactions extrêmes» et de son étrange conception de la dialectique, ne se trouve pas dans ses opinions politiques, sa méthodologie philosophique ou des modèles comme Pablo ou Cannon, mais dans les mécanismes d'un esprit que seuls comprennent les psychiatres.

Cette déclaration était stupéfiante: Hansen avait fait directement l’expérience de l’assassinat de Trotsky en 1940! Comment et pourquoi pouvait-il négliger la question de la sécurité au sein d’un mouvement ayant subi une persécution et une infiltration sans précédent, surtout au vu des révélations alors récentes sur la pénétration et le sabotage des mouvements de gauche par le gouvernement américain? Pour les dirigeants du WRP, cela attirait l’attention sur le rôle de Hansen.

Réponse du WRP à «Le secret de la dialectique de Healy»

En réponse à «Le secret de la dialectique de Healy», le WRP fut une fois de plus contraint de réfuter la présentation fausse des circonstances de la défection de Wohlforth et Fields de la Workers League et de démentir les accusations de chasse aux sorcières sectaire menée par Healy. Cette réponse rejetait avec mépris l'accusation de «paranoïa» et fondait la question de la sécurité sur un examen des informations alors connues sur le rôle des agents à l'époque de Trotsky, ainsi que de l'expérience plus récente de la Quatrième Internationale en fait d'espionnage.

Les premières sections de la réponse résumaient et examinaient les cas de Senin et Well, membres de l'Opposition de gauche allemande (les frères Sobolevicius) au début des années 1930, et celui de Mark Zborowski, alias Étienne. Ces cas, bien qu’il restât de nombreux détails à élucider, étaient déjà connus avant l'enquête sur la sécurité. Le WRP souleva le cas de ces criminels et de leurs crimes en réponse à l'attaque méprisable et sans scrupules de Hansen.

La réponse du WRP soulevait et analysait également d'importantes violations de sécurité, dûment documentées, commises par le mouvement pabliste international dans les années précédant la désertion de Wohlforth et Fields. Ce qui apparaît dans chaque cas, c’est un schéma de graves violations de la sécurité de la part des principaux partis pablistes, suivies de camouflages et d'une banalisation par Hansen de la signification de ces violations. Aucune explication innocente n'était envisageable pour ces incidents scandaleux.

1. L’affaire Bala Tampoe

Bala Tampoe

Bala Tampoe était secrétaire général du Syndicat des travailleurs commerciaux, industriels et généraux de Ceylan (CMU) et un membre éminent de la section sri-lankaise de l'internationale pabliste, le LSSP(R). Le LSSP(R) fit scission d’avec le LSSP à la suite de la Grande Trahison de 1964, lorsque le LSSP, le parti pabliste officiel du Sri Lanka, rejoignit le gouvernement de coalition bourgeois de Sirimavo Bandaranaike. C'était la première fois qu'un parti se réclamant de la Quatrième Internationale entrait dans un gouvernement bourgeois. Après son entrée au gouvernement Bandaranaike, le LSSP fut exclu du Secrétariat unifié. Une faction centriste qui prit le nom de LSSP(R) fit scission d’avec le LSSP et s'affilia au Secrétariat unifié (USFI).

En 1969, l' USFI créa une commission d'enquête pour examiner les activités politiques de Bala Tampoe. Les dirigeants pablistes craignaient que les agissements de Tampoe ne discréditent le LSSP(R), tout comme l'entrée du LSSP au sein du gouvernement Bandaranaike l'avait déjà fait.

La commission a établi qu'en 1967, Tampoe s'était rendu aux États-Unis dans le cadre d'un programme financé par l'Asia Foundation, qui, dans les années précédant le voyage, était largement reconnue en Asie du Sud-Est comme une organisation-écran de la CIA.

Les conclusions de la commission ont été fuitées et publiées. Le SLL a rendu compte à l’époque de ces conclusions dans sa publication, Workers Press. Ces conclusions comprenaient:

A) Une série d'incidents qui, ensemble, constituent des relations compromettantes entre le camarade Bala et les ambassades ou missions ceylanaises des pays impérialistes.

(1) Un voyage aux États-Unis durant l'été 1967, financé par la Fondation Asie.

(2) L’acceptation par lui d'une invitation à un déjeuner privé en cercle étroit à la résidence du Haut-Commissariat britannique, pendant la grève des travailleurs des plantations de 1966 – déjeuner auquel assistait également Thondaman, un dirigeant syndical qui jouait ouvertement le rôle de briseur de grève contre les travailleurs des plantations.

(3) Sa présence à un dîner en petit comité à l'ambassade d’Allemagne fédérale en l'honneur du chancelier Kiesinger en visite.

B) Une lettre envoyée au Premier ministre ceylanais le 22 janvier 1966 par le camarade Bala en sa qualité de secrétaire général du syndicat, concernant l'état d'urgence dans laquelle il sous-entendait son soutien à l'imposition d'un couvre-feu en réponse aux «violences» survenues à Colombo.

C) La politique du camarade Bala concernant la lutte contre la dévaluation de la roupie en novembre-décembre 1967. La CMU n'a pas soutenu la grève qui a eu lieu à cette époque dans le secteur privé. On peut légitimement s'interroger sur les raisons pour lesquelles le LSSP(R) n'a pas pris l'initiative de lutter pour une action commune de tous les syndicats et partis ouvriers contre la dévaluation.

La commission a critiqué et adopté une position sceptique vis-à-vis des circonstances de l'invitation de Tampoe aux États-Unis, dans le cadre d'un projet parrainé par l'Université Harvard. Elle a décrit comment Tampoe affirmait avoir tenu le Secrétariat unifié et le SWP informés de son voyage. Les enquêteurs ont réfuté ces allégations, arguant que certaines de ses activités à Washington n'avaient jamais été expliquées, citant comme principal exemple son entretien privé avec le secrétaire à la Défense Robert McNamara, le seigneur de la guerre américain au Vietnam !

La conclusion d'un rapport minoritaire soumis à la Commission de contrôle affirmait qu'«il existe des raisons suffisantes de penser qu’il y a quelque chose de pourri dans le fonctionnement de la section de Ceylan telle qu’elle existe». Cette description des agissements politiques de Tampoe provenait d'un pabliste. La virulence du langage employé dans ce rapport découlait des inquiétudes concernant la crédibilité de Tampoe.

La déclaration du WRP a présenté la caractérisation suivante des conclusions de la Commission de Ceylan sur Tampoe:

Même dans les cercles politiquement dégénérés du révisionnisme, rien de tel ne s'était jamais produit auparavant: des voyages financés par la CIA; des discussions privées avec McNamara, directeur de la machine de guerre impérialiste américaine au Vietnam; des dîners et réceptions avec le chancelier démocrate-chrétien Kiesinger, un ancien nazi, et l'ambassadeur britannique; une activité de briseur de grève; et le soutien à un couvre-feu imposé par le gouvernement à la classe ouvrière…

Au Comité international de la Quatrième Internationale, de tels agissements sont totalement indéfendables et justifient une exclusion immédiate. Mais pas au soi-disant «Secrétariat unifié». Non seulement les activités de Tampoe ont été tolérées et dissimulées pendant trois ans, mais il a même été réélu à l'unanimité au Comité exécutif international lors de la réunion même où on discutait la Commission de Ceylan. Une seule restriction lui a été imposée: il a été recommandé «de mettre fin le plus vite possible à la double fonction du camarade Bala comme secrétaire du syndicat CMU et de la section ». Cette recommandation a été totalement ignorée. Tampoe demeure à la tête du CMU et reste secrétaire général du «Parti marxiste révolutionnaire», avec l’entier soutien de ses complices pablistes.

La déclaration expliquait que les manœuvres politiques de Tampoe n'étaient que la suite logique de la Grande Trahison du LSSP en 1964, et faisait cet engagement sans réserve:

Imaginez un instant une situation où un membre éminent du Workers Revolutionary Party se rend à Washington aux frais de la CIA pour passer un après-midi avec le secrétaire à la Défense James Schlesinger, ancien directeur de la CIA. Imaginez que ce même membre ait dîné avec l'ambassadeur de France pendant la grève des mineurs, fréquenté le démagogue ouest-allemand Herr Strauss et mené son syndicat dans des actions de briseurs de grève.

Peu importe sa «stature», il serait exclu. Il aurait trahi la classe ouvrière et rejoint l'ennemi de classe – des actes qui l'auraient automatiquement exclu de notre mouvement.

Parce que nous construisons le Comité international de la Quatrième Internationale sur ces traditions et principes bolcheviques fondamentaux, Hansen et les révisionnistes pablistes nous qualifient de «paranoïaques».

Le Workers Press a publié un compte rendu de la Commission de Ceylan sur Tampoe dans une série de quatre articles parus du 18 au 21 octobre 1972. Hansen a répondu par une dénonciation furieuse publiée dans Intercontinental Press le 29 octobre. Publié comme une déclaration du Secrétariat unifié, l'article était intitulé «Les partisans de Healy diffament Bala Tampoe».

Dans sa réponse, le WRP a fait remarquer que sa condamnation de Tampoe était «sans aucun doute une calomnie très étrange, puisque nous n'avions fait que reproduire des documents et des rapports rédigés par les révisionnistes eux-mêmes». La commission pabliste, quant à elle, qualifiait ces incidents de «faits incontestables».

Les faits que leur propre commission sur Ceylan avait jugés avérés sont devenus des «calomnies» et un «tas de boue » lorsqu'ils ont été publiés dans Workers Press.

2. La révélation et le camouflage de l'affaire Max Wechsler

En février 1975, le Sunday Observer, un hebdomadaire de Melbourne, en Australie, commença à publier en feuilleton les mémoires d'un espion d'État. Cet agent de la police s'appelait Max Wechsler. Ce Wechsler avait été membre du comité exécutif de la Socialist Workers League (SWL) pabliste, leur section australienne. Il avait été secrétaire des procès-verbaux du comité de direction de la SWL, dont il était membre.

Les articles détaillaient les activités d'espionnage de Wechsler, menées pour le compte de l'ASIO (Australian Security Intelligence Organization), l'équivalent australien du FBI ou du MI5 britannique. Ils révélaient également que Wechsler avait auparavant infiltré le Parti communiste de l'État de Victoria, où les staliniens occupaient des postes clés au sein de l'appareil syndical. Les articles expliquaient qu'il avait obtenu un poste au sein du Parti communiste après avoir démontré son aptitude à vendre le journal du parti.

Wechsler fut alors chargé d'infiltrer la SWL. Le document du WRP décrivait comment les pablistes considéraient l'ascension de Wechsler comme «glamoureuse». Il avait également fait ses preuves auprès des pablistes en tant que l'un des meilleurs vendeurs de journaux du parti et avait été promu au poste de secrétaire des procès-verbaux dans la direction du groupe.

Le WRP, se basant sur le Sunday Observer a décrit comment «les responsables de Wechsler au sein de l'ASIO étaient ravis de ses progrès. Il est passé d'une rémunération de 12 dollars par mois – un simple argent de poche – à 100 dollars par semaine, auxquels s'ajoutaient des indemnités maladie versées sur un compte bancaire à son nom par son contact à l'ASIO.» Ajusté à l'inflation, cela représentait 1 420 dollars par semaine pour Wechsler, soit plus de 5 600 dollars par mois, pour ses activités d'espionnage.

Le rapport du WRP poursuivait ainsi :

Chaque dimanche soir après la réunion du SWL, Wechsler téléphonait à son contact pour lui faire un compte rendu complet des événements. Il détaillait les manifestations, les dates, les heures et les lieux, et fournissait des informations sur les personnes impliquées.

Le Sunday Observer décrivit ces activités de Wechsler, expliquant comment il avait organisé

écoutes illégales, vol de documents, sabotage, manipulation financière et obtention de doubles de clés pour permettre aux agents de l'ASIO de réaliser un cambriolage de type Watergate au siège de la SWL à Melbourne et à Adélaïde.

Grâce aux informations fournies par Wechsler, les agents de l'ASIO ont filmé les manifestations depuis des points d'observation prédéterminés. Ils ont installé des ouvertures dans les bâtiments voisins pour espionner et filmer les réunions de la SWL, et Wechsler aidait ensuite l'ASIO à identifier les personnes présentes à partir de photos d'identité judiciaire.

Le journal The Observer a relaté comment des agents de l'ASIO, munis de mini-caméras, de caméras de cinéma et d'appareils photo à téléobjectif, interagissaient avec les manifestants et installaient des ouvertures dans les bâtiments pour filmer les activités de la SWL et d'autres organisations. Wechsler était fréquemment sollicité pour accompagner des agents de l'ASIO en voiture, patrouillant dans les parcs municipaux afin d'identifier les personnes photographiées par l'ASIO sur leurs photos d'identité judiciaire. (Certaines de ces images de surveillance de jeunes militants ont été publiées et sont disponibles sur YouTube.)

Wechsler a organisé la mise sur écoute des téléphones des dirigeants et des bureaux de la SWL. Cette opération a été orchestrée au plus haut niveau des forces de l'ordre australiennes, par le sénateur Lionel Murphy, alors procureur général. Le document du WRP souligne: «Le fait que Murphy soit à l'origine de la surveillance du SWL est lourd d'ironie.»

Le sénateur Murphy était alors perçu comme une figure de proue de la gauche au sein du gouvernement travailliste de Gough Whitlam. Il avait la réputation d'être un défenseur des «droits civiques» pour avoir personnellement mené un raid contre le siège de l'ASIO à Melbourne afin de s'emparer de documents de renseignement secrets. Cette action a été saluée par les staliniens et les pablistes, qui ont contribué à blanchir l'image de gauche, pourtant usurpée, de Murphy.

Le WRP décrit les pablistes comme «hypnotisés» par les manœuvres de Murphy, alors même que ce dernier autorisait l'infiltration de leur groupe par la police. L'espion Wechsler rendait compte directement à Murphy, qui lisait sans aucun doute les comptes rendus des réunions de la direction du SWL que Wechsler lui transmettait. Murphy était responsable de la mise en place d'une grande partie de la surveillance dirigée contre la SWL.

Le 28 mars 1975, le journal Militant publia un article sur les révélations concernant Wechsler, intitulé «La presse à scandale s'en prend aux trotskystes australiens». L'article présentait Wechsler comme «un ancien membre de la SWL». Il omettait de mentionner que Wechsler siégeait au comité exécutif de la SWL en tant que secrétaire des procès-verbaux, le réduisant ainsi à un simple membre sans importance. La réponse du WRP à Hansen qualifia ces omissions de censure.

La couverture de cette affaire par Militant puait du cynisme caractéristique de Hansen, traitant les révélations de manière facétieuse, comme si la pénétration du mouvement trotskyste par le gouvernement pouvait être traitée comme cela. L'article commence ainsi:

Le trotskysme se propage-t-il à un rythme si rapide dans le monde qu'il menace désormais de s'emparer de l'Australie? La réponse est un oui encourageant, si l'on en croit l'ASIO (Australian Security Intelligence Organization), la police politique secrète du pays.

Le WRP a répondu :

Ainsi, Hansen et ses complices dissimulent aux membres du SWP aux États-Unis la vérité sur l'infiltration du SWL par des espions, compromettant ainsi totalement la formation de leur organisation aux États-Unis (et en Australie également) sur les questions de sécurité.

Non seulement Hansen a dissimulé l'importance de la surveillance de sa propre organisation, mais il a également minimisé l'importance du mouvement trotskyste lui-même. Il affirmait en substance que le mouvement trotskyste ne méritait pas la surveillance de l'État, alimentant ainsi au sein du SWP l'idée que l'État agissait de façon insensée et perdait son temps à espionner la SWL. Le gouvernement, quant à lui, ne considérait manifestement pas, et ne considère toujours pas, le mouvement trotskyste comme insignifiant. La classe dirigeante connaît ses ennemis. L'État prenait le mouvement trotskyste bien plus au sérieux que ne le faisait la direction pabliste.

La réponse du WRP à Hansen établissait une nette distinction entre l'approche de Hansen et des pablistes sur les questions de sécurité et l'attitude de la section australienne du CIQI:

Ni l'affaire Wechsler ni la complicité du gouvernement travailliste australien n'ont surpris la SLL (Socialist Labour League), la section australienne du Comité international de la Quatrième Internationale. La SLL et son hebdomadaire Workers News ont joué un rôle de premier plan dans le mouvement ouvrier et syndical, dénonçant la menace que représentent la police et ses services de renseignement pour les droits démocratiques fondamentaux.

3. Le témoin d'IMG et l'affaire de Red Lion Square

L'affaire tristement célèbre de 1974 concernant la manifestation de Red Lion Square à Londres est importante, non seulement pour les écrits de Hansen et de ses collègues à ce sujet, mais aussi pour ce qu'elle révèle de la politique opportuniste et sordide à laquelle se livraient les pablistes britanniques, l’International Marxist Group (IMG) et le mouvement pabliste international. La manifestation de Red Lion Square, contre le Front national fasciste, a entraîné la mort de Kevin Gately, âgé de 21 ans, et une importante enquête gouvernementale.

Cet épisode a mis en lumière le mépris total des dirigeants pablistes pour la sécurité physique de leurs propres membres et des participants aux manifestations qu'ils organisaient. Le WRP l'avait reconnu et avait boycotté la manifestation.

Les pablistes, comme l'illustre particulièrement l’IMG au Royaume-Uni, dirigé par des gens comme Tariq Ali, étaient le genre de mouvement qui se livrait à un activisme aveugle, allant jusqu'à provoquer des affrontements avec la police et les forces d'extrême droite.

Notre mouvement, le CIQI, n'encourage pas ses membres à se livrer à des affrontements avec la police ou à des batailles de rue. Ce n'est pas notre politique. Lors de nos interventions dans les manifestations «Pas de rois», nous avons prêté une attention toute particulière aux opérations de la police et des forces d'extrême droite afin d'éviter des confrontations inutiles, car nous luttons pour notre programme et notre perspective, et nous dialoguons avec les manifestants.

Lors de l’incident en question, l'IMG et divers autres mouvements politiques comme les International Socialists (IS) de Tony Cliff (les tenants de la théorie du «capitalisme d'État»), le Parti communiste stalinien et la Militant Tendency de Ted Grant, organisèrent une manifestation contre le Front national d'extrême droite, qui réclamait le rapatriement forcé des résidents étrangers du Royaume-Uni. La manifestation eut lieu le 15 juin 1974 à Red Lion Square.

A cette manifestation, les participants de l'IMG se sont jetés sur la police, provoquant des affrontements et des dizaines d'arrestations. Kevin Gately a été frappé à la tête par un policier et est décédé des suites de ses blessures plus tard dans la journée.

Suite à ces événements, tous les médias de gauche ont accusé la police d'être responsable de la mort de Gately, tandis que le ministre de l'Intérieur, Roy Jenkins, nommait le juge L.G. Scarman à la tête d'une enquête spéciale sur les émeutes de Red Lion Square. L'enquête Scarman a conclu que l'IMG était «moralement» responsable de la mort de Gately, pour avoir prétendument déclenché l'émeute.

On peut certes discuter de la responsabilité politique de l'IMG quant aux conséquences de ses méthodes petites-bourgeoises. Mais une préoccupation sécuritaire urgente est apparue lors de l'enquête Scarman.

Un membre de l'IMG a livré un témoignage secret à Scarman, révélant ce que le WRP a qualifié de «contradictions flagrantes dans les témoignages verbaux fournis par [d'autres] témoins de l'IMG». Ce témoignage a permis à Scarman de discréditer l'IMG et d'affirmer que le groupe avait comploté à l'avance de provoquer des affrontements avec la police à Red Lion Square.

L'IMG avait publiquement accusé la police d'être responsable des violences ayant entraîné la mort tragique de Gately. Cette tentative a été anéantie par le témoignage de ce témoin. La crédibilité de l'IMG a été gravement compromise par la publication des conclusions de l'enquête Scarman. De plus, ces conclusions ont légitimé les tactiques brutales de répression policière contre les manifestants.

Le Workers Press a exigé la révélation du nom de ce témoin non identifié de l'IMG. La réponse de la direction de l'IMG aux questions du Workers Press a été stupéfiante.

R. Pennington, le secrétaire national de l'IMG, a rédigé une réponse au nom de son comité politique, parue dans le numéro du 13 mars de Red Weekly. Pennington affirmait que le témoin secret, resté anonyme avec l'accord de la direction de l'organisation pabliste,

venait de trouver un emploi dans une usine non syndiquée et s'efforçait de syndiquer les ouvriers. Bien évidemment, si son nom avait été divulgué et publié dans la presse, il aurait été très facile pour les employeurs de le licencier.

En d'autres termes, Pennington soutenait que l'IMG faisait confiance aux représentants de la classe dirigeante et des forces de police pour l'identité de l'un de ses membres, mais pas au public ouvrier!

Le WRP a répondu:

En publiant la déclaration de l'IMG dans le Militant, Hansen légitime sciemment les agissements de la direction de Pennington visant à dissimuler l'identité du témoin anonyme. Hansen cautionne ainsi le complot visant à garder le nom de ce membre secret.

La constance de la campagne de diffamation menée par Hansen contre le Comité international et la dissimulation des crimes de ses associés révisionnistes pablistes révèlent un schéma récurrent. Dès qu'une question de sécurité est soulevée, Hansen réagit avec une rapidité et une hystérie sans faille pour tenter de l'étouffer.

Derrière les calomnies de Hansen

La réponse WRP continuait ainsi:

Là où Wohlforth sapait la sécurité interne de la Workers League, Hansen s'emploie délibérément à attiser un climat de violence et de lynchage afin de menacer la sécurité externe de la Workers League et du Comité international. L'attaque lancée contre le camarade Healy est dénuée de tout contenu politique. Hansen en est incapable. Il recourt à des injures personnelles des plus diffamatoires dans le seul but d’un coup monté contre lui.

La réponse du WRP à ces calomnies de Hansen établissait également un parallèle entre la position des pablistes et le traitement réservé à Trotsky par la presse stalinienne et soi-disant libérale dans les années 1930 :

Alors que Trotsky luttait contre d'énormes obstacles historiques pour construire la jeune Quatrième Internationale sous la menace constante de l'assassinat par la GPU de Staline, il devait faire face aux calomnies de la presse stalinienne et «libérale» qui l'accusaient d’avoir la «manie de persécution ».

La déclaration du WRP soulignait qu'une compréhension politique de l'importance de la sécurité était indissociable de la lutte pour le trotskysme et que minimiser la question de la sécurité était un produit du révisionnisme:

En luttant contre toute complaisance sur les questions de sécurité dans la construction des partis révolutionnaires, le Comité international perpétue la tradition et les principes du marxisme, du léninisme et du trotskysme. Si cela est soudainement moqué comme de la «folie», ce n’est pas le Comité international qui s’est égaré, c’est bien l’expression de la dégénérescence politique totale du révisionnisme pabliste.

Cette conférence n'a pas pour objet de passer entièrement en revue l'histoire et la politique du pablisme et les manœuvres de Hansen, auxquelles est consacrée une part importante de la réponse du WRP à «Le secret de la dialectique de Healy». Ce document offre un exposé précieux des déclarations de Hansen, démontrant ainsi son pragmatisme et son absence de principes politiques, ainsi que leurs conséquences.

Les faits révèlent qu’en fonction de l'évolution des besoins immédiats de sa faction Hansen adaptait sa ligne politique en conséquence.

En résumé, les conséquences désastreuses de la ligne pabliste après la réunification de 1963, dans l'élaboration de laquelle Hansen a joué un rôle majeur, ont confirmé tous les avertissements du Comité international.

La réponse du WRP tire la conclusion suivante concernant Hansen:

La défense explicite par Hansen de cette fraternité internationale de mencheviks — et son indifférence remarquable et profondément ancrée à l'égard de la surveillance policière, combinée à sa haine profonde pour la direction du WRP — confirme la nature extrêmement réactionnaire et politiquement suspecte de la direction du Socialist Workers Party.

Lancement de l'Enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale

La réponse du WRP se concluait par la recommandation faite au Sixième Congrès mondial du CIQI en mai 1975 de créer un fonds spécial pour fournir des ressources à l'enquête sur les questions de sécurité au sein de la Quatrième Internationale.

Lors du congrès, auquel assistaient les délégués de la Workers League: David North, Fred Mazelis, Jeff Sebastian et Alex Steiner, Healy présenta une motion visant à ouvrir une enquête sur l'assassinat de Trotsky. Il proposa que le Commité international examine les circonstances de l'assassinat du point de vue de l'importance des questions de sécurité pour l'éducation révolutionnaire des cadres. La motion fut adoptée et le CIQI lança officiellement l'enquête ‘La Sécurité et Quatrième Internationale’.

Une fois que l’enquête «La Sécurité et Quatrième Internationale» eut été officiellement adoptée par le Comité international, l’une des premières mesures prises fut l’envoi d’une lettre à Hansen par Cliff Slaughter au nom du CIQI. Cette lettre proposait la création d’une commission paritaire composée de représentants du CIQI et du Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale (acronyme anglais USFI), non pas dans une optique de réunification ou de l’infléchissement des principes, mais afin de trouver un terrain d’entente pour mener une enquête objective sur la sécurité.

Slaughter y a évoqué un article d'Intercontinental Press d'avril 1975, intitulé «Red Lion Square: où étaient les héros du WRP?». L'article s'interrogeait sur une possible infiltration du WRP et suggérait une enquête afin d'identifier les agents potentiels qui avaient décidé de ne pas participer à la bagarre avec l'IMG. Confiant dans la ligne politique et la vigilance du WRP en matière de sécurité, Slaughter, dans sa lettre, propose une inspection du WRP sur les questions de sécurité et exhorte l'organisation de Hansen à faire de même.

La commission paritaire aurait été le lieu où ces soupçons et accusations mutuels auraient pu être examinés objectivement, et où des preuves auraient pu être présentées tant de la part du CIQI que de l'USFI.

La réponse de Hansen à cette proposition pointait l'en-tête dactylographiée, le fait que Slaughter désignait l'organisme comme «unifié» plutôt que «Secrétariat uni» (les deux termes étant utilisés dans les documents de cette organisation) et la forme de la signature de Slaughter, déclarant sur un ton faussement humoristique: «Il pourrait s'agir d'un faux.» Hansen ne répondit rien et insinua bien plutôt qu'il y avait un agent au Comité international qui se faisait passer pour Cliff Slaughter:

Ce sont des détails mineurs. Cependant, je suis certain que votre comité central, compte tenu de son expertise en la matière, reconnaîtra la nécessité de prêter attention à des indices apparemment insignifiants comme ceux-ci. Ils peuvent permettre d'identifier un agent infiltré au sein de l'organisation par la police ou la CIA. Au cas où la lettre serait un faux, je joins une photocopie.

Peut-être que cette copie de la lettre vous aidera à localiser l'agent de la police si elle a été écrite par l'un d'eux.

Joseph Hansen

Hansen rejeta la proposition de commission paritaire, déclarant que les problèmes étaient déjà très clairs: Healy était un sectaire d’ultra-gauche. Il réitéra le mensonge selon lequel Wohlforth et Fields étaient victimes de persécution et conclut qu’il était impossible de mettre en place une commission impartiale.

Hansen lui-même avait soulevé la question des agents infiltrés dans le mouvement ouvrier, lors de la controverse de Red Lion Square à Londres, avant même le début de l'enquête sur la Sécurité et la Quatrième Internationale. Une enquête était nécessaire, mais le mouvement pabliste rejetait toute investigation de la sécurité.

Hansen n'a pas été accusé d'emblée d'être un agent ou le complice d’agents. Au fil de l'enquête, son rôle sera mieux défini. Ce point sera développé dans les conférences suivantes.

(Article paru en anglais le 16 octobre 2025)

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