Les dirigeants de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) ont capitulé devant la campagne d’intimidation de la classe dirigeante en mettant un terme aux divers débrayages des 6.900 travailleurs de la Société de transport de Montréal (STM).
Durant des semaines, le patronat, les médias et toute la classe politique – fédéralistes comme souverainistes – ont fait front commun pour démoniser la grève à la STM, accusant les chauffeurs et les ouvriers d’entretien de «prendre la population en otage».
Cette campagne a été menée par le ministre du Travail Jean Boulet, le tabloïd populiste de droite le Journal de Montréal, le chef du Parti québécois (PQ) Paul St-Pierre Plamondon et la mairesse de Montréal nouvellement élue, l’ancienne ministre libérale Soraya Martinez Ferrada.
Après avoir dénoncé le Tribunal administratif du travail (TAT) pour ne pas avoir été assez sévère dans l’encadrement du droit de grève des travailleurs de la STM, le ministre Boulet et le Premier ministre François Legault ont déposé, la semaine dernière, le projet de loi 8 dans le but de devancer l’entrée en vigueur de leur draconienne loi 14 prévue initialement le 30 novembre.
Cette loi (anciennement le projet de loi 89) est largement méprisée parmi les travailleurs, car elle vient imposer de sévères limitations au droit de grève, tant dans le secteur public qu’au privé, en élargissant le concept de «services essentiels», en plus de donner le pouvoir au gouvernement d’imposer des conventions collectives par arbitrage exécutoire.
Le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de Legault avait un double objectif. Premièrement, c’était pour lui un moyen plus rapide pour criminaliser la grève à la STM que de recourir à une loi spéciale. Deuxièmement, il tentait de justifier l’existence même de la loi 14 auprès de la population.
La loi 14 fait partie d’un assaut tous azimuts contre le droit de grève au Québec et au Canada, un droit pratiquement aboli au pays. Comme partout au monde, la classe dirigeante canadienne répond à la crise historique du système capitaliste en se tournant vers des méthodes autoritaires pour imposer les diktats de l’oligarchie financière: démantèlement des services publics, privatisations, destruction des emplois, hausse des dépenses militaires, etc.
Au cours des dernières années, le gouvernement fédéral libéral de Justin Trudeau et de son successeur Mark Carney est intervenu à maintes reprises pour criminaliser une série de grèves militantes en utilisant une réinterprétation frauduleuse de l’article 107 du Code du travail canadien, notamment contre les travailleurs de Postes Canada, les cheminots, les débardeurs et les agents de bord d’Air Canada. Le mois passé, le gouvernement provincial conservateur de l’Alberta a criminalisé une grève de plus de 50.000 enseignants.
Si les gouvernements ont pu systématiquement intervenir dans les conflits de travail pour écraser les grèves à coups de lois spéciales et de manœuvres antidémocratiques, c’est parce que les syndicats canadiens (CTC, Unifor, le SCFP et leurs affiliés dans les provinces) n’ont pas levé le petit doigt pour s’y opposer alors que les travailleurs étaient prêts à le faire.
Par exemple, lorsque les agents de bord ont déclenché une grève illégale contre l’intervention du gouvernement Carney pour les forcer à retourner au travail, le SCFP a rapidement mis fin au débrayage et accepté une entente au rabais qui a ensuite été rejetée à plus de 99% par les membres.
Au Québec, les centrales syndicales n’ont pas mené la moindre lutte sérieuse contre le projet de loi 89 (devenu loi 14). Ils ont organisé un grand total de deux manifestations, peu publicisées. Ils ont appelé au «dialogue social» avec l’ex-PDG multimillionnaire Legault et se sont joints aux syndicats dans le reste du Canada pour soutenir l’«équipe Canada» que la bourgeoisie canadienne a montée pour rivaliser dans la guerre commerciale initiée par le gouvernement américain sous Donald Trump.
La trahison des syndicats de la STM n’est que la suite logique de cette collaboration de classe, guidée par leur orientation nationaliste et pro-capitaliste. Ils n’ont rien fait pour contrer l’intimidation et les mensonges de l’élite capitaliste. Ils n’ont lancé aucune campagne de masse expliquant que le système de transport public est en crise, non pas à cause des conditions soi-disant «trop généreuses» des travailleurs, mais parce que les gouvernements péquistes, libéraux et caquistes ont imposé des décennies de coupures sociales. Soulever cette question aurait aussitôt souligné la nécessité de mobiliser d’autres sections de la classe ouvrière derrière les grévistes dans leur lutte contre les attaques gouvernementales.
En tant que partenaires juniors de l’élite dirigeante, les appareils syndicaux craignent depuis le début que le mouvement militant des travailleurs de la STM ne devienne l’étincelle d’une mobilisation plus large de la classe ouvrière contre l’assaut sur les services publics et les emplois. Une telle lutte risquerait de sortir de leur contrôle et pourrait vite poser un défi à l’édifice capitaliste et aux intérêts matériels de la classe dirigeante qu’ils s’affairent à préserver.
Mardi dernier, la CSN a «suspendu» la grève partielle de ses 2.400 membres de l’entretien sous prétexte de vouloir éviter le devancement de la loi 14, un processus que Legault a initié dès le lendemain en déposant le PL8. Vendredi, le SCFP annonçait la signature d’une entente de principe et l’annulation de la grève des 15 et 16 novembre de 4.500 chauffeurs de bus et de métro, ce qui aurait paralysé l’ensemble des transports en commun de la métropole. Une autre entente a été signée pour les 1.300 employés administratifs et techniques qui s’apprêtaient à faire grève le 19 novembre.
Que la loi 14 soit devancée ou qu’elle entre en vigueur à la fin du mois n’est pas le réel enjeu pour les travailleurs. Les syndicats ont effectivement saboté leur mouvement d’opposition et la loi pend toujours comme une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes. Les syndicats conseillent à Legault d’utiliser leurs services pour imposer des conventions pleines de concessions, mais ils se soumettront à l’arbitrage aussitôt la loi adoptée: deux alternatives auxquelles les travailleurs doivent s’opposer vigoureusement en développant une nouvelle stratégie indépendante.
L’appui qu’a donné le PQ à toute cette campagne de répression en dénonçant les travailleurs et en soutenant le PL8 met à nu le caractère totalement hypocrite de leur soi-disant opposition au projet de loi 89 et à la loi 14. Les syndicats ont utilisé cette posture pour ressusciter leur alliance de longue date avec ce parti capitaliste qui avance un chauvinisme anti-immigrant typique de l’extrême-droite. Les syndicats ont pris soin de taire le fait que le PQ a lui-même sauvagement imposé l’austérité et a criminalisé des grèves à maintes reprises lorsqu’il a été au pouvoir.
La lutte des employés la STM est en grave danger, mais elle n’est pas terminée. D’importantes leçons doivent être tirées dès maintenant par toute la classe ouvrière au Québec et au Canada. Cette expérience a exposé clairement les divisions de classe qui traversent la société. Les diverses factions de l’élite dirigeante – fédéralistes (PLQ), souverainistes (PQ, Québec solidaire) et fédéralistes-autonomistes (CAQ), de la droite dure à la prétendue « gauche » – ont mis leurs différends tactiques de côté pour attaquer leur véritable ennemi commun: la classe ouvrière.
Québec solidaire (QS), un parti des classes moyennes privilégiées qui se présente à tort comme «progressiste», n’a lancé aucun appel à soutenir et élargir la lutte des travailleurs de la STM, tout comme il n’avait pas levé le petit doigt, de connivence avec la bureaucratie syndicale, pour mener une lutte sérieuse contre le projet de loi 89. QS a appelé à une solution «négociée» durant le conflit, c’est-à-dire l’imposition de concessions avec l’aide des syndicats plutôt qu’une loi qui risque de mettre le feu aux poudres.
Les travailleurs doivent reconnaître que les politiques d’austérité du gouvernement Legault et de l’élite patronale derrière lui ciblent non seulement les transports publics, mais l’ensemble des services publics. Les hôpitaux, les écoles, les programmes sociaux, les infrastructures: tout tombe en ruine et les coupures ne vont qu’empirer la crise actuelle. Pendant qu’ils sabrent sauvagement dans les dépenses sociales, les gouvernements fournissent des milliards en baisses d’impôts à la grande entreprise et augmentent massivement les budgets militaires pour le compte de l’impérialisme canadien.
La lutte doit se développer en tant que lutte politique et lutte de classe. Elle doit dépasser le cadre des «négociations collectives» dans lequel les paramètres financiers, fixés par le patronat et l’État et acceptés par les syndicats, sont basés sur le principe mensonger qu’il n’y a «pas d’argent» pour des emplois décents et des services de qualité.
Le principal frein à cet effort est la bureaucratie syndicale, qui fois après fois isole les différentes sections de travailleurs, les désarment politiquement et leur imposent des contrats remplis de reculs.
La bureaucratie syndicale organise un «Grand rassemblement public et intersyndical» le 29 novembre, non pas pour lancer une offensive contre l’austérité et les lois antigrèves, mais pour préparer son intervention aux prochaines élections. Elle s’en servira pour détourner et canaliser la colère des travailleurs contre les compressions de la CAQ vers les partis politiques établis, principalement vers le Parti québécois qu’elle appuie tacitement.
Mais en opposition aux efforts des appareils syndicaux pour garder les travailleurs du Québec divisés de leurs frères et sœurs de classe au Canada, aux États-Unis et ailleurs au monde, la classe ouvrière québécoise devrait saisir l’occasion et faire de cette action le fer-de-lance d’une puissante mobilisation politique et internationale de la classe ouvrière contre l’austérité, les mesures autoritaires et la guerre.
Un tel mouvement sera possible seulement si les travailleurs prennent les choses en main et forment des comités de base indépendants des appareils syndicaux. Ces comités auront la capacité de mobiliser la puissance politique de la classe ouvrière et d’unifier ses divers contingents autour d’un programme de lutte commun.
En opposition à toute forme de divisions nationales, provinciales, ethniques et linguistiques, c’est à travers de tels comités que pourra se développer un mouvement politique indépendant pour la défense des emplois, des droits démocratiques et sociaux, et pour une réorganisation égalitaire de la société afin de répondre aux besoins humains et non accroître les profits privés.
