Perspective

Trump accueille le prince héritier saoudien : des meurtriers milliardaires se rencontrent à la Maison-Blanche

Le président américain Donald Trump et le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, le mardi 18 novembre 2025, à Washington [AP Photo/Evan Vucci]

Le président américain Donald Trump a accueilli mardi le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à la Maison-Blanche, a défendu le règne sanglant du prince lorsqu'il a été interrogé par les journalistes sur le meurtre macabre du dissident saoudien et chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi, puis a organisé un dîner officiel en l'honneur du prince, auquel ont participé des milliardaires, des dirigeants d'entreprise et des politiciens républicains.

Pendant quatre ans, ben Salmane n'a pas pu se rendre en Europe ni en Amérique du Nord en raison de problèmes juridiques en suspens liés au meurtre de Khashoggi. Une équipe d'assassins saoudiens, dirigée par le chef de la sécurité de Salmane, a enlevé Khashoggi alors qu'il se rendait au consulat saoudien à Istanbul, en Turquie, pour obtenir des documents nécessaires à son mariage avec sa fiancée turque. Le journaliste a été torturé, tué, puis son corps a été démembré et éliminé en secret.

Au cours de cette visite, Trump a eu un échange extraordinaire avec une journaliste qui a mis en lumière le gangstérisme et la criminalité des deux gouvernements. Lorsque la journaliste d'ABC News, Mary Bruce, a posé deux questions sans équivoque – interrogeant Trump sur d'éventuelles « preuves incriminantes » dans les dossiers Epstein, et ben Salmane sur le meurtre de Khashoggi et les liens du gouvernement saoudien avec les attentats terroristes du 11 septembre – Trump s'est emporté pour se défendre lui-même et défendre le prince.

Au sujet de Khashoggi, il a déclaré : « Vous mentionnez quelqu'un qui était extrêmement controversé. Beaucoup de gens n'aimaient pas cet homme dont vous parlez. Que vous l'aimiez ou non, ce sont des choses qui arrivent. » Il a poursuivi en défendant le prince : « Il n'était au courant de rien, et nous pouvons en rester là. Vous n'avez pas à embarrasser notre invité en posant une question comme celle-là. »

« Des choses qui arrivent. » Cette déclaration, à propos du meurtre et du démembrement d'un critique politique, pourrait servir de devise à la présidence fasciste de Trump. Les agents de l'ICE brisent les vitres des voitures et agressent les citoyens. Les troupes de la Garde nationale occupent les grandes villes et se préparent à un déploiement à l'échelle nationale. Des millions de personnes sont privées de bons alimentaires, de Medicaid et d'autres services essentiels. Des drones américains tirent des missiles sur des bateaux de pêche, tuant près de 100 personnes dans les Caraïbes et dans l'est du Pacifique. Dans l'Amérique de Trump, tous ces crimes sont balayés d'un haussement d'épaules : « Des choses qui arrivent. »

Et s'il pouvait réaliser son vœu le plus cher, le traitement infligé à Jamal Khashoggi par un escadron de la mort saoudien serait appliqué aux détracteurs de Trump aux États-Unis. Après avoir répondu « Silence, cochonne » à une journaliste qui lui posait une question sur Epstein dimanche, Trump a dénoncé Mary Bruce pour ce qu'il a qualifié de «question horrible, insubordonnée et tout simplement terrible », ajoutant : «Je pense qu'il faudrait retirer la licence à ABC, car vos informations sont tellement fausses et tellement erronées. »

Comme Trump l'a déclaré dans son discours de bienvenue à ben Salmane, «je suis très fier du travail qu'il a accompli. Ce qu'il a fait est incroyable en termes de droits humains et dans tous les autres domaines ». Il s'agit là d'un dirigeant absolutiste dont le régime a procédé à 345 exécutions l'année dernière, un nouveau record.

La rencontre entre Trump et ben Salmane a réuni deux dirigeants milliardaires perchés au sommet de poudrières politiques, préparant une répression violente comme seul moyen de préserver l'ordre social dépassé qu'ils représentent. Trump incarne la criminalité de l'oligarchie financière américaine, tandis que ben Salmane dirige une famille royale corrompue qui monopolise les vastes richesses pétrolières de l'Arabie saoudite.

Trump compte sur les investissements saoudiens pour étayer ses fausses affirmations selon lesquelles les investissements étrangers relanceront l'économie américaine et créeront des emplois bien rémunérés. Lors de sa rencontre publique avec ben Salmane, Trump s'est vanté des 600 milliards de dollars d'investissements saoudiens, que le prince héritier a rapidement gonflés à « près de 1000 milliards de dollars ». Comme toutes les affirmations de Trump en matière d'investissements, ces promesses sont en grande partie fictives et n'apportent aucun bénéfice réel à la grande majorité de la population. En réalité, ses politiques de guerre commerciale ont détruit des emplois et fait grimper les prix, renforçant l'étranglement financier des familles de la classe ouvrière.

Cette crise sociale qui s'aggrave est à l'origine du rejet de l'administration Trump lors des manifestations de masse « No Kings » (Pas de rois), qui ont eu lieu il y a exactement un mois et au cours desquelles 7 millions de personnes sont descendues dans les rues de plus de 2500 villes. Ces manifestations ont été suivies par les victoires du Parti démocrate aux élections du 4 novembre, notamment celle de Zohran Mamdani, qui se décrit lui-même comme un « socialiste démocrate », à la mairie de New York, malgré les dénonciations et les menaces fascistes de Trump.

L'administration est également confrontée à une crise politique qui s'aggrave. La réunion à la Maison-Blanche a eu lieu alors que le Congrès votait à la quasi-unanimité pour exiger du ministère de la Justice qu'il divulgue ses dossiers sur le milliardaire Jeffrey Epstein, trafiquant sexuel et ancien proche collaborateur de Trump. Trump s'était vivement opposé à cette mesure, et le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson, l'avait bloquée pendant des semaines. Mais deux jours seulement après que Trump ait changé d'avis, le projet de loi est désormais sur son bureau.

Ben Salmane est venu aux États-Unis pour acheter des avions de combat et d'autres armes afin de réprimer sa propre population et celles des pays voisins, en particulier le Yémen, où une guerre menée par l'Arabie saoudite a tué des centaines de milliers de personnes et affamé des millions d'autres. Il estime probablement que sa complicité dans le génocide américano-israélien à Gaza lui a valu les faveurs de Washington. Le renforcement de l'armement vise également l'Iran, considéré par Israël, les États-Unis et la monarchie saoudienne comme le principal obstacle à la domination de l’impérialisme au Moyen-Orient.

Trump ne s'exprime pas seulement en tant qu'individu, mais en tant que personnification de l'État américain et des intérêts de la classe dirigeante qu'il sert. Sa glorification de la brutalité du régime saoudien reflète la violence et la criminalité de l'impérialisme américain lui-même.

L'un des principaux objectifs du génocide soutenu par les États-Unis à Gaza est de renforcer la domination américaine sur le Moyen-Orient et de consolider l'alliance entre Washington, Tel-Aviv et Riyad. Il s'agit d'une politique bipartisane. En 2022, l'administration démocrate de Joe Biden – qui, pendant sa campagne de 2020, avait promis de faire de ben Salmane un « paria » – a accordé au prince héritier l'immunité souveraine contre toute poursuite civile ou pénale devant les tribunaux américains. Cela s'est produit quelques mois seulement après que Biden se soit rendu à Riyad et ait salué le meurtrier d'un désormais célèbre check.

L'oligarchie américaine, représentée par les deux partis, regarde avec envie l'absolutisme du royaume saoudien, une autocratie sans limites dans laquelle la richesse est monopolisée par une élite dynastique et où la dissidence politique est punie de mort.

Le dîner d'État organisé mardi soir a réuni le gratin de l'aristocratie financière, avec parmi les invités Elon Musk, l'homme le plus riche du monde. Il s'agissait de la première visite de Musk à la Maison-Blanche depuis sa brouille très médiatisée avec Trump cet été, suite à l'incapacité de ce dernier (aux yeux de Musk) de réduire suffisamment les dépenses sociales fédérales consacrées à Medicare, Medicaid et la sécurité sociale.

Aux côtés de Musk se trouvaient Stephen Schwarzman de Blackstone, Larry Fink de BlackRock, David Ellison de Paramount/CBS (et fils du milliardaire Larry Ellison, fondateur d'Oracle), Henry Kravis, cofondateur de Kohlberg Kravis Roberts (KKR) ; Joshua Harris, cofondateur d'Apollo Global Management ; Jane Fraser, PDG de Citigroup ; Mary Barra, PDG de GM ; William Clay Ford Jr, président de Ford ; Tim Cook, PDG d'Apple ; et Jensen Huang, PDG de Nvidia. Les dirigeants de Chevron, Qualcomm, Boeing, Cisco, General Dynamics, Pfizer, IBM, Honeywell, Lockheed Martin et bien d'autres étaient également présents. Si Jeffrey Epstein n’était pas mort en 2019, dans une cellule de prison de Manhattan après sa deuxième arrestation pour trafic sexuel, il aurait certainement figuré sur la liste des invités.

Si le gendre de Trump, Jared Kushner, bénéficiaire d'un investissement de 2 milliards de dollars provenant d'un fonds géré par le prince héritier, n'était pas présent, son fils Don Jr l'était, peu après avoir signé des accords pour la construction de tours portant la marque Trump à Djeddah et Riyad, la plus grande entreprise commerciale de la Trump Organization dans le royaume saoudien. Trump s'est hérissé lorsqu'on lui a demandé si de telles relations d'affaires étaient appropriées pendant sa présidence, affirmant qu'il n'était pas impliqué dans l'entreprise, bien qu'il en reste le propriétaire.

D'autres informations seront sans doute révélées au sujet des accords sordides discutés à huis clos, dont les objectifs, au-delà du renforcement de la position mondiale de l'impérialisme américain contre l'Iran, la Russie et la Chine, sont d'augmenter les profits de l'industrie américaine de l'armement et de la monarchie pétrolière saoudienne, au prix de milliers, voire de millions de vies.

La rencontre entre Trump et ben Salmane révèle le caractère profondément réactionnaire des deux régimes : la monarchie saoudienne semi-féodale et l'oligarchie corrompue dominée par les milliardaires aux États-Unis, deux vestiges historiques d'un ordre social qui doit être balayé.

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